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Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

Dossier : Vis ma vie de smicard !

 

Journaliste au chômage, «France Denbas» a décidé de raconter le quotidien des « smicards » et partager le ressenti des salariés avant et après les élections présidentielles. Publié sur Marianne2, son blog regorge d'anecdotes qui, au fil des billets, reflètent notre société actuelle.

 

(Agence Intérim - BEBERT BRUNO [/S)
(Agence Intérim - BEBERT BRUNO [/S)
« Vous n'êtes pas un ancien syndiqué j'espère ? »
Le rituel est rodé : la carte d'identité, la carte vitale, le traditionnel CV, le relevé d'identité bancaire et les agences d'interim vous ouvrent leurs portes. Enfin, celles qui prennent les inscriptions au guichet et non sur Internet. «Qu'est-ce qu'il sait faire le monsieur?» me demande Sophie, la trentaine enjouée. Je recycle mes compétences de job d'été acquises il y a déjà douze ans : «téléopérateur, caissier, vendeur, manutentionnaire, serveur», tous les petits boulots qui me passent par la tête. Elle note scrupuleusement, vérifie mon permis de conduire, puis conclue, déjà, par un «on vous rappellera.» Je sors, l'entretien a duré à peine cinq minutes.

Froide comme l'enfer, ma première journée
Soldelogistique, 140 salariés,  une quarantaine de permanents et une centaine d'intérimaires, se cache au fond d'une zone industrielle de province. Le bâtiment n'a rien de surprenant : quatre murs, un toit en tôle, et de grandes ouvertures pour charger les camions. Je prends mon service dans dix minutes, à 13 heures. Sur le parking, une majorité de voitures banales et quelques exceptions qui attirent le regard : BMW, Audi, un gros 4X4. Je gare ma vieille Corsa sous  les yeux d'un couple de fumeurs.

Testons ma flexibilité
« On ne t'a rien dit ? La personne que tu remplaces revient demain. Désolée.» Valérie ferme l'entrepôt ce lundi soir, et douche en même temps mon enthousiasme. « Ce n'est pas mon travail qui est en question ? » Elle fuit mon regard «Non non. C'est juste qu'on n'a plus besoin de toi. Mais on te rappellera peut-être un autre jour, ça tourne vite ici. » Devant la pointeuse, chacun attend son tour dans une ambiance de cours d'école.

La peau de vache, l'accident et le baume apaisant
La France d'en bas qui se lève tôt. Deux poncifs réunis en une matinée de travail. Hier, je reprenais le chemin de Soldelogistique. Mêmes horaires: 6 heures-13 heures. Sur place, les bonjours sont timides, encore endormis. Deux nouvelles chefs m’accueillent : Corinne et Martine.  Corinne est souriante, Martine s'annonce comme « une peau de vache. » Elle lâche un sourire qui me rassure à moitié. Pas plus de temps pour les présentations. Au boulot.

CDD ou intérim, le dilemme des précaires
Martine est angoissée. Il est bientôt 13 heures et elle scrute l'entrée dès que la porte s'ouvre. On sent qu'elle guette quelqu'un. Alexia arrive. C'est elle que Martine attendait. Elle lui fonce dessus et annonce, l'air embarrassé : « T'es en fin de mission en fin de semaine. Quelqu'un viendra te le signifier aujourd'hui.» Les deux femmes se mettent à l'écart.  Maria entre à son tour. Martine l'appelle. Elle aussi ne sera pas reprise. Je demande ce qu'il se passe à Corinne l'autre chef, qui explique : «Elles ont refusé de signer un CDD... Du coup, elle ne sont pas reprises et mises sur la liste noire.»

Ma première semaine à 9,22 euros l'heure
J'ai cette première semaine dans les jambes, des coupures aux mains, et je grince un peu.
En six jours, j'ai été en fin de mission une fois, engueulé trois fois, puis félicité, une fois.  J'ai failli assister à une bagarre. J'ai fait la connaissance d'une douzaine de personnes, des jeunes, des vieux ; des noirs, des blancs. Plus de femmes que d'hommes.

L’avenir de l’entreprise, c’est moi (mais pas la semaine prochaine)
Une grosse commande, mais une seule : 64 présentoirs à monter, remplir et emballer. L’équipe s’en réjouit. C’est du travail mais au moins «on reste sur la même référence toute la journée.» Martine, et surtout Corinne, semblent plus apaisées. «C’est normal, on a mis le turbo les autres jours. Là, c’est la dernière commande de la semaine. Les objectifs sont atteints», explique mon collègue Boris. «Et puis c’est vendredi. Ce soir, c’est le week-end.» Il éclate de rire pour ponctuer sa phrase. L’angoisse qui m’accompagnait s’envole. Tout le monde est souriant. Dans l’entrepôt, on chante des génériques de dessins animés. Corinne lance même des blagues. La journée s’annonce bien.

Passe ton permis d'abord
Céline a 20 ans. Depuis quinze jours, nous travaillons dans la même équipe chez Soldelogistique*. J'assemble les présentoirs, elle les remplit. Jeudi dernier, elle m'a demandé de la déposer en ville. J'ai accepté cette occasion de mieux la connaître.

Petit exercice de productivité appliquée
Mon premier jour dans cette nouvelle équipe m'avait mis en confiance. Une gestion plus humaine semblait-il, et une ambiance joyeuse. Vendredi, nous avons rapidement déchanté.

Ma journée type à Soldelogistique
Vendredi soir, j'ai «joué avec le feu» comme dit ma collègue Nicole. J'ai refusé la mission que me proposait Soldelogistique pour ce lundi. J'avais mon mot d'excuse : un entretien pour du travail. L'argument a pesé. Via mon agence d'intérim, ils ont redemandé hier, à ce que je revienne travailler aujourd'hui. J'entame ma dernière semaine chez Soldelogistique ce matin, de 6 à 13 heures. A peu de choses prés, voila le programme.

De l'art de conditionner dans les temps
Hier rien, enfin si, de 6 à 13 heures, nous avons terminé 24 palettes. Nos chefs n'étaient pas plus impressionnés que ça. En début de ligne, ma collègue déballe les produits de base, des tubes de 500ml qu'elle pose ensuite sur le tapis roulant. Une autre collègue manchonne, c'est à dire qu'elle réunit, avec un plastique promotionnel, deux tubes ensemble. Le lot passe dans le four, le plastique se rectracte et assemble les deux produits. Nicole, en bout de ligne, récupère les lots sortis du four et colle le nouveau code-barre. Charge à moi, ensuite, de ranger les lots par 6 dans un carton, de passer le carton dans la scotcheuse, puis de le disposer harmonieusement sur la palette.

La bande des chefs
J'ai croisé une quinzaine de responsables chez Soldelogistique. Une majorité de femmes, jeunes, moins jeunes. D'anciens intérimaires devenus cadres pour la plupart.

La chaîne aspire les heures
Quand on travaille à la chaîne, arrive un moment où l'esprit s'engourdit. D'abord on pense au rythme, à se caller sur son collègue. Chacun à son espace. À mon poste je gère la palette, l'arrivé des produits et l'engorgement de ma table au mieux. Ça occupe l'esprit. Et le temps passe. La concentration laisse vite place à la répétition et la répétition à l'abandon. Je me suis souvent forcé à chanter pour relancer mon cerveau. Nos 6h30 quotidiennes peuvent passer très vite, plus vite, si on arrive à se débrancher. Il y a des heures entières sans s'adresser un mot. La chaîne aspire les heures.
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