De l'autre côté de la Seine, les anti-mariage manifestaient. Mais eux avaient décidé de ne pas « leur laisser la rue ». Dimanche, plusieurs milliers de personnes se sont réunies à Bastille pour l'égalité des droits et contre l'homophobie à l'initiative d'Act-Up et de plusieurs dizaines d'associations et de collectifs lesbiens, gays, bi et trans.
En bas à droite : "die-in" en mémoire des victimes de l'homophobie© MM
Côté politiques, toute la gauche est représentée : le maire de Paris Bertrand Delanoë, Jack Lang, ainsi que le porte-parole du PS, David Assouline ; Ian Brossat (PCF), Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), Esther Benbassa (EELV), Christine Poupin (NPA). Élu (apparenté PS) au conseil régional d'Île-de-France, Jean-Luc Romero dit son inquiétude. « Je ne me rappelle pas un climat avec autant d'homophobie dans notre pays. Mais quand certains appellent au sang, il ne faut pas s'étonner. Cette violence, c'est la leur. » Il rend hommage « à tous ceux qui ont voulu l'égalité » et sont parfois morts du sida, et au héros gay américain Harvey Milk.
Sur la place de la Bastille, Act-Up a installé des pancartes « Visages de la haine » montrant Frigide Barjot, Christine Boutin ou Jean-François Copé.
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Au micro, les paroles se succèdent. « Gouines, fières! Pédés, fiers! bi, fiers! Trans-, fiers, putes, fiers! » lance la foule. « Oui, nous sommes debout ! Oui, nous résistons ! Et oui, nous vaincrons ! » lance une porte-parole du collectif Oui-Oui-Oui. Alors que mardi 23 avril, le mariage pour tous sera définitivement voté par le Parlement, beaucoup de gays et de lesbiennes présents tenaient dimanche à riposter aux agressions homophobes et au climat de « haine ». Ils et elles témoignent.
Matthias Perez, 29 ans, Ile-de-France :
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« Cette manif, ça fait du bien. Ça se bouge enfin ! Ce qu'on entend ces temps-ci est insupportable. L'égoïsme de ces gens qui s'opposent à un droit est insupportable. En même temps, je me dis que la démocratie est avec nous. L'homophobie, je la connais depuis toujours. Mais c'est vrai qu'en ce moment, je constate une recrudescence. Le Pacs, c'était “fléché” homo. Là, il est question du mariage, les homos vont devenir comme tout le monde, certains ne l'acceptent pas.
Je suis professeur de musique en collège. Dans mon établissement, les collégiens sont évidemment influencés par leurs parents, ce qu'ils entendent le soir à table. Certains élèves gays qui s'assument prennent cher en ce moment, leurs camarades les insultent, les traitent de “tapettes”, leur disent “va te faire enculer”. D'autres souffrent en silence, et sont parfois en échec scolaire à cause de ça. Avec mes collègues, on tente de leur parler. Vivement que tout ça se termine ! Même si le chemin parcouru sera partiel, car il reste encore à obtenir la procréation médicalement assistée pour les lesbiennes. »
Claire Lesquoy, 29 ans, Champagne-sur-Oise (Val-d'oise)
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« Je suis là parce que le mariage n'est toujours pas signé, parce qu'il y a trop de violences et de haine. C'est une horreur sans nom ce qu'on entend, Barjot qui veut faire couler le sang. J'ai envie de vomir. Je suis gay et catholique, j'ai le droit d'être respectée, d'aimer, d'être heureuse, non? J'ai adhéré en septembre dernier à l'association LGBT chrétienne David et Jonathan. J'ai mis dix ans pour sauter le pas. Mais je le vivais trop mal dans mes églises. Ces derniers temps, les messes se terminaient systématiquement par des appels à manifester contre. Je me suis fait insulter et rembarrer. J'ai rompu avec certaines connaissances. Si on me rejette, je ne vais pas non plus tendre l'autre joue ! Il y a une montée d'extrême violence.
Cette année, je vais aux Journées mondiales de la jeunesse au Brésil. J'y vais pour moi, pour rencontrer des croyants, mais je flippe. J'ai participé à une rencontre préparatoire, beaucoup de participants étaient clairement contre le mariage des homos et l'adoption. Si je n'avais pas la foi, je ne serais pas ici, avec mes pancartes. J'aurais peut-être commis l'irréparable, comme certains jeunes homos qui sont exclus par leurs parents, leur communauté, etc. »
Gilles Leberre et Laurent Delaire, 44 ans, Brou-sur-Chantereine (Seine-et-Marne)
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« On n'est pas des militants, mais on va peut-être le devenir. » Gilles est agent SNCF. Laurent est aide-soignant. Dans leur petite ville, ils participent à la vie sociale. Dans leur boulot, ils n'ont jamais connu l'homophobie. Jusqu'au 24 mars, jour de la grande manifestation des anti-mariage. Gilles était à la maison. On sonne à la porte. Il ouvre, pensant que c'est Laurent qui rentre. « C'était un voisin. Il m'a traité de “trou du cul”, de “pédé”. J'ai claqué la porte. » Gilles et Laurent ont déposé une main courante. C'était la première fois, pas de quoi instruire une plainte, ont dit les policiers. « Pendant dix jours, on a flippé. Mais c'est pas parce qu'on est pédés qu'on doit baisser la tête... » Laurent et Gilles sont émus.
Laurent a confectionné une pancarte qui fait référence aux propos du député UMP Cochet, accusant mercredi la gauche de vouloir « assassiner des enfants » en faisant voter le mariage pour tous, et à l'agression de deux élèves homosexuels dans un lycée d'Isère. « Tout ça me révolte, dit Laurent. C'est indigne, je suis horrifié. » « J'ai été agressé il y a vingt ans. Depuis vingt ans, je n'avais jamais vu un tel climat d'homophobie. » Une fois que la loi sera passée, il espère que la tension va retomber. Et après, dans quelques mois, « bien sûr qu'on va se marier ! » disent-ils, les yeux dans les yeux.
Marie-Astrid Chevalier, apprentie-pâtissière, 19 ans
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« Je vis tout ça très mal. Je vis dans un foyer dans le VIIe arrondissement, juste à côté des Invalides. Tous les soirs je vois ces gens qui manifestent contre mes droits. Je suis d'une famille catholique, je suis croyante. Mais depuis six mois, je suis sortie de l'Église. J'ai rompu. Il y a eu beaucoup de remarques dans mon entourage. Mes parents ont perdu quelques amis qui savent que je suis lesbienne, avec qui ça a clashé. J'ai l'impression que ce débat a remonté plein de choses que les gens gardaient pour eux. Avant, j'avais bien eu quelques regards quand je me baladais avec ma copine. Mais ces derniers mois, les gens verbalisent, j'ai entendu des “sales gouines”. Même au boulot, depuis quelques mois, j'entends parfois des remarques qui me déstabilisent. J'espère qu'une fois la loi passée, tout ça va s'arrêter. »
Cédric, Zoé et Elias, 19 ans, étudiants à Cergy-Pontoise (Val d'Oise)
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Avec leur look un peu BCBG, les trois amis, tous trois étudiants en droit, ne passent pas inaperçus. Cédric, Zoé et Elias sont des enfants de bonne famille. Certains de leurs amis ou des connaissances sont allés manifester avec Barjot & co. Eux ont préféré la Bastille. Zoé, « de droite, catholique et pour le mariage », est hétérosexuelle. « Tout le monde doit avoir les mêmes droits », dit-elle. Dans la banlieue aisée des Yvelines, là où elle vit, elle connaît des parents qui ont chassé leur fils de chez eux « parce qu'il est homo ». Le comportement de la droite la met en colère. Idem pour Cédric. Il est homo, de droite. A milité « quatre ans à l'UMP ». Il vient de quitter le parti en décembre, pour l'UDI centriste de Jean-Louis Borloo. « Quand j'ai vu ce que disaient certains à l'UMP, les Myard, les Jacob, ça m'a dégoûté. Beaucoup de gens ont quitté l'UMP à cause de ça. »
Elias est homosexuel, lui aussi. Ses parents (plutôt de gauche et qui n'ont pas participé aux manifestations anti-mariage) ne sont pas au courant, « même si j'ai lancé des petites piques… ». Du coup, je lui demande s'il préfère ne pas être photographié. « Non non, je veux profiter de votre article pour leur dire, répond-il. Je sais qu'ils me soutiendront. »