Depuis l’élection de François Hollande à la présidence de la République, une douzaine d’enfants ont été placés en rétention. En l’absence d’instructions nouvelles sur la présence de mineurs dans les centres de rétention administrative, les services de police et les représentants de l’État gardent les mêmes habitudes que lors du quinquennat précédent. Après une période d’accalmie pendant la campagne électorale, la cadence s’accélère. Et cela, malgré l’engagement du chef de l’État, lorsqu’il était candidat, de mettre un terme à cette pratique.
Certains sont sortis, à la suite de pressions exercées par le Défenseur des droits et les associations de défense des droits des étrangers sur les préfets concernés et le ministère de l’intérieur. D’autres y sont encore et pourraient y passer une, voire plusieurs nuits supplémentaires.
Au Mesnil-Amelot en Seine-et-Marne, la Cimade signale la présence d’un adolescent seul, ce que la loi interdit totalement. Interpellé mercredi 13 juin, ce Malien de 15 ans a été placé en rétention en vue d’exécuter une mesure d’interdiction du territoire (ITF). Il a pu rencontrer les intervenants de cette association d’aide juridique auxquels il a indiqué avoir fui son pays en début d’année avec un ami, mineur lui aussi. Après avoir traversé le Maroc et l’Espagne, il est arrivé en France. Contrôlé à Auxerre dans l’Yonne en mars, il est passé en comparution immédiate devant le tribunal de grande instance et a été condamné à deux mois de prison ferme et deux ans d’interdiction du territoire pour entrée et séjour irrégulier. À sa sortie de maison d’arrêt, il a été conduit au CRA en vue de son expulsion vers Bamako. Sa carte d’identité, « originale », précise-t-on à la Cimade, est formelle : il est né le 15 novembre 1997 et est donc mineur. Mais, sur ordonnance du juge, les services de police ont fait effectuer un test osseux qui a conclu à sa majorité. Une date de naissance lui a été attribuée arbitrairement : le « 01/01/1994 ». En dépit du manque de fiabilité de ces tests, l’administration leur a fait davantage crédit qu’à l’état civil malien. Le jeune homme risque d’être renvoyé, alors que le Haut commissariat des nations unies pour les réfugiés (HCR) vient de prohiber les retours forcés vers le Mali en raison du chaos persistant dans ce pays.
Également au Mesnil-Amelot, deux familles originaires de Macédoine et de Serbie ont été expulsées vers la Belgique jeudi 14 juin à l’aube, après avoir passé une nuit en rétention. Un nourrisson de huit mois était avec eux, mais leur embarquement, via Le Bourget, a été si rapide qu’aucun représentant de la Cimade n’a pu les rencontrer et les aider à faire valoir leurs droits.
À Oissel, en Seine-Maritime, un jeune ressortissant russe d’origine tchétchène a été enfermé avec ses parents. Jeudi en fin d’après-midi, le juge administratif a ordonné leur libération. Mais ils ont redouté le pire. Ali, âgé de 15 ans, et sa famille devaient être renvoyés en Pologne, pays par lequel ils ont transité avant d’arriver en France en novembre 2011. Une demande d’asile avait été déposée dans l’Hexagone, mais l’administration avait refusé de l’examiner au motif que l’entrée dans l’Union européenne s’est faite par un autre pays.
En tant qu’enfant, son placement en rétention posait problème, même s’il était accompagné de ses parents, comme l’a récemment rappelé la Cour européenne des droits de l’Homme qui a condamné la France pour violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme relatifs à l’interdiction des traitements inhumains et dégradants, aux droits à la liberté et à la sûreté et au respect de la vie privée et familiale. Dans cet arrêt Popov, la cour a estimé que les enfants n’ont pas leur place dans ces lieux, y compris quand ceux-ci sont aménagés pour les « accueillir ». Scolarisé régulièrement, Ali a, par ailleurs, un oncle en France qui a obtenu l’asile. Or, selon le règlement de Dublin II, les personnes fuyant leur pays sont autorisées à demander l’asile dans un État membre si des proches y sont considérés comme réfugiés. La destination, enfin, présentait un danger puisqu’en Pologne les demandes des Tchétchènes sont le plus souvent estimées infondées. Conséquence des accords de réadmission en cascade, la famille aurait pu être renvoyée vers l’Ukraine puis la Russie.
Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, le Défenseur des droits, Dominique Baudis, a demandé au ministre de l’intérieur, Manuel Valls, que la France examine ce dossier et qu’en attendant soit mis fin à la rétention. À chaque fois qu’il est amené à intervenir, il rappelle qu’il existe une solution alternative à l’enfermement, en l’occurrence l’assignation à résidence ou dans un hôtel.
Deux frères et sœurs nés en France, Bélita, quatre mois, et Marc, deux ans, ont subi le même sort. Pendant trois jours, ils ont été « retenus », selon la terminologie administrative, au CRA de Rennes, en Ille-et-Vilaine, avec leurs parents de nationalité angolaise. En famille, ils ont été interpellés à l’issue d’un entretien à la préfecture de Châteauroux dans l'Indre pour lequel ils avaient été convoqués. « Ils ont refusé de signer la proposition de retour volontaire. Quelques minutes plus tard, ils étaient arrêtés à un arrêt de bus et placés » en rétention, indiquent RESF et le Mrap dans un communiqué. Ils avaient déposé une demande d’asile en France, mais, après avoir été déboutés, ils avaient reçu une obligation de quitter le territoire (OQTF), qui devait être contestée jeudi matin devant le tribunal administratif de Limoges. Saisi par le Défenseur des droits, le cabinet de Manuel Valls a fait en sorte qu’ils soient assignés à résidence.
Mesnil-Amelot, Oissel, Rennes, mais aussi Lyon : les cas d’enfermement se multiplient à quelques jours du deuxième tour des élections législatives. « À chaque fois que nous avons alerté le ministère de l’intérieur, une solution rapide a été trouvée », indique Antoine Grézaud, le directeur de cabinet de Dominique Baudis, appelé d’un CRA à l’autre. « Mais, regrette-t-il, depuis le début de la semaine, la situation s’est nettement détériorée. On s’épuise à signaler les cas. Il est temps de donner des instructions claires aux préfets. »
Les interventions du Défenseur des droits se fondent sur la loi organique du 29 mars 2011, mais elles ne sont systématiques, concernant les enfants, que depuis l’arrêt Popov du 19 janvier 2012. Une vingtaine se sont déroulées alors que Claude Guéant était en fonction, sept maintenant que Manuel Valls a pris la relève. Dans l’entourage du ministre de l’intérieur, on indique que « l’ambition du ministère est de tenir l’engagement du président de la République », que le cabinet y travaille « activement » et que « dans l’intervalle », le ministre est « attentif à la situation de chaque famille ».
Une circulaire suffirait à changer la donne. Mais l’une des difficultés pour ses rédacteurs concerne la situation à Mayotte, 101e département français, où, comme le rappelle la Cimade, « des enfants et leurs parents sont enfermés chaque jour en grand nombre dans l’indifférence générale dans un centre de rétention jugé inhumain et dégradant ». Manuel Valls devra trancher : placer cette île en situation d’exception ou appliquer le droit commun.