![Une « marche du million » est organisée dimanche à Kiev pour exiger la démission du gouvernement et le rapprochement du pays avec l'Union européenne. | Sergei Grits/AP Une « marche du million » est organisée dimanche à Kiev pour exiger la démission du gouvernement et le rapprochement du pays avec l'Union européenne.](https://image.over-blog.com/KWMk_UAuu5deiu5W9xPCG_IWCv0=/filters:no_upscale()/http%3A%2F%2Fs1.lemde.fr%2Fimage%2F2013%2F12%2F08%2F534x267%2F3527531_3_3ef2_ill-3527531-afe5-155719_4054c35cb874b6a8ea038923b2da8376.jpg)
L'opposition ukrainienne avait appelé à mobiliser plus massivement que jamais, dimanche 8 décembre, pour exiger la démission du gouvernement et le rapprochement du pays avec l'Union européenne (UE). Ses dirigeants ont placé la barre très haut en appelant à une « marche du million », et nul doute que la guerre des chiffres ne sera pas tranchée de sitôt.
Dans l'après-midi, entre 250 000 et 300 000 opposants étaient rassemblés sur la place Maïdan (place de l'« Indépendance »), brandissant des drapeaux ukrainiens et européens, selon des journalistes de l'AFP. Les organisateurs ont déclaré que le nombre de manifestants avait « approché un million » alors que la police, qui sous-estime généralement l'ampleur de la contestation, a fait état de 60 000 opposants et de 15 000 manifestants pro-Ianoukovitch devant le Parlement, pas très loin de la place Maïdan.
UNE STATUE DE LÉNINE RENVERSÉE
Symbole fort, des manifestants « masqués , qui brandissaient des drapeaux du parti ultranationaliste Svoboda [« liberté »] », selon un porte-parole de la police, ont renversé une statue du chef de la révolution russe de 1917, Lénine, dans le centre de Kiev. Dans une ambiance plus tendue que lors des derniers rassemblements, un groupe de manifestants a quitté la place Maïdan pour aller se positionner devant différents bâtiments administratifs, dont les bureaux de la présidence.
Sur le terrain diplomatique, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et le président ukrainien Viktor Ianoukovitch sont convenus d'une mission de conciliation de la représentante de la diplomatie de l'UE Catherine Ashton à Kiev la semaine prochaine. L'objectif du déplacement de Mme Ashton a été discuté au cours d'un entretien téléphonique au cours duquel M. Barroso a « insisté sur la nécessité de trouver une solution politique aux tensions en Ukraine en instaurant un dialogue avec l'opposition et la société civile ».
Devant les manifestants, Arseni Iatseniouk, l'un des chefs de l'opposition, a appelé à « élargir la contestation » et à « bloquer le quartier gouvernemental ». L'opposante emprisonnée Ioulia Timochenko a réclamé le départ « immédiat » du président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, dans un message lu par sa fille Evguenia devant les manifestants. « Démission ! démission ! », a scandé la foule. « Ne baissez pas les bras, ne faites pas de pas en arrière, ne vous mettez pas à la table des négociations avec ce pouvoir qui a le sang sur les mains », a-t-elle poursuivi. Les manifestants ont ensuite chanté l'hymne de l'Ukraine avec écrivains, philosophes et dignitaires religieux présents sur scène.
![Evguenia, la fille de Ioulia Timochenko, lit un message de l'opposante emprisonnée réclamant le départ « immédiat » du président ukrainien, Viktor Ianoukovitch. | AP/Ivan Sekretarev Evguenia, la fille de Ioulia Timochenko, lit un message de l'opposante emprisonnée réclamant le départ « immédiat » du président ukrainien, Viktor Ianoukovitch.](https://image.over-blog.com/EKPvYQMJqsR0XUB5j5p64nHWguY=/filters:no_upscale()/http%3A%2F%2Fs1.lemde.fr%2Fimage%2F2013%2F12%2F08%2F534x267%2F3527545_3_1f16_evguenia-la-fille-de-ioulia-timochenko-lit-un_3ffdafa90e4df8ca4feb6534705b0e6b.jpg)
Le 1er décembre, entre 200 000 et 500 000 personnes s'étaient réunies sur cette place dans le centre de Kiev, en grande partie motivées par les images de l'assaut brutal mené par la police, la veille, contre des manifestants pacifiques.
SPÉCULATIONS AUTOUR DE LA VISITE EN RUSSIE DE IANOUKOVITCH
Cette fois-ci, la mobilisation a été amplifiée par les spéculations autour de la visite en Russie de Viktor Ianoukovitch, vendredi. Officiellement, le président ukrainien y a discuté avec son homologue russe, Vladimir Poutine, d'un « partenariat stratégique » entre les deux pays, mais l'opposition assure que les deux hommes y ont posé les bases d'une adhésion de Kiev à l'Union douanière, sorte de marché unique à destination des pays de l'ancien espace soviétique, et qui regroupe, outre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et bientôt l'Arménie.
![Des manifestants en faveur du rapprochement de l'Ukraine avec l'Union européenne sur la place de l'Indépendance à Kiev, dimanche 8 décembre. | AFP/SERGEI SUPINSKY Des manifestants en faveur du rapprochement de l'Ukraine avec l'Union européenne sur la place de l'Indépendance à Kiev, dimanche 8 décembre.](https://image.over-blog.com/ihdhETP0jAfXvGIkQFpeq93-ArM=/filters:no_upscale()/http%3A%2F%2Fs1.lemde.fr%2Fimage%2F2013%2F12%2F08%2F534x267%2F3527547_3_e728_des-manifestants-en-faveur-du-rapprochement-de_c698ffd6e3e46e04be5264cae8baebb4.jpg)
« Ce terme d'“Union douanière” sonne très inoffensif, mais pour nous il résonne comme “Union soviétique” », expliquait dans la matinée de dimanche Oleh Vitalyuk, un manifestant venu en bus de Lviv, dans l'ouest ukrainophone du pays. Posté sur l'une des barricades érigées pour défendre la place, cet étudiant expliquait surtout vouloir « se battre jusqu'au bout pour que l'Ukraine devienne un pays civilisé, où règne l'Etat de droit et non la corruption organisée ».
Kiev et Moscou ont démenti que le sujet ait même été abordé, mais l'opposition, qui a reçu ces derniers jours des soutiens appuyés des Européens, a accusé le pouvoir d'avoir « vendu » le pays à Vladimir Poutine.
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LES ARGUMENTS ÉCONOMIQUES DE MOSCOU
Il faut dire que le président Ianoukovitch dispose d'une marge de manœuvre étroite. Le choix entre Union douanière et Union européenne n'est pas seulement « civilisationnel ». Kiev a besoin, et vite, d'espèces sonnantes et trébuchantes. L'Etat dispose de l'équivalent de seulement deux mois de réserves financières, et l'incertitude actuelle pousse de nombreux ukrainiens à convertir leurs grivnas en devises étrangères, faisant planer le spectre d'une dévaluation dont les Ukrainiens connaissent les effets douloureux.
M. Ianoukovitch se trouve donc face à un dilemme majeur : l'UE a peu à offrir, principalement des réformes structurelles qui n'auront pas d'effet avant plusieurs années, et exposeront le pays aux représailles commerciales de la Russie ; celle-ci, par l'arme du gaz et la possible attribution d'un prêt, dispose d'une force de frappe bien plus importante.
Mais Moscou ne se contente pas du refus de M. Ianoukovitch de signer l'accord d'association avec l'UE. Elle demande l'adhésion du pays à l'Union douanière. Une telle démarche placerait non seulement des pans entiers de l'économie ukrainienne à la portée des appétits russes, mais elle diviserait également le pays et pousserait à une radicalisation de la contestation.
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NÉGOCIATIONS « DE COULOIR »
![Une « marche du million » est organisée dimanche à Kiev pour exiger la démission du gouvernement et le rapprochement du pays avec l'Union européenne. | REUTERS/GLEB GARANICH Une « marche du million » est organisée dimanche à Kiev pour exiger la démission du gouvernement et le rapprochement du pays avec l'Union européenne.](https://image.over-blog.com/zCwlbpmLkCz8rBvkvmH2Qh167Ng=/filters:no_upscale()/http%3A%2F%2Fs1.lemde.fr%2Fimage%2F2013%2F12%2F08%2F534x267%2F3527509_3_4a1d_ill-3527509-345c-392452_9b5ca584cd9b9a297f1459a3b8bd2b51.jpg)
La marge de manœuvre de l'opposition n'est toutefois pas beaucoup plus grande. Sur les réseaux sociaux, la marche du million a vite été rebaptisée « marche de la dernière chance ». Si les manifestants sont toujours des milliers à camper chaque jour et chaque nuit place Maïdan, le mouvement a donné des signes d'essoufflement depuis l'échec, mardi, de la tentative de renverser le gouvernement par une motion de défiance au Parlement.
Les chefs qui s'expriment chaque jour à la tribune de la place Maïdan n'appellent plus à la « révolution », comme ils le faisaient en début de semaine, et des négociations « de couloir » ont déjà débuté avec le pouvoir, croyait savoir samedi le journaliste Vitali Portnikov.
OUVERTURE D'UNE ENQUÊTE POUR TENTATIVE DE « PRISE DU POUVOIR »
Evoquée en fin de semaine par des sources anonymes au gouvernement, l'idée d'élections anticipées a été officiellement écartée. En attendant, le pouvoir essaie de façon assez grossière d'endiguer la contestation, et ne peut faire beaucoup plus que de se réjouir de l'arrivée à Kiev de la neige, « un cadeau de Dieu », souriait samedi un député du Parti des régions au pouvoir.
![Des policiers gardent les bureaux du président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, dimanche 8 décembre. | AFP/VIKTOR DRACHEV Des policiers gardent les bureaux du président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, dimanche 8 décembre.](https://image.over-blog.com/r0JbxqkvwTDhRmVcOEZXrQUKIRM=/filters:no_upscale()/http%3A%2F%2Fs1.lemde.fr%2Fimage%2F2013%2F12%2F08%2F534x267%2F3527544_3_b6a4_des-policiers-gardent-les-bureaux-du-president_e4f3f94969edbb7c028ad849d571f84d.jpg)
Les services spéciaux ukrainiens ont annoncé l'ouverture d'une enquête contre X pour tentative de « prise du pouvoir » par « certains hommes politiques ». Selon la journaliste Viktoria Siumar, la présidence a également enjoint aux chaînes de télévision de limiter leur couverture des événements. Le premier ministre, Mykola Azarov, a lui déclaré que le gouvernement était prêt à aider financièrement les manifestants venus de l'Ouest qui n'auraient plus de quoi rentrer chez eux.
L'ampleur de la mobilisation de dimanche aura donc une importance vitale dans la guerre des nerfs que se livrent les deux camps, et pour éviter un « pourrissement » du mouvement qui ne ferait les affaires d'aucune des deux parties.