C’est une pratique de fin de mandat présidentiel : la promulgation de décrets et la parution d'arrêtés en rafale avant de quitter le pouvoir. Les uns, indispensables, pour clore le travail législatif. Les autres, pour satisfaire les demandes des lobbies et soigner les intérêts locaux et électoraux. C’est un travail de l’ombre, sur des dispositions souvent techniques mais porteuses d’effets très concrets pour les secteurs et les personnes concernés.
Mediapart a compilé une série de dispositions de ce type, ces petits cadeaux de dernière minute aux ennemis de l’environnement. Leur publication fut discrète, alors que le gouvernement ne disposait même plus de ministre de l’écologie depuis février dernier, avec la nomination de Nathalie Kosciusko-Morizet comme porte-parole du candidat Nicolas Sarkozy.
- Extension de deux concessions pétrolières en Ile-de-France
Discrétement publiés le 7 mai, au lendemain de l’élection de François Hollande, deux décrets étendent la superficie de deux concessions de pétrole et de gaz en Seine-et-Marne : légèrement pour la concession de Malnoue (de 38,4 à 56,2 km2) mais pour plus du double pour celle de Champotran (de 41,1 à 94 km2). Ces autorisations sont accordées à la société canadienne Vermilion REP jusqu’en 2038. Rien ne dit dans ces décrets que le pétrolier veut y chercher du pétrole ou des gaz de schiste. Mais rien ne l’interdit non plus, puisque la loi ne distingue pas entre hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. « On sait qu’il reste très peu de pétrole conventionnel à trouver dans le sous-sol francilien, explique Philippe Le Corneur, du collectif Stop au pétrole de schiste 77, on reste donc sur une ambiguité. »
Le dossier des gaz et des huiles de schiste devrait rythmer le quinquennat socialiste. Pas moins de 61 demandes de permis d’exploration d’hydrocarbures sont aujourd’hui en cours d’instruction en France. Même si ces permis se gardent bien d’annoncer vouloir utiliser la technique de la fracturation hydraulique – interdite par la loi votée en 2011, sauf dans une fin de « recherche scientifique » –, les pétitionnaires savent qu’il y a plus d’énergie fossile à trouver de cette façon qu’avec les techniques traditionnelles de forage. Selon le collectif ardéchois contre les gaz de schiste, la Dréal Rhône-Alpes, instance délocalisée en région du ministère du développement durable, a reçu en mars un appel du ministère de l’Intérieur pour accélérer l’instruction des dossiers de demande.
En revanche, contrairement à ce qu’a pu laisser croire une rumeur, le « permis de Cahors » n’a pas été validé par l’administration. La requête est en cours d’examen par le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGEIET). Selon la préfecture de l’Aveyron, le dossier a été remonté au ministère il y a un an déjà.
- Restriction de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises
Publié le 26 avril, entre les deux tours de la présidentielle, un décret très attendu définit les contours de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE). Ce fut l’une des grandes batailles du Grenelle de l’environnement, et surtout de l’après loi, car la rédaction des décrets d’application de la RSE fut l’objet d’un intense lobbying, notamment de la part de l’association françaises des entreprises privées (Afep). La loi Grenelle II impose aux entreprises de communiquer sur les conséquences sociales et environnementales de leur activité. Mais depuis, la loi Warsmann relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives a réduit l’ampleur de cette obligation en dispensant de rapports les filiales et sociétés contrôlées dès lors que les informations les concernant figurent dans le rapport de la société qui les contrôle.
Le décret tout juste publié réduit encore la voilure de la RSE en ne la rendant obligatoire que pour les sociétés non cotées uniquement pour celles dont le chiffre d’affaires dépasse 100 millions d’euros et le nombre de salariés est au moins de 500. Par ailleurs, il instaure un calendrier particulièrement progressif : l’obligation de RSE ne s’applique à partir de 2012 que pour les sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros et le nombre de salariés est supérieur à 5 000. Pour celles dont le chiffre d’affaires dépasse 400 millions d’euros avec plus de 2 000 salariés, elle ne s’applique qu’à partir de 2013. Les autres ont jusqu’à 2014. Pour Morgane Piederriere, chargé du suivi législatif pour FNE, « c’est dramatique ». La fédération étudie la possibilité d’un recours contre le décret pour rupture d’égalité devant la loi.