Rédigé par Frédéric Ploquin - Marianne le Mercredi 18 Janvier 2012
Les chiffres de la délinquance sont bons, c'est le ministre de l'intérieur qui le dit. Trucage ?
Avant même qu’il ne présente les chiffres de la délinquance, le sort de Claude Guéant était scellé : l’opposition lui taillerait un costume de grand maquilleur. Le ministre de l’Intérieur a raison de protester, car il se contente de présenter les chiffres que lui fournit l’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Lequel observatoire, dirigé par Alain Bauer, criminologue en chef, ne fait rien d’autre que de mouliner le plus scientifiquement possible les chiffres transmis mois après mois par les services de police et de gendarmerie. Au sens premier du terme, ni Guéant, ni Bauer ne truquent quoi que ce soit.
L’affaire est plus complexe que cela. Comme le remarque justement le député socialiste Bruno Le Roux, ce que l’on présente à l’opinion comme les chiffres de la délinquance ne sont rien d’autre que le reflet de l’activité de la police et de la gendarmerie, laquelle se décide au jour le jour dans les bureaux des états majors. C’est la première grande incompréhension. La présentation officielle des chiffres est tronquée parce qu’elle fait systématiquement l’impasse sur la manière dont ils sont « cuisinés » au quotidien dans les services. Des services où dix ans de sarkozysme policier ont laissé plus que des traces : c’est toute une culture du résultat qui s’est enracinée dans les commissariats et les gendarmeries, avec la certitude que tout bilan négatif entraine automatiquement les foudres de l’échelon supérieur, parfois une sanction publique, une mutations non désirée, exceptionnellement des vexations.
Pas besoin pour le ministre de tripatouiller les statistiques : policiers et gendarmes ont été formatés pour présenter celles qui ne fâcheront pas. Un art qui s’exerce au quotidien dans l’ombre de la salle des machines, loin des regards de la presse et du public.
« Le ministère de l’Intérieur a été mis en coupe réglée par le tandem Sarkozy-Guéant, résume Bruno Le Roux. Ils ont installé une ambiance telle que chacun cherche à plaire ».
Le chiffre proposé mardi 17 janvier à la presse par le ministre de l’Intérieur est presque un chiffre parfait : la délinquance ne baisse pas de manière indécente, mais de 0,34 %, ce qui permet à Claude Guéant d’afficher le sourire des bons jours et de revendiquer neuf années de baisse d’affilée.
Les cambriolages d’habitations principales ont explosé en 2011 (+17,1 %), les homicides volontaires donnent le tournis, avec une hausse de 10,1 %), les violences contre les personnes « se sont accrues de plus de 22 % au cours de la décennie », comme le remarque François Rebsamen, sénateur-maire PS de Dijon… mais le ministre est « satisfait ». Avec un bémol tout de même, puisque Claude Guéant reconnaît lui-même publiquement les limites du « magic number », comme le député PS Jean-Jacques Urvoas appelle le chiffre global de la délinquance, dont il assure qu’il aura servi pour la dernière fois le 17 janvier 2011. Les révolutions, le ministre de l’Intérieur n’est pas contre, mais après lui.