Dassault veut censurer Mediapart
Mediapart est assigné à comparaître, mardi 8 octobre, devant la dix-septième chambre du tribunal de Paris par Serge Dassault. Cette assignation en référé d’heure en heure entend obtenir l’interdiction « de toute publication », qu’elle soit « écrite ou audiovisuelle », « de tout ou partie des enregistrements » révélés par Mediapart dans lesquels le sénateur milliardaire reconnaît la corruption électorale à Corbeil-Essonnes.
Décidément, informer sur les infractions qui pourraient être commises par les puissants est, en France, une bataille sans fin. Trois ans après ses révélations sur l’affaire Bettencourt dont l’intérêt public a encore été illustré cette semaine avec la validation de la procédure judiciaire (lire ici), Mediapart a dû censurer cet été plus de soixante-dix articles après que la justice ait – provisoirement, nous l’espérons – donné raison au gestionnaire de fortune de l’héritière milliardaire, Patrice de Maistre (lire ici et là). Alors que nous nous sommes pourvus en cassation contre un arrêt qui marque une grave régression du droit à l’information, nous sommes de plus renvoyés par les juges de Bordeaux devant un tribunal correctionnel, à l’instar de l'ex-majordome de Mme Bettencourt – lequel assume et revendique ses actes –, pour n’avoir effectué que notre métier, à savoir informer le public dans le strict respect de la déontologie journalistique (lire ici).
Et maintenant voici venir la censure Dassault, contre laquelle nous allons évidemment nous battre pied à pied avec nos avocats, Mes Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, au nom du droit de savoir des citoyens, cette liberté fondamentale qui protège l’information d’intérêt public. Les faits que nous avons révélés, le 15 septembre sous les signatures de Fabrice Arfi, Michaël Hajdenberg et Pascale Pascariello (lire ici et là), n’ont évidemment rien à voir avec la vie privée de Serge Dassault. Ils sont la pièce manquante, depuis saisie par la police sur réquisition judiciaire (lire ici), d’un puzzle en cours d’assemblage par pas moins de trois enquêtes de justice, lequel puzzle met en évidence des pratiques attestées de corruption électorale, d’achat de votes, de liens avec des milieux criminels, etc.
C’est néanmoins la vie privée du sénateur et milliardaire, par ailleurs patron de presse, qu’invoquent ses avocats, Mes Jean Veil et Pierre Haïk. S’appuyant sur les décisions que nous contestons devant la Cour de cassation sur l’affaire Bettencourt, il estiment que « le droit à l’information du public ne peut en aucun cas justifier la diffusion d’enregistrements clandestins » et qualifient celle-ci de « grave atteinte à la vie privée, constitutive d’un trouble manifestement illicite ». Si elle entrait définitivement dans notre jurisprudence, cette interprétation signifierait une immense régression du droit à l’information car elle ruinerait le droit du public à être immédiatement informé des éléments de preuves fondant nos révélations. Jusqu’alors, une jurisprudence libérale, confirmée par la Cour européenne des droits de l’homme, protégeait le droit de la presse en estimant que l’intérêt public manifeste d’une information, et notamment la révélation de délits ou de crimes, l’emportait sur l’origine éventuellement illicite des preuves sur lesquels elle s’appuyait.
Tel est le débat fondamental qui se tiendra devant le tribunal de Paris, le 8 octobre à partir de 10 h 30. Son enjeu immédiat est la sauvegarde des informations révélées par Mediapart qui sont, aujourd’hui, au cœur des investigations policières et judiciaires, comme ce fut le cas, en 2010, pour les enregistrements Bettencourt, devenus d’évidentes preuves pour la justice. Serge Dassault demande en effet leur suppression totale, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard. Il demande de surcroît l’interdiction de les publier « sur toute publication papier, électronique ou autre », de nouveau sous astreinte de 10 000 euros par extrait publié. Il demande enfin notre condamnation à lui payer 1 000 euros pour « réparation de son préjudice ».
S’il fallait une raison supplémentaire pour soutenir notre appel (il est ici), lancé avec Reporters sans Frontières (RSF), en défense du droit de savoir, Serge Dassault vient de la fournir. Face à la révolution numérique, à ses potentialités libératrices, à ses informations partagées, à ses citoyens lanceurs d’alertes, à ses réseaux horizontaux échappant aux pouvoirs établis, une contre-offensive prend forme, à l’échelle nationale et internationale. Elle entend non seulement empêcher la conquête et l’exercice de nouvelles libertés démocratiques, mais aussi, à cette occasion, faire reculer les droits existants, et notamment le droit de la presse tel qu’il fut conquis et construit.
C’est pourquoi nous vous invitons à vous mobiliser en défense de la liberté de l’information, du secret des sources et des lanceurs d’alertes. C’est le thème de la réunion publique, reprenant l’intitulé de notre appel commun, que nous organisons dimanche 29 septembre avec Reporters sans Frontières : « Nous avons le droit de savoir ». Elle se tient à partir de 19 h 30 au Théâtre de la Ville, place du Châtelet à Paris, et sera retransmise en direct sur Mediapart. Parmi les nombreux intervenants (le programme est ici), vous pourrez notamment entendre, outre les intellectuels Pierre Rosanvallon et Edgar Morin ainsi que MeJean-Pierre Mignard, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, qui interviendra en duplex depuis l’ambassade de l’Équateur à Londres où il est reclus depuis plus d’un an.
Signez et faites signer l’appel si ce n’est déjà fait, et rendez-vous dimanche soir. En attendant, merci de votre soutien et de votre fidélité, tant nous ne sommes rien sans vous.
