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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 14:46

 

 

mediapart.fr

Dassault: cent ans de subventions

|  Par Martine Orange

 

 

Depuis un siècle, la famille Dassault est nichée au cœur de l’État. À partir de la conception d’une hélice, Marcel Dassault a réussi à constituer un monopole privé dans l’industrie de défense. Des milliards d’argent public ont permis de bâtir une fortune privée dont l’influence s’étend sur tout le champ politique.

 

L’embarras est manifeste. À l’exception de quelques élus de l’Essonne, la classe politique – droite et gauche confondues – garde un silence prudent sur les dernières révélations du système mis en place par Serge Dassault à Corbeil-Essonnes, sa convocation ce mercredi 2 octobre par les juges d'Évry (finalement reportée), qui enquêtent sur le volet “règlement de comptes” et tentative d'homicide, ou encore la perquisition chez son notaire.

L’homme est riche – 5e fortune de France estimée à 12,8 milliards d’euros selon le dernier classement de Challenges –, et puissant. Dirigeant du groupe Dassault, Serge est aussi propriétaire du Figaro. Mais la gêne va bien au-delà. Car Dassault incarne le capitalisme français poussé à son paroxysme, d’une fortune privée bâtie sur un concubinage notoire avec l’État.

Depuis près de cent ans maintenant, la famille Dassault est nichée comme un coucou au cœur de l’appareil étatique. De la défense à la politique, elle pèse depuis des décennies sur les choix régaliens de la nation. Vivant de la commande publique, la famille se veut pourtant l’exemple de l’entreprise privée. Nationalisé par deux fois – en 1937 et en 1981 –, le groupe familial est toujours parvenu à conserver son indépendance, dictant ses choix aux gouvernements successifs au gré de ses intérêts, sans rencontrer la moindre résistance.

De droite comme de gauche, tous les gouvernements se sont pliés à leurs demandes. Marcel, le fondateur du groupe, puis Serge Dassault ayant toujours su trouver les soutiens nécessaires, dans tous les camps politiques, pour imposer leurs vues. « Je les ai tous payés », confiera Marcel Dassault au début des années 1980. Un précepte familial, en quelque sorte. 

 

 
© dr

Le destin de Marcel Dassault – alors Marcel Bloch – a été propulsé par une hélice. En 1915, ce jeune ingénieur aéronautique de 23 ans, issu d’une famille bourgeoise juive, met au point une hélice en bois, l’Éclair, dans l’atelier de meubles de son futur beau-père, au cœur du faubourg Saint-Antoine. L’armée, qui a compris avec la guerre l’importance de l’aéronautique naissante, s’intéresse à ce prototype qui améliore sensiblement le rendement des hélices existantes. Les premières commandes affluent. Marcel Bloch s’installe comme l'un des fournisseurs de l’armée. Il n’en bougera plus.

Avec son ami et associé, Henry Potez, il crée la société des études aéronautiques, qui développe en 1918 un biplace de chasse. L’armée lui passe commande de 1 000 exemplaires. Mais la guerre s’achève. La commande est annulée en 1919.

Voyant tous les budgets militaires fondre, Marcel Bloch délaisse pour un temps l’aéronautique et se lance dans la fabrication et l’immobilier. Un secteur qu’il n’abandonnera jamais. À côté de ses avions, il maintiendra toujours une activité de promotion immobilière qui a contribué à arrondir la fortune familiale. Il a notamment été très actif dans les années 1960 et 1970, participant à de nombreux projets aux côtés de Francis Bouygues et Robert de Balkany, promoteur vedette très influent dans les Hauts-de-Seine, qui conçut notamment Parly 2.

En 1929, Marcel Bloch renoue avec l’aéronautique : le ministère de l’air a décidé de reprendre de vastes programmes d’équipement. Les crédits affluent. Avec son associé, Henry Potez, ils mettent au point un système industriel qui reste la marque de fabrique de Dassault. À eux la conception des avions et le montage final. Tout le reste est sous-traité à l’extérieur. Les fameux bureaux d’études de la société, dont la préservation est invoquée à chaque fois qu’il faut débloquer de nouveaux subsides d’État, sont en place.

Dans le bouillonnement de l’aéronautique de l’entre-deux-guerres, la société anonyme des avions Marcel Bloch est très en pointe. Elle multiple les innovations et les nouveaux modèles. Déjà, l’homme n’a pas son pareil pour s’introduire dans les cabinets ministériels et capter les financements publics à son profit. Il sort grand gagnant dans l'importante réorganisation de l’industrie aéronautique lancée par Pierre Cot, ministre de l’air du Front populaire – son directeur de cabinet est Jean Moulin –, entre le pôle public et le pôle privé.

 

 
© DR

Ses usines ont certes été nationalisées et il a été confortablement indemnisé. Mais Marcel Bloch a pu conserver la multitude de petites PME qu’il a créées, où sont notamment logés les bureaux d’études qui travaillent avec les sociétés nationales aéronautiques. Bénéficiant d’une image de patron social et novateur pour avoir institué les congés payés dès 1935, il obtient du gouvernement un statut très à part : tout en étant entrepreneur privé, il dirige la nouvelle société nationale des constructions aéronautiques, qui a repris une partie de ses usines nationalisées.

Pour parfaire cet édifice si profitable, il crée de nouvelles sociétés privées qui travaillent pour l’entreprise publique à partir des plans conçus par ses bureaux d’études. Pas étonnant que Marcel Dassault en 1981 ait été le seul patron à ne pas s’opposer à la nationalisation de son groupe : céder le capital n’est rien pour lui, s’il conserve le pouvoir industriel. Ce que l’État lui a toujours concédé : on ne bride pas un génie de l’aéronautique. Ce partage des rôles a été des plus payants pour la famille Dassault. L’appareil de l’État et les finances publiques seront à la disposition du groupe pour l’aider à se réorganiser, à se débarrasser des activités jugées inutiles ou dépassées, à payer la recherche et les diversifications.

Le bel édifice, cependant, s’écroule en février 1940. Marcel Bloch est obligé de démissionner de la société publique avec toute son équipe : l’armée et le ministère de l’air se plaignent des performances, jugées très insuffisantes, de ses avions testés pendant la drôle de guerre.

Commence la période noire de la famille. Dès son avènement, le gouvernement de Vichy a lancé le processus d’aryanisation de l’économie, consistant à dépouiller les familles juives et à mettre à leur place de serviles et cupides exécutants de Vichy et de Berlin. Marcel Bloch a réussi à mettre à l’abri une partie de ses intérêts en confiant la direction de certaines de ses sociétés à des amis, mais pas toutes. De sinistres intrigants prennent sa place dans le groupe.

Dans un premier temps, il est, malgré tout, un peu ménagé, en étant assigné à résidence. Car Berlin souhaite obtenir la collaboration de cet ingénieur mondialement renommé. Mais Marcel Dassault refuse toutes les avances. Face à ce refus obstiné, il est emprisonné avec toute sa famille au fort de Montluc à Lyon. Mais il résiste toujours. Alors, le 25 août 1944, par le dernier train en partance de Drancy, il est déporté à Buchenwald. Pendant neuf mois, il ne sera plus que le matricule 39611.

« À partir de maintenant vous êtes sous la protection du parti communiste français », lui dit dès son arrivée au camp de concentration Marcel Paul, communiste éminent, qui deviendra le puissant ministre de la production industrielle à la Libération. L’industriel, qui a raconté fréquemment cette histoire par la suite, n’oubliera jamais cette protection, apportant toute sa vie un soutien financier important au parti communiste. Celui-ci le lui rendra bien. Malgré les désaccords politiques évidents, les uns et les autres se parleront toujours et se retrouveront parfois.

À son retour de déportation, en avril 1945, Marcel Bloch entame une deuxième vie. Il change de nom pour prendre celui de Marcel Dassault, par référence au nom de résistance de son frère, Paul Chardasso, qui a rejoint les forces libres à Londres dès juin 1940. Il se convertit au catholicisme. Mais il garde sa passion pour l’industrie aéronautique.

Un compromis sur mesure

À peine rentré de Buchenwald, il est allé voir Charles Tillon, ministre communiste de l’air, de l’armement et de la reconstruction dans le premier gouvernement de la Libération, une lettre de recommandation de Marcel Paul à la main. Marcel Dassault n’a qu’une demande : retrouver rapidement ses usines et ses biens pour rebâtir une grande industrie aéronautique française.

Charles Tillon accepte tout de suite la proposition. Le ministre a de grandes ambitions pour l’industrie aéronautique française. Il entend que les arsenaux nationaux aéronautiques, répartis géographiquement (Sud Aviation, Nord Aviation, Centre Aviation, etc.), soient à la pointe de l’effort de reconstruction. S’adjoindre les compétences de Marcel Dassault dans ce projet ne peut que lui plaire. Et puis, il n’y a pas tant d’industriels qui ont eu un comportement exemplaire au sortir de la guerre.

La grande ambition aéronautique ne durera pas deux ans. Dès 1947, les crédits sont coupés : la défense n’est plus une priorité pour le gouvernement. Les arsenaux nationaux licencient des milliers de personnes. Pour donner du travail à ceux qui restent, les sociétés bricolent, produisent de l’électro-ménager, des pièces mécaniques des petits équipements. Pendant ce temps, la société des avions Marcel Dassault s’épanouit. Alors que la France s’est engagée dans les guerres pour maintenir ses colonies, il est allé chercher des brevets aux États-Unis pour construire des avions de transport, indispensables à l’armée française.

La délégation générale de l’armement soutient la démarche : en pleine guerre froide, la France est sur le point de rallier l’OTAN. Si elle ne veut pas apparaître comme simple supplétif dépendant des armements américains et britanniques, elle doit avoir sa propose industrie de défense. Marcel Dassault persuade qu’il est l’homme de la situation : il a l’expérience, les compétences et le soutien des Américains. 

À l’instigation de Marcel Dassault, le gouvernement décide un grand compromis en 1949 pour fixer le partage des rôles dans l’industrie aéronautique française, dont les effets se font encore sentir 70 ans plus tard. L’industrie aéronautique publique se voit confier la mission de s’engager dans le secteur ultra-concurrentiel de l’aviation civile, en développant des avions long et moyen-courriers et des hélicoptères, ce qui formera plus tard la base d’Airbus. Dassault, en association avec Breguet – qu’il rachètera plus tard –, obtient, lui, bien que privé, le monopole sur le marché ultra protégé de l’aéronautique de défense, et les soutiens financiers publics qui vont avec. Ce monopole sera encore renforcé par Pierre Messmer, alors ministre des armées, qui interdira en 1965 à l’aéronautique publique de conserver la moindre compétence dans la recherche sur l’aéronautique de défense.

D’emblée, Marcel Dassault reprend l’organisation industrielle qui lui a été si bénéfique avant-guerre : il a ses bureaux d’études, garde la conception et l’assemblage final et sous-traite tout le reste. Ses modèles sont conçus de façon simple. C’est le client qui paie tous les développements et les équipements. Et le premier client de Dassault, c’est l’armée française.

 

Le Mirage IV 
Le Mirage IV© groupe Dassault

Les modèles d’avion militaires se succèdent à un rythme soutenu : Vautour, Ouragan, Mystère 1, Mystère II, Mystère III, Mystère IV, Mystère 20 et bientôt le premier Mirage qui apparaît en 1956. Mais le vrai succès aéronautique du groupe est le Mirage IV, premier avion de chasse européen à voler à Mach 2.2 et désigné pour porter l’arme atomique. Cet avion devient mythique lors de la guerre des Six Jours en 1967 : l’armée israélienne, équipée de ce modèle dans une version développée avec Israël à partir de la fin des années 1950, détruit le 5 juin 1967 la quasi-totalité des MIG (avions russes) égyptiens. Dès lors, tous les gouvernements veulent des Mirage. Le groupe Dassault en vendra plus de 1 400 exemplaires dans le monde entier. Marcel Dassault était déjà une référence, il devient dès lors intouchable.

Philanthropie

Marcel Dassault a travaillé pendant des années pour se fabriquer ce piédestal. Dès ses débuts, il a lié des relations assidues avec l’armée. La délégation générale de l’armement, qui supervise toutes les commandes de l’État, est particulièrement soignée. Nombre d’ingénieurs ou de généraux qui y ont travaillé termineront leur carrière en coulant des jours dorés dans le groupe Dassault. Les membres des cabinets ministériels et le personnel politique sont aussi choyés. Marcel Dassault connaît tous ceux qui peuvent avoir une influence ou un pouvoir de décision sur les dossiers aéronautiques et d’armement.

Mais l’industriel finit pas penser qu’il est mieux de défendre sa cause directement et de s’engager personnellement dans la politique. En 1951, il se présente aux élections législatives dans le Var et est élu sous l’étiquette du Rassemblement du peuple français (RPF), le parti de De Gaulle, créé en 1947. Mais cinq ans plus tard, les élections suivantes voient sa défaite. Marcel Dassault en est mortifié. Une partie de la classe politique avec lui.

Le RPF va se mettre en quatre pour effacer l’affront : le sénateur RPF de l’Oise, Robert Séné, accepte de démissionner de son poste pour lui laisser sa place. En contrepartie, Marcel Dassault lui a racheté à prix d’or son quotidien régional, L’Oise libérée. En 1958, il se présente à la députation et est élu comme député de l’Oise. Il sera constamment réélu jusqu’à sa mort, en 1986. Son petit-fils, Olivier Dassault, prendra sa succession : en politique aussi, il y a des fiefs héréditaires.

 

 
© dr

Piscines, terrains de sports, écoles, gymnases, on ne compte plus dans l’Oise les bâtiments réalisés grâce à l’argent de l’avionneur et qui portent son nom. Toutes les communes de sa circonscription bénéficient d’une attention particulière. Les électeurs reçoivent des cadeaux à Noël pour les enfants, plus quelques enveloppes pour ceux qui font l’opinion. À en croire les avocats de Serge Dassault, celui-ci s’est inscrit dans ces mêmes « actions philanthropiques », dans le sillage de son père, à Corbeil-Essonnes.

Marcel Dassault donne la pleine mesure du pouvoir d’influence de l’argent. Pendant des années, il finance à chéquier ouvert toutes les campagnes gaullistes et des forces politiques qui peuvent le soutenir. L'un de ses protégés, Albin Chalandon, qui préside au début des années 1960 la banque du groupe, est l'un des rouages importants du dispositif dans les années 1960. Au courant de tout, il devient en même temps trésorier, puis secrétaire général de l’Union pour la nouvelle république (UNR), le nouveau parti gaulliste créé en 1958, au retour du général de Gaulle au pouvoir. Il sera par la suite ministre de l’équipement dans plusieurs gouvernements successifs, sous de Gaulle et Pompidou, avant de prendre la présidence d’Elf. Des postes considérés comme les tirelires du parti gaulliste.

Les gaullistes ont renvoyé l’ascenseur, notamment au moment des privatisations de 1986. Alliée à Jean-Marc Vernes, la famille Dassault a créé une nouvelle banque en 1983, après les nationalisations de 1981. La banque Vernes, présentée comme une des banques du RPR, sera partie prenante à la formation de la quasi-totalité des noyaux durs, censés protéger les entreprises au moment des privatisations de 1986. Récoltant à chaque fois à bas prix de 0,5 % à 2 % du capital, Jean-Marc Vernes et la famille Dassault seront ainsi associés à toutes les bonnes affaires des privatisations décidées par le RPR, ce qui leur permettra de grossir leur pelote.

Mais Marcel Dassault ne commettra jamais la faute de pratiquer l’exclusive : tous les autres partis politiques touchent aussi leur obole. Selon des clés de répartition dont le groupe garde le secret, tous auront droit à des aides. Cela explique sans doute que les grands contrats à l’exportation réalisés par le groupe Dassault ne donneront jamais lieu à de grands déballages et règlements de comptes suite à des affaires de rétro-commissions, comme cela a pu être le cas chez Thales ou Lagardère. En ce domaine, Serge Dassault semble là aussi s’être mis dans le sillage de son père. Même chez ses adversaires politiques, on trouve peu de détracteurs de Serge Dassault (voir la vidéo de Melenchon).

Un homme politique, cependant, a droit à un traitement à part dans le système Dassault : Jacques Chirac, un intime de la famille. Son père, Abel-François Chirac, est un proche de Marcel Dassault dans les années 1930. Financier de la société aéronautique, il convainc l’avionneur et son associé, Henry Potez, d’avoir leur propre banque. Après le rachat d’un petit établissement bancaire, la banque Josse Lippens, Abel Chirac en prend la direction. Il devient un des hommes clés de la société, au courant de toutes les affaires, de toutes les intrigues, veillant sur le développement du groupe autant que sur la fortune privée des deux associés.

Jacques Chirac, lui, passe toutes ses vacances et la guerre à Rayol, la propriété varoise de la famille Dassault et de son associé, Henry Potez. Il devient le fils adoptif de Marcel Dassault, le fils qu’il aurait voulu avoir. La vieille haine de Serge Dassault contre son père, contre Jacques Chirac, qui ne s’est jamais éteinte malgré le temps, remonte à ces années d’enfance (revoir la truculente vidéo d’Antoine Perrault).

Sous ce haut parrainage, Jacques Chirac est introduit en 1962 – il a alors 30 ans – auprès de Georges Pompidou, alors premier ministre. Dans l’esprit de Marcel Dassault, son protégé est destiné à aller au ministère de l’air ou des armées. Il va d’abord au Budget. En 1967, Jacques Chirac décide de se lancer en politique et brigue une circonscription en Corrèze. Marcel Dassault lui apporte sans compter son soutien. Il achète pour lui une feuille de chou locale, L’Essor du Limousin, dépêche pour s’en occuper Philippe Alexandre, qui dirige alors le journal électoral de Marcel Dassault dans l’Oise avant de devenir directeur de Jours de France, le magazine de la vie heureuse créé en 1954 par Marcel Dassault, ne traitant ni de guerres, ni de conflits sociaux ou politiques, ni de faits divers.

L’avionneur observe avec satisfaction l’ascension politique de son poulain. Les liens entre les deux hommes sont indéfectibles jusqu’à la fin. Tout juste nommé premier ministre au moment de la mort de Marcel Dassault (94 ans) en avril 1986, Jacques Chirac tient à faire lui-même l’allocution pour l’enterrement de l’avionneur.

« On ne t'a pas payé pour cela »

Marcel Dassault a laissé totalement ouverte sa succession, ne faisant rien pour désigner son fils Serge. Pendant des années, il a refusé de lui confier la moindre responsabilité dans l’aéronautique, préférant donner la direction opérationnelle à des ingénieurs proches plutôt que d’accorder la moindre parcelle de pouvoir à son fils. En public, Marcel ne s’est pas privé de dire qu’il le jugeait incompétent. Il l’a cantonné à Dassault Électronique, une filiale du groupe créée 1953, spécialisée dans l’électronique de défense, les terminaux bancaires et les logiciels de conception, qui s’est fort bien développée.

 

 
© reuters

L’heure de la revanche, après les humiliations, a enfin sonné, pense l’héritier. Mais il n’y a pas que Marcel Dassault qui doute des capacités de Serge. André Giraud, ministre de la défense et puissant patron du corps des mines, s’interroge aussi. Pour lui, il n’est que temps que l’État reprenne les rênes d’un groupe dont il a fait la fortune et qui entend imposer ses vues. Le refus du groupe de participer à toute coopération européenne pour construire seul le Rafale, successeur du Mirage, et l’imposer à l’armée, quitte à mener celle-ci dans l’impasse, pèse lourd notamment dans les considérations du ministre de l’armée.

Alors que la première cohabitation vient de commencer, ni François Mitterrand à l’Élysée ni Jacques Chirac à Matignon n’ont envie d’ouvrir les hostilités sur le dossier de la succession de Marcel Dassault. Tous les deux doivent tant à la famille. François Mitterrand aussi lui est redevable. Il n’a pas oublié le soutien constant de Pierre Guillain de Bénouville, bras droit de Marcel Dassault et intermédiaire politique discret, acceptant de le défendre jusque devant l’Assemblée, au nom des liens de la Résistance. Ni l’un ni l’autre n’ont envie de bousculer le schéma normal : à 61 ans, Serge Dassault accède enfin à la direction du groupe.

Des années après, Serge Dassault est toujours persuadé que c’est Jacques Chirac et non André Giraud qui a voulu d'entrée l’éliminer. Sa conviction se renforcera avec l’épisode de 1995. À peine arrivé à l’Élysée, Jacques Chirac reprend l’idée de réorganiser l’industrie d’aéronautique et de défense française et de l’inscrire dans un cadre européen. Mais pour cela, il faut reprendre le contrôle de Dassault à la famille et l’amener à fusionner avec Aérospatiale avant de se lancer dans la coopération européenne. La réponse de Serge Dassault à Jacques Chirac est cinglante : « On ne t’a pas payé pour cela », raconte-t-il dans un entretien sur France 3, en mars 2009. « J’ai été sauvé par la dissolution (du Parlement) de 1997 », ajoute-t-il dans son long récit. La grande réorganisation se fera deux ans plus tard. Mais c’est Lagardère et non Dassault qui sera le pilier français de ce qui deviendra EADS, renommé aujourd’hui Airbus.

 

 

« Peut-être est-ce parce que j’ai moins participé à ses campagnes », expliquait Serge Dassault pour justifier ses mauvaises relations avec Jacques Chirac. « Je ne le lui ai jamais pardonné », conclut-il. Même sans cela, il y avait déjà des années qu’une vieille haine opposait Serge Dassault et Jacques Chirac.

Si Serge Dassault déteste Jacques Chirac, il ne tarit en revanche pas d’éloges sur Nicolas Sarkozy. Le jeune maire de Neuilly n’a pas eu besoin de beaucoup d’explications pour comprendre le poids et le rôle de la famille Dassault dans l’organisation du RPR. Très vite, il fait une cour assidue à Serge, qui a en plus l’immense mérite d’habiter sa ville. La rupture entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy renforcera encore les liens. Serge Dassault ne ménagera pas son soutien pour aider à l’ascension de Nicolas Sarkozy, rival de son meilleur ennemi.

« Nicolas Sarkozy, je n’ai vraiment rien à lui reprocher. Il agit de façon concrète », dit Serge Dassault. Le chef d’entreprise aurait du mal à se plaindre. Car rarement une entreprise a été aussi aidée que Dassault sous la présidence de Sarkozy.

 

 
© Reuters

À peine élu, Nicolas Sarkozy se fait le VRP du groupe pour décrocher des contrats de vente du Rafale à l’étranger. Il annonce des grands contrats en Libye, au Brésil, aux Émirats arabes unis, en Inde. Pour l'instant, aucun Rafale n’a finalement été vendu à l’étranger. À l'Élysée, Claude Guéant, anime une cellule spéciale pour assurer le suivi. Le groupe Dassault semble beaucoup plus détaché sur les questions. Il est vrai que le Rafale est désormais plus une question de finances publiques qu’un problème pour le groupe : le programme, qui était estimé à 25,6 milliards d’euros à son lancement en 1985, a déjà coûté plus de 40 milliards. L’État a pris à sa charge 85 % du développement de l’avion imposé par Dassault. Que le groupe en vende ou non à l’extérieur n’est donc pas un problème, il est déjà rentré largement dans ses frais. L’État, par contre…

Thales en cadeau

 

Olivier et Serge Dassault 

Mais le plus beau cadeau fait à Serge Dassault est incontestablement Thales. En mai 2009, Nicolas Sarkozy décide que les 20,6 % du capital du groupe d’électronique et de défense détenus par Alcatel-Lucent seront repris par Dassault, qui est déjà actionnaire du groupe. EADS, qui est sur les rangs, se voit interdire de se porter candidat. Rien ne doit faire obstacle à la prise de contrôle de Dassault. Bien que premier actionnaire de Thales, l’État lui donne toutes les clés, lui laissant le contrôle opérationnel, le choix des hommes, le dispensant même de faire une OPA.

Dassault ne pouvait rêver mieux. Car le groupe traverse une passe très difficile : depuis le Rafale, sorti en 1985, il n’a plus conçu aucun avion de combat. Les fameux bureaux d’études travaillent au ralenti tandis que l’activité d’avion d’affaires – Falcon, filiale américaine du groupe –, ne parvient plus à compenser la chute de la défense, en raison de la crise. Surtout, l’État sort le groupe d’une impasse stratégique : à l’heure des drones et des guerres à distance, ce ne sont plus les avions de chasse qui comptent mais tous les équipements d’électronique de défense. Un domaine où Dassault n’est pas du tout présent, mais où Thales figure parmi les leaders mondiaux. Pour conclure ce bel ouvrage, Nicolas Sarkozy imposera que la construction de drones soit confiée à Dassault travaillant avec des fournisseurs israéliens plutôt qu’à EADS, malgré l’opposition de l’armée.

Thales a été traité, selon la méthode de Serge. Dès l’arrivée du groupe, lui et son bras droit, Charles Edelstenne, véritable dirigeant opérationnel du groupe, ont débarqué le patron du groupe de défense pour le remplacer par un responsable plus docile. L’expérience a duré à peine deux ans : il a fallu trouver en urgence un nouveau dirigeant pour Thales. Un compromis bancal a abouti à la nomination de Jean-Bernard Levy, ancien PDG de Vivendi. Mais même chaotique, cette opération a sauvé le groupe Dassault.

En 2005, Nicolas Sarkozy, bien qu’au gouvernement, organise en tant qu’avocat, en collaboration avec Bernard Monassier, fidèle notaire de la famille Dassault, la succession de Serge, à la demande de ce dernier. Rien n’en a fuité mais les rumeurs et les manœuvres traduisent l’impatience qui gagne.

Comme son père, Serge a refusé de céder la moindre once de pouvoir à ses enfants et les a cantonnés loin des vrais centres de décision. Olivier est chargé de gérer le pôle presse du groupe (Le Figaro, Valeurs actuelles, etc.). Laurent s’occupe avec le mari de sa sœur Marie-Hélène de la discrète et très riche holding Groupement industriel Marcel Dassault (GIMD). C’est là qu’est concentrée la fortune familiale, les Dassault continuant à faire prospérer leurs biens, soit dans des groupes importants – Dassault est notamment actionnaire important de Veolia, de la banque d’affaires italienne Mediobanca aux côtés de Bolloré, de la CNP, la holding d’Albert Frère. Des groupes puissants où la politique et l’influence ne sont jamais très loin de l’argent – soit dans des opérations de diversifications et d’immobilier – Dassault est notamment associé au groupe Borletti dans l’opération du Printemps. Thierry est un investisseur dans les médias et les nouvelles technologies.

En 2009, Oliver Dassault a fini par s’énerver : « Je suis clairement candidat à la succession. Je suis le seul à être ingénieur, à être pilote, à être élu de la nation et à avoir des contacts politiques au plus haut niveau (sic). Je pense être sincèrement le plus qualifié », déclare-t-il dans La Croix. « La succession n’est pas ouverte », a sèchement répliqué Serge Dassault par communiqué de presse. 

Tout pourrait pourtant s’accélérer. Les dernières révélations sur ses agissements à Corbeil-Essonnes affaiblissent durement Serge Dassault. Mais déjà, l’agitation que suscite la conservation de la participation d'Airbus (ex-EADS) à hauteur de 46 % du capital de Dassault laisse à penser que les grandes manœuvres ont commencé autour du groupe Dassault. Chacun, et surtout ses enfants, semble se préparer à la succession. Serge Dassault risque de ne pas pouvoir s’accrocher plus longtemps.

 

 

 

 

 

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