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Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

Dans les "villes mortes" autour de Fukushima

Reportage | LEMONDE | 19.10.11 | 13h53   •  Mis à jour le 19.10.11 | 13h54

 
 

D'Iitate à Hirono Envoyé spécial - Vallées où se succèdent rizières et vergers, les alentours de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima sont une région connue pour ses cultures biologiques et son écotourisme. Mais entre Iitate, au nord, et Hirono, au sud - soit une bonne centaine de kilomètres -, beaucoup de villages et de hameaux sont désertés. Maisons fermées, étables vides, serres à l'abandon. La végétation gagne l'asphalte des routes de campagne. Parfois, on croise un chien errant.

Ces agglomérations fantômes sont situées dans un arc de cercle d'un rayon de 10 km autour de la zone évacuée - et toujours interdite d'accès - de 20 km autour de la centrale. Dans cette zone, les habitants n'étaient pas contraints de partir, mais ils devaient se calfeutrer chez eux et être prêts à évacuer. La moitié de la population (58 500 personnes) a préféré s'en aller. Début octobre, le gouvernement a annoncé qu'il n'y avait plus de danger et a levé les mesures de préparation à une évacuation d'urgence. Mais personne n'est revenu.

La plupart des habitants partis d'eux-mêmes ne font plus confiance aux annonces officielles. "Entre les informations des journaux, des télévisions, des sites Internet et les annonces gouvernementales, nous sommes perdus. On ne croit plus personne", dit un pompiste sur la nationale 399, qui passe en contrebas de l'agglomération d'Iitate. Dans cette petite ville de 6 000 habitants, les maisons et les magasins aux étagères encore garnies sont fermés.

Cinq familles sont restées, dont un couple d'octogénaires. "Nous sommes âgés. Alors il vaut mieux quitter ce monde dans un lieu que nous connaissons", dit l'homme, Yoshiaki Shoji. Les autres habitants sont la centaine de vieillards de la maison de retraite et le personnel qui s'en occupe. Dans les rues désertes, les feux continuent de régler une circulation inexistante, excepté de sporadiques patrouilles de voitures de police, gyrophare allumé.

Iitate est l'un des tristes exemples des errements de la délimitation des zones contaminées en cercles concentriques, sans tenir compte du relief et des microclimats. L'agglomération se trouve à l'extérieur du périmètre des 30 km, à une quarantaine de kilomètres au nord-est de la centrale. Mais, bien que des experts aient détecté un taux élevé de radiations au lendemain de l'explosion du 15 mars dans le bâtiment d'un réacteur, l'évacuation n'a été décidée qu'un mois plus tard, le 22 avril. Le ministère de l'éducation et des sciences vient de confirmer la présence de plutonium dans le sol.

Pour l'instant, le taux de radioactivité à Iitate s'élève à 0,93 microsieverts par heure (µSv/h), mais dans des localités voisines, comme Namie et Shimo Tsushima (situées dans le périmètre des 20 km), il atteint 7,1 µSv/h. A l'intérieur comme à l'extérieur des zones déclarées dangereuses, les niveaux de radioactivité varient considérablement.

Plus au sud, à Kawauchi, difficile d'accès par des routes serpentant à travers de petites montagnes boisées, à peine 10 % des 2 700 habitants sont restés. Dans la lugubre tombée du jour, seuls le poste de police et une maison sont éclairés.

Un jeune couple charge des affaires dans une voiture. Hideo Suzuki et sa femme sont revenus pour quelques heures. Ils vivent dans un logement provisoire dans la ville de Koriyama. Salarié d'une entreprise de construction, M. Suzuki est au chômage. "Revenir ? Rien n'a été fait pour décontaminer. Et on ne sait pas ce qu'on fera des enfants. Ici, l'avenir est bouché", dit-il.

Près de la salle des congrès Big Palette, à la périphérie de Koriyama, un millier d'évacués de Kawauchi logent dans des maisonnettes alignées. L'espace est réduit, mais elles sont bien aménagées, et certaines sont égayées de jardinières de fleurs.

Les habitants sont pessimistes : "On est fatigués d'attendre, explique un trentenaire, électricien dans une entreprise qui a fermé. Le gouvernement ne dit rien sur l'avenir. On est là. On attend. Le travail ? Pour chercher un emploi stable, il faut savoir ce que l'on fera dans six mois, dans un an." En raison du stress, le taux de mortalité parmi les personnes âgées de Kawauchi a doublé, dit un employé de la mairie.

Au sud de J-Village, complexe de détente des employés de Tokyo Electric Power (Tepco), exploitant de la centrale de Fukushima, Hirano (5 500 habitants) est aussi une ville fantôme. La population est partie dans la précipitation à la suite de l'explosion. Pendant des jours, les habitants ont dormi dans leur voiture dans les grandes villes voisines. Seules 200 personnes travaillant à la centrale sont restées.

"A la suite de l'annonce du gouvernement, on s'attendait à des retours. Mais personne n'est revenu", raconte Hirofuni Nakatsu, responsable de la planification à la mairie. Avec un collègue, il est le seul fonctionnaire à être resté dans le grand bâtiment vide de la mairie. "Pour que les habitants reviennent, poursuit-il, il faut donner des garanties que les risques sont écartés. Ils ont trop subi, le séisme, le tsunami puis la crise nucléaire. Ils seront difficiles à convaincre. Les jeunes, eux, ne reviendront pas."

A proximité de la centrale, Hirano pourrait devenir le point d'appui des entreprises de décontamination. "Mais il faudra des années avant que la ville renaisse. Si c'est possible", conclut l'employé de mairie.

A 5 km au nord, la nationale 6 est coupée par des barrages de police. C'est l'entrée dans la zone interdite des 20 km. En minibus, équipés de combinaisons de protection et de masques, les habitants peuvent y pénétrer par groupes pour quelques heures. Ils ramènent des images de désolation de ces villes abandonnées ; de leur maison envahie de toiles d'araignée et d'herbes folles ; çà et là, des cadavres d'animaux qui n'ont pas été déblayés. "Je ne veux plus y retourner, dit une vieille dame visiblement émue. Là-bas, la vie a été effacée."

Au nord de la zone où le gouvernement a mis fin à l'état de préparation à une évacuation rapide, la municipalité de Minamisoma, lasse d'attendre que Tokyo décide de commencer la décontamination, procède par elle-même.

Sur les 70 000 habitants, près de la moitié ont quitté la cité et pourraient ne jamais revenir. Cet exode se fait sentir dans les cinq hôpitaux de la ville : le personnel médical y est moitié moins nombreux, alors que nombre des patients a augmenté de près de 8 % depuis la catastrophe. Sans un sursaut local, Minamisoma risque de demeurer une ville blessée à jamais.

Philippe Pons

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