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24 septembre 2013 2 24 /09 /septembre /2013 14:47

 

 

mediapart.fr

Dans les turbulences du populisme antifiscal

|  Par Laurent Mauduit

 

 

Lancé le 20 août par Pierre Moscovici, le débat sur le « ras-le-bol fiscal » ne cesse de prendre de l'ampleur, à la veille de l'examen en conseil des ministres du projet de budget pour 2014. Débat trouble, qui agite des thématiques dont l'extrême droite avait, dans le passé, le monopole, celui de la détestation de l'impôt.

 

Le projet de loi de finances pour 2014 qui sera examiné, mercredi 25 septembre, par le conseil des ministres va donner le coup d’envoi d’un débat sur les impôts parmi les plus glauques qui aient jamais eu lieu sous un gouvernement de gauche. Parce que François Hollande a renié toutes ses promesses de campagne, et mène désormais une politique fiscale clairement ancrée à droite, sous les applaudissements du patronat. Mais aussi, et c’est beaucoup plus grave, parce que les dirigeants socialistes ont pris la très lourde responsabilité de lancer eux-mêmes un débat autour du « ras-le-bol fiscal » et d’alimenter une campagne populiste contre les impôts, campagne qui depuis plus d’un siècle n’était la spécialité que de la droite ultralibérale sinon même de l’extrême droite.

Pas de surprise ! Ce projet de loi de finances pour 2014 vient en effet confirmer que François Hollande n’a pas la moindre intention d’engager la « révolution fiscale » qu’il avait promise pendant la campagne présidentielle, dans le but de recréer un grand impôt citoyen progressif sur le revenu, par le biais notamment d’une fusion de l’impôt sur le revenu et de la Contribution sociale généralisée (CSG). Pis que cela : ce projet, visant à alourdir la charge des contribuables plus fortunés pour alléger celle des plus modestes, a non seulement été enterré mais François Hollande a même fixé un cap qui va totalement à l’opposé. Au lieu de réduire les inégalités, le chef de l’État a choisi de les creuser, en majorant les prélèvements sur les ménages afin de pouvoir financer des allègements massifs au profit des entreprises. C’est ainsi que les 20 milliards d’euros qui sont offerts aux entreprises sous la forme de crédit d’impôt, pour susciter un soi-disant « choc de compétitivité », seront financés par une hausse de la TVA, l’impôt le plus injuste du système fiscal français – alors que le candidat François Hollande avait dénoncé la hausse de la TVA voulue par Nicolas Sarkozy dans le même but.

De surcroît, les salariés qui vont devoir faire face à une majoration de leur cotisation retraite de 3,2 %, au terme de la réforme des retraites décidée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, seront en réalité soumis au régime de la double peine. Car le gouvernement a fait la promesse aux entreprises qu’elles seront soumises à une hausse identique de 3,2 % pour la part patronale des cotisations retraite mais que cette somme leur sera compensée, dans le cadre d’une réforme du financement de la branche famille de la Sécurité sociale. En clair, ce seront les salariés qui seront appelés à la rescousse. En bref, c’est un immense transfert de charges, des entreprises, vers les ménages, que le gouvernement engage. Et c’est sans conteste, l’une des politiques fiscales les plus conservatrices et les plus pro-patronales qui aient jamais été engagées en France depuis longtemps, même sous Nicolas Sarkozy (lire Impôts : la révolution conservatrice de Moscovici).

D’autant qu’en plus de tout cela, il y a encore le nouveau plafonnement du quotient familial qui va intervenir. Sans compter aussi les mesures fiscales nouvelles que l’on ne connaît pas encore et que l’on découvrira mercredi, à l’issue du conseil des ministres. Sans compter encore les mesures qui seront annoncées pour financer les 6 milliards d’euros pour le projet de financement de la Sécurité sociale.

Bref, le premier choc de ce projet de loi de finances pour 2014, c’est qu’il porte la marque d’un véritable changement de cap fiscal. Ce n’est pas que François Hollande a oublié en chemin quelques promesses électorales – après tout, si ce n’était que cela, il pourrait faire valoir qu’il n’est pas le premier à promettre beaucoup et à faire peu ! Non, le chef de l’État applique des réformes fiscales dont il n’avait jamais parlé pendant sa campagne et qui étaient ardemment souhaitées… par le camp d’en face. Voilà donc le premier séisme que va provoquer ce projet de loi de finances pour 2014 : c’est un budget d’agression fiscale contre les plus modestes.

Mais il y a un second séisme qu’il faut bien prendre le temps d’examiner car, dans l’histoire de la gauche, il est sans précédent, et sans doute autrement plus grave que le premier. Dans le prolongement de ce changement de cap, le gouvernement a en effet pris le risque, de son propre chef, de lancer un débat hautement dangereux, celui sur le « ras-le-bol fiscal ».

Tout cela est évidemment tristement logique. Puisque le gouvernement a tourné le dos à la « révolution fiscale » qui avait pour ambition d’alléger la charge des salariés les plus modestes et d’alourdir celle des plus fortunés, le voilà aujourd’hui, dans la foulée, qui met en cause les impôts eux-mêmes et non pas leur inégale répartition.

Ayrault et Hollande en stéréo discordante

Pour la petite histoire, c’est l’ex-ministre fraudeur du budget, Jérôme Cahuzac qui le premier, au début de 2013, a fait entendre une étrange petite musique, suggérant que la France était assommée par des impôts décidément trop élevés et que le temps était venu de jouer la carte de la « stabilité fiscale ». Il l’a notamment suggéré le lundi 23 février, lors d’un entretien sur Europe 1 avec Jean-Pierre Elkabbach :

 

 

Le propos est tout à la fois prétentieux et obscur, mais on comprend au moins que c’est effectivement la « stabilité fiscale » qui est devenue la priorité du gouvernement.

Mais c’est surtout Pierre Moscovici, à la fin de l’été, qui va faire une sortie sidérante sur le même sujet et lancer un concours de couacs dans les sommets du pouvoir. Sur France Inter, le ministre des finances use en effet, pour la première fois, de cette formulation néo-poujadiste de « ras-le-bol fiscal ».

 

« Je suis très sensible à ce ras-le-bol fiscal que je ressens de la part de nos concitoyens, qu'ils soient des ménages, des consommateurs, ou qu'ils soient des entreprises, et ça nous l'écoutons », dit-il, déclenchant par ces mots une polémique qui ne va cesser de prendre de l’ampleur au cours des jours suivants. Pour une double raison. D’abord parce que la droite a alors beau jeu d’interpeller ce ministre amateur qui déplore benoîtement des hausses d’impôt dont il est… le premier responsable. Mais surtout parce qu’en lançant cette formule de « ras-le-bol fiscal », Pierre Moscovici déclenche, qu’il l’ait voulu ou non, une campagne de détestation de l’impôt.

Dans la foulée de cette sortie, c’est donc l’affolement dans les sommets du pouvoir. Et tour à tour, François Hollande et Jean-Marc Ayrault essaient de calmer le jeu, mais ils s’y prennent si mal, se contredisant l’un l’autre, que pour finir la controverse poujadiste sur le « ras-le-bol fiscal » prend de l’ampleur au lieu de s’éteindre. Dans un entretien au Monde, le 30 août, François Hollande annonce ainsi que la stabilité fiscale sera effective dès 2014 : « Grâce à l'engagement de substantielles économies, le temps est venu de faire – plus tôt qu'il n'avait été prévu – une pause fiscale », promet-il. En stéréo discordante, Jean-Marc Ayrault affirme, lui, dans le quotidien gratuit Métro, le 18 septembre, que la pause fiscale sera « effective en 2015 ». Une belle cacophonie qui alimente chaque jour davantage la campagne autour du « ras-le-bol fiscal ».

Oui, la campagne ! Car le sujet devient à la mode, et certains médias et quelques journalistes s’en emparent et chevauchent à leur tour les thématiques ambiguës de Pierre Moscovici. Tant et si bien qu’à la radio, à la télévision, sur les réseaux sociaux, il n’est plus question que de cela : du soi-disant ras-le-bol des contribuables.

 

 

Un jour, ainsi peut-on lire sur Twitter cette stupéfiante conversation entre trois journalistes, dont deux sont au Monde, et le troisième en fut. « J’ai reçu ma fiche d’impôt, j’ose pas ouvrir », plaisante le premier. « Moi, j’ai ouvert la mienne ce soir, j’ai failli m’évanouir », rétorque la deuxième. « Tu peux y aller : 10 % de revenus en moins, 10 % d’impôts en plus », commente le troisième. Des tweets qui ont été discrètement supprimés par leurs auteurs après que je me fus mêlé de la conversation, par ce commentaire : « C’est une politique fiscale de droite, pour les hauts revenus, mais vos propos suintent le populisme radical. »

Le lendemain, c’est dans les colonnes mêmes du Monde (18 septembre 2013- payant) que l’on peut lire un stupéfiant article, où l’on apprend, sans rire, que « le ras-le-bol fiscal gagne… les banques ! » et que « les dirigeants des grandes banques françaises sont aux abois ». Ledit article qui s’apparente à un tract du lobby bancaire ne prend même pas le soin de préciser que les chiffres qu’il cite proviennent d’un rapport controversé, comme l’observera le lendemain un article incisif de Marianne, intitulé Foutage de gueule : les banques écrasées par le fisc.

Le surlendemain, c’est au Grand journal de Canal+ que l’on peut assister à un débat surréel entre le chroniqueur économique ultralibéral de France 2, François Lenglet, venu faire la promotion de son dernier livre, et Hélène Jouan, journaliste de France Inter, laquelle évoque avec son interlocuteur la pression fiscale à laquelle sont soumis les contribuables et en vient à lui demander s’il est donc concevable qu’il y ait un jour en France une... « révolte fiscale ».

Poujadisme

Et à tous ces bavardages insipides mais qui finissent par créer un climat, on pourrait ajouter ces étranges publicités qui fleurissent dans les gazettes et qui, s'appuyant sur la politique du gouvernement, promettent d'alléchantes défiscalisations : « 0 euro d'impôt pendant 9 ans » (voir ci-dessous).

 

 

Bref, de jour en jour, il n’est question que de cela. Jusqu’à l’overdose. Sans que jamais personne dise leur vérité aux dirigeants socialistes : le problème, ce n’est pas qu’il y ait trop d’impôts, c’est qu’ils pèsent d’abord sur les bas revenus tandis que les hauts revenus profitent plus que jamais de scandaleuses niches fiscales ! Le problème, c’est qu’il fallait une nouvelle Nuit du 4-Août, et qu’au lieu de l’engager, ils ont encore renforcé les privilèges et les inégalités.

Le plus stupéfiant, dans ce climat trouble où des dirigeants socialistes alimentent eux-mêmes le populisme antifiscal, c’est surtout qu’il ne se trouve aucune grande voix pour rappeler que le consentement à l’impôt est l’une des valeurs fondatrices de la République. C’est le grand principe, édicté par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme: « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Depuis – et jusqu’à la grande vague libérale qui a commencé dans les années 1980 –, l’impôt a toujours été conçu comme l’un des instruments du bien commun. Et il n’y a guère eu que les courants les plus radicaux de la droite ou l’extrême droite à le contester et à avoir l’antifiscalisme comme fonds de commerce.

Qui ne se souvient de la fin des années 1920 ? Aux côtés des ligues qui prennent une importance croissante et qui vont défier la République le 6 février 1934, il y a aussi une Fédération nationale des contribuables (FNC), qui se crée en 1928 et qui rassemble de « braves gens » écrasés par les impôts. « Nous entreprendrons une marche convergente vers cet antre qui s'appelle le Palais-Bourbon, et s'il le faut, nous prendrons des fouets et des bâtons pour balayer cette Chambre d'incapables », proclame en janvier 1933 l’éditorial du Réveil du contribuable, l’organe de la FNC.

Qui ne se souvient du poujadisme, aussi, qui a eu le succès que l’on sait dans les années 1950, avec de nombreux députés élus à la Chambre, dont un certain… Jean-Marie Le Pen, et dont le principal fonds de commerce était encore une fois l’antifiscalisme, avec à la clef la mise à sac des trésoreries publiques.

Bref, c’est là un terrain glissant sur lequel s’est engagé Pierre Moscovici, et à sa suite beaucoup de dirigeants socialistes. Car le cheval de bataille du « ras-le-bol fiscal », seuls ces courants radicaux l’ont dans le passé enfourché, et aujourd’hui, c’est le Front national qui est l’héritier de ces combats. En d’autres temps, la gauche, elle, défendait d’autres valeurs. Elle faisait valoir que l’impôt était la concrétisation du lien solidaire entre des citoyens responsables. À l’époque où Nicolas Sarkozy projetait, lors de la campagne présidentielle de 2007, de dynamiter les droits de succession, il s’est même trouvé des intellectuels de gauche pour lancer un appel, dans lequel ils disaient leur fierté de consentir à l’impôt. Il était intitulé Pourquoi nous soussignés consentons à l’impôt. Et l’appel commençait pas ces fortes paroles : « Nous, soussignés, assujettis à l'impôt sur le revenu et, pour certains d'entre nous, à l'impôt de solidarité sur la fortune, considérons ces prélèvements comme légitimes et sommes fiers d'apporter ainsi notre contribution aux dépenses publiques nécessaires au progrès, à la cohésion sociale et à la sécurité de la nation. »

Quelque temps auparavant, Martine Aubry avait écrit un livre Il est urgent d'agir (Éditions Albin Michel), dont le chapitre consacré aux questions fiscales avait pour titre : « Vive l'impôt ! »

Faut-il que les socialistes d’aujourd’hui aient perdu tous leurs repères pour, oubliant tout cela, jongler avec des thématiques aussi dangereuses ?

 

 

 

 

 

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