Le Monde.fr | 28.06.2012 à 12h53 • Mis à jour le 28.06.2012 à 12h53
Par Isabel Jonet, présidente de la Fédération européenne des banques alimentaires
L'Europe est confrontée aujourd'hui à des défis que l'on croyait avoir fini de relever : pauvreté, taux de chômage élevé et malnutrition. La Fédération européenne des banques alimentaires (FEBA), qui coordonne 245 centres de collecte et de distribution de denrées alimentaires dans 21 pays d'Europe, contribue à nourrir 5 millions d'Européens dans le besoin – un chiffre qui a considérablement augmenté depuis la crise financière.
Or le Programme européen d'aide alimentaire aux plus démunis (PEAD) risque d'être fortement réduit, voire supprimé par les chefs d'Etats européens au moment où il est le plus nécessaire. A l'occasion du sommet européen des 28 et 29 juin, la FEBA appelle les chefs d'Etats à préserver ce programme vital.
L'hiver de 1947, en Europe, fut l'un des plus rudes du XXe siècle. Et l'été de cette même année fut l'un des plus secs. A travers le continent d'après-guerre, les récoltes étaient insuffisantes et la pénurie alimentaire aiguë. Dans des régions où même pendant la guerre, le montant quotidien des calories reçu par les adultes était supérieur à 2 000, ce nombre a été divisé par deux. Dans certains pays, il a été divisé par trois.
Il est difficile d'imaginer une telle rudesse de nos jours. L'Union européenne semble avoir résolu les problèmes de malnutrition du continent. Dans la plupart des pays européens, la consommation moyenne par personne est supérieure à 3 500 calories par jour – presque le double de ce que la FAO considère comme le minimum quotidien nécessaire (1 900 calories).
Et pourtant, il ne faut pas se laisser aveugler par ces chiffres apparemment confortables qui masquent des disparités importantes qui s'accentuent avec la crise économique affectant de nombreux pays européens.
L'apparente abondance dans cette partie du monde, comme aux Etats-Unis et au Canada, cache des besoins en nourriture cruciaux pour les personnes les plus démunies. La récente augmentation des demandes d'aide alimentaire que connaissent les banques alimentaires et les autres associations montrent que le problème est réel et ne peut pas être ignoré.
Jusqu'à l'année dernière, l'Union européenne gérait un programme d'aide alimentaire dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC). Le programme réservait une partie des excédents de production générés par la PAC pour les distribuer aux personnes démunies.
Mais la diminution des stocks, cumulée au refus de certains Etats membres de compléter le manque par des achats sur le marché, a mené le programme à un point de rupture. Au point où nous en sommes, il paraît condamné.
Pour faire face, l'Union européenne a mis sur la table une proposition – qui doit être discutée au prochain sommet européen – d'élaborer "un nouveau mécanisme d'aide alimentaire pour les plus démunis" dans le cadre du budget 2014-2020.
Dans un effort de contrecarrer l'opposition de quelques Etats membres, ce fonds ne ferait pas partie de la PAC, ni du Fonds social européen, mais serait un programme sui generis destiné à soutenir les politiques de cohésion sociale et stratégie territoriale de l'Union européenne 2020.
Le montant proposé pour ce programme n'est que de 335 millions d'euros, comparés aux 500 millions de celui qui est sur le point de se terminer. Cette somme est une goutte d'eau dans l'océan, à l'échelle des fonds européens, et dérisoire au regard de l'aide financière accordée aux banques.
Mais même avec ce montant, le programme ne doit pas être rejeté, surtout dans un contexte où l'aide alimentaire est la réponse à des situations que ne savent pas gérer certains systèmes nationaux d'aide sociale.
Le travail effectué par les organisations comme les Banques alimentaires n'est pas qu'une question de distribution de nourriture. Il s'agit d'atteindre des personnes en marge de la société et de les réinsérer. Nous ne donnons pas simplement quelque chose à manger aux gens. Nous apportons aussi l'espérance à ceux qui, dans beaucoup de cas, ont tout perdu. Et en partenariat avec d'autres associations, nous contribuons à créer de la cohésion sociale dans les moments où elle est indispensable, comme la période que nous sommes en train de traverser.
L'Union européenne est confrontée à de gigantesques défis qui vont mettre à l'épreuve son sens de l'unité et montrer si notre société est encore une référence internationale en matière d'intégration sociale et de citoyenneté.
L'Union européenne ne peut pas se débarrasser d'un programme tel que l'aide alimentaire qui permet d'entrer en contact avec les personnes en situation de pauvreté et exclues de la société.
Les conséquences d'un arrêt du programme seraient dramatiques. A certains endroits, l'aide alimentaire disparaîtrait complètement. Dans d'autres, elle serait réduite de moitié. Parmi les associations avec lesquelles nous travaillons, beaucoup seraient contraintes de fermer, rompant ainsi le tissu de liens sociaux qu'elles aident à créer.
L'arrêt accentuerait aussi le sentiment que les institutions européennes sont aveugles et loin des besoins concrets des personnes.
L'une des raisons de la création de l'Union européenne et de la PAC était d'éviter la répétition de ce qui s'est passé en 1947. Ce n'est pas si loin et nous ne devrions pas l'oublier. Nous croyons que les chefs d'Etats européens ne l'oublieront pas lorsqu'ils se réuniront à Bruxelles les 28 et 29 juin.
Isabel Jonet, présidente de la Fédération européenne des banques alimentaires