Les marins naviguant dans les mers tropicales connaissent parfaitement ce moment et le redoutent : cet œil du cyclone où les éléments s’apaisent, annonçant non pas l’accalmie mais le déchaînement à venir. Et il semble que l’économie mondiale est à ce moment-là. Tout paraît suspendu. Les vacances d’été, les jeux olympiques offrent une distraction, tandis que les responsables politiques sont partis en vacances, laissant accroire que tout est sous contrôle. On ne parle de rien. Pourtant, c’est l’été de tous les dangers. Le dérèglement de la crise ne cesse de s’approfondir.
Chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles. La plus importante de la journée est la confirmation d’une situation que les Européens ont anticipée depuis plusieurs semaines : l’Europe dans son entier entre en récession. Après la Grèce, l’Espagne, l’Italie , le Portugal, ce sont désormais les économies centrales européennes qui sont atteintes.
La France, selon les estimations de la Banque de France, devrait connaître un recul de 0,1% de son PIB au deuxième et troisième trimestre. La Banque d’Angleterre a dû reconnaître ce jeudi 8 août, que ses prévisions passées étaient erronées : après deux trimestres de recul de l’activité, l’économie britannique ne peut plus espérer finir 2012 en croissance, comme la banque centrale l’avait escompté auparavant.
Les statistiques du commerce extérieur allemand, publiés aussi ce jeudi, sont venus confirmer les appréhensions : le moteur allemand, censé entraîner le reste de l’Europe, est lui aussi en train de s’étouffer. Si l’Allemagne enregistre encore un excédent commercial de 16,2 milliards d’euros au mois de juin, l’essentiel provient d’une chute de plus de 3% de ses importations, alors que ses exportations commencent à baisser. Un ralentissement que connaissent aussi les exportations françaises, accentuant encore le déficit commercial ( 34,9 milliards d’euros) de la France au 1 er semestre.
Le plus surprenant est que cette dégradation semble prendre tout le monde de court. Des banques centrales aux instituts de statistiques, ils se sont tous trompés depuis le début de l’année, n’anticipant pas la récession, et surtout la vitesse à laquelle elle s’opère. Ainsi le gouvernement français bâtissait il y a un an un budget 2012 sur une prévision de croissance de 2,25% . Celle-ci a été revue quatre fois à la baisse , une dernière fois en juin : il n’était plus question que d’une croissance de 0,3% . Pas sûr que ce chiffre puisse être tenu. En tout cas, les hypothèses de croissance ( 1,2%) sur lesquelles le gouvernement a bâti son projet de loi de finances pour 2013 paraissent déjà hors d’atteinte.
De même, à la mi -2011, la banque d’Angleterre prévoyait encore une croissance de 2% en 2012. Fin mars, elle avait abaissé ses prévisions à 0, 8% . Maintenant, elle dit croissance zéro et ne s’aventure pas pour 2013. La banque d’Italie prévoyait encore une récession de 1,4% en 2012 et un rebond de la croissance en 2013. Elle parle désormais d’une chute de 2% en 2012 et d’une récession qui se poursuit en 2013. Et que dire des prévisions du gouvernement grec ? Au début de l’année, il s’attendait à une récession , la cinquième consécutive, de 4,5%. Les chiffres donnent déjà l’image d’un effondrement de plus 7%. Si cela se confirme, plus de 20% du PIB grec aurait été effacé en cinq ans.
Toutes ces prévisions pourraient encore être trop optimistes, au vu de la chute économique en Europe. A plus de 11, 5%, le chômage n’a jamais été aussi élevé dans la zone euro, depuis sa création. Et ce n’est qu’une moyenne qui permet de masquer les 25% de chômage en Espagne les 22% de la Grèce, les 15% du Portugal et de l’Irlande.
La confiance a disparu chez les Européens, hantés par la crise et tétanisés par l’exemple de la Grèce. La consommation est partout en recul. Symbole : les immatriculations de voitures neuves, secteur industriel encore prépondérant en Europe, ont chuté de plus de 11% en juin, avec des pointes de plus de 22% en Italie. La production industrielle s’anémie. En Espagne, elle est en baisse pour le dixième mois consécutif, enregistrant une chute de 12,8% en juin pour les biens d’équipements, et de 11,9% pour les biens de consommation. La production industrielle française était en recul de 2% en mai, celle de l’Allemagne de 0,9% en juin.
Tout cela laisse anticiper de lourdes conséquences sociales dès la rentrée. Les plans sociaux, qui se sont à peine interrompus en août, risquent de reprendre très vite, au vu de la dégradation économique. En présentant leurs résultats du premier semestre, les grands groupes n’ont d’ailleurs pas caché leurs intentions. Ils renoncent à tout investissement, ont déjà commencé à lancer de nouveaux plans d’économie. Ils ont même commencé à se retirer, au moins partiellement, de l’Espagne , qu’ils jugent pour l’instant sans grande perspective.
La crainte de voir l’économie européenne entraînée dans une spirale totalement récessive n’est même plus un scénario de science-fiction. D’autant que l’Europe, ne tirant aucune leçon de l’effondrement actuel, nourri par les politiques d’austérité appliquées partout en Europe à la fois, a décidé d’en rajouter.
Pour tenter d’éviter la mise sous tutelle du pays, le gouvernement espagnol, qui avait déjà lancé un plan d’économie de 65 milliards d’euros, entend le pousser à 102 milliards, au moment où les régions espagnoles font faillite, où des hôpitaux et des fonctionnaires ne sont plus payés, où des écoles ne pourront peut-être pas rouvrir à la rentrée. En Italie, le gouvernement vient de faire voter un programme de 4,5 milliards d’euros supplémentaires tout de suite. La France veut trouver plus de 12 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année. Au terme d’un neuvième plan consécutif de réforme, la Grèce cherche à nouveau 11,5 milliards d’euros de réductions budgétaires, et est prête, pour donner les gages attendus à ses créanciers européens, à briser le tabou du non-licenciement des fonctionnaires, au risque de mettre en péril la fragile coalition gouvernementale, issue des élections de juin.
Loin de rassurer, cette politique d’austérité généralisée, imposée avec des relents de moralisme, finit par inquiéter : l’Europe n’ouvre aucune perspective à ses concitoyens et suscite de plus en plus le rejet. Même le très orthodoxe FMI en arrive à émettre des réserves. Dans sa dernière note sur la zone euro, il soutient la nécessité de ne pas oublier des mesures pour soutenir la croissance , parallèlement aux réformes à entreprendre, sous peine de voir les menaces sur le système bancaire et sur la zone euro s’intensifier.
Alors que les flux financiers mais aussi économiques sont en train de se renationaliser au sein du marché unique, l’éclatement de la monnaie unique est désormais une option sur la table, le président de la BCE, Mario Draghi tentant de la conjurer par antiphrase en assurant que l’euro est irréversible. Le président de l’Eurogroup, Jean-Claude Juncker, lui fait un pas de plus dans cette direction, en suggérant que la « sortie de la Grèce de l’euro n’était pas ingérable ».