« Cela faisait trente ans qu'on attendait ce jour, 126 Rafale de dernière phase en Inde ! [...] C'est un signe de confiance pour l'économie française. »
La presse n'est pas en reste. Quelle formidable nouvelle ! Le contrat du siècle ! Douze milliards d'euros ! Des emplois ! Un succès commercial sur un marché extraordinairement difficile !
Nous ne partageons pas cet enthousiasme. Au risque de paraître naïf, nous pensons que la France devrait s'abstenir de vendre des matériels de guerre.
Des armes qui servent
La vente de Rafale à l'Inde est d'autant plus contestable que c'est un pays qui connaît des tensions avec le Pakistan voisin... auquel la France a d'ailleurs vendu des sous-marins. Ce ne sont donc pas des avions de parade que nous leur cédons.
Certes, la situation actuelle est calme. Mais ces armes n'ont pas de date de péremption : les matériels que l'on vend à un pays dont les relations avec ses voisins semblent « stabilisées » peuvent servir, quelques années plus tard, à tuer des innocents.
Parmi les clients de la France, on compte des pays qui traversent des conflits comme la Colombie, Israël ou le Tchad. La France a ainsi vendu des munitions à la Syrie ; elle a vendu des missiles antichars Milan et des réseaux de télécommunication au régime libyen du colonel Kadhafi. Est-on fier de l'usage qui en a été fait ?
Un Rafale s'apprête à se poser sur le porte-avions Charles-de-Gaulles, le 27 mars 2011 (Benoit Tessier/Reuters)
Des marchés corrompus
Ces marchés militaires reposent sur les commissions occultes énormes. Des élites corrompues, dans le monde entier, se sont enrichies grâce à ces ventes. Cet argent détourné est un facteur d'aggravation de la pauvreté dans les pays du sud. Comment peut-on se réjouir de participer à un tel système ? Ceux qui parlent de « moraliser » ces marchés sont des joueurs de pipeau.
Mettre un terme à ces ventes d'armes coûterait cher en emplois, c'est certain. L'industrie de la défense, en France, représente 165 000 emplois directs et autant d'emplois indirects. Et un tiers du chiffre d'affaires du secteur est réalisé à l'exportation. Autrement dit, une reconversion du secteur, si elle devait être décidée, prendra du temps. Pour commencer, il faudrait que la France s'interdise de vendre des armes à des pays impliqués dans un conflit armé et aux pays qui violent les droits humains.
Mais le système des exportations d'armement n'a pas que des vertus économiques : il conduit parfois à des gaspillages gigantesques, comme ce fut le cas avec les mésaventures du Rafale (la Cour des comptes ferait d'ailleurs bien de se plonger dans le dossier Dassault Industrie). Par ailleurs, ces contrats à l'exportation ont toujours des contreparties cachées. Qu'a-t-on promis à l'Inde en échange des 126 Rafale ? Quels seront, par exemple, les transferts de technologie ?
Enfin, il ne faut pas sous-estimer le coût de ces ventes d'armes, pour la France, en termes d'image et de crédibilité diplomatique.
Que fait le Parlement ?
C'est au Parlement, censé contrôler ces ventes d'armes, de se saisir de ces questions. Hélas, personne ne semble très préoccupé par la question au palais Bourbon. L'opacité règne sur ces marchés, comme l'a dénoncé Amnesty international. Et les parlementaires se contentent d'applaudir docilement quand le Président, VRP en chef de nos armements, annonce des contrats juteux.