Source : www.mediapart.fr
Le ministre de l’intérieur avait indiqué que le marché d’études urbanistiques, attribué en avril 2011 à son ex-compagne, avait été interrompu, sans indemnité, par son successeur. En réalité, il lui a attribué un second marché en mai 2012.
C’est un conflit d’intérêts à tiroirs que Manuel Valls a laissé derrière lui, en quittant la présidence de l’agglomération d’Évry en juillet 2012. En avril 2011, comme Mediapart l’a relaté ici, le ministre de l’intérieur a attribué à City Linked, une société créée peu auparavant par son ex-compagne, Sybil Cosnard, une « mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage » pour la mise au point du « projet de territoire » de la communauté d’agglomération Évry Centre Essonne (CAECE).
Manuel Valls avait indiqué à Mediapart que ce marché de 450 300 euros avait été interrompu en 2012, sans indemnité, par son successeur. En réalité, le ministre a attribué un second marché à City Linked, en mai 2012, avant de quitter la présidence de la CAECE, le 9 juillet 2012. Et il lui en avait confié un autre encore pour réaliser le dossier de candidature de l’agglo d’Évry au projet de grand stade de rugby.
L’ancien député et maire d’Évry a donc signé non pas un, mais trois marchés en faveur de la société de Sybil Cosnard, qui a été directrice générale chargée du développement urbain de cette ville de 2004 à 2008. Bien connu à Évry, l’architecte avec lequel Sybil Cosnard s’est associée pour ce second marché, Daniel Vaniche, a reçu en outre les insignes de chevalier de l’ordre national du Mérite sur le contingent du ministre de l’intérieur en novembre 2012.
Écarté lors du premier appel d’offres, en avril 2011, l’architecte Michel Cantal-Dupart a expliqué à Mediapart avoir été surpris par les modalités de cette mise en concurrence. « J’ai pensé que c’était plutôt politique, (…) que c’était ciblé, qu’ils avaient déjà quelqu’un en tête », a-t-il commenté, signalant que son projet chiffré à 243 700 euros était nettement moins disant que celui du groupement formé par City Linked avec l’architecte Roland Castro. Michel Cantal-Dupart déplore les « appels d’offres fléchés ». « Les commissions d’appel d’offres, on leur donne des ordres et après on dit qu’elles ont choisi, assure-t-il. Je n’en veux pas à Manuel Valls, mais j’éclaire sa lanterne pour les futurs appels d’offres. »
« C’est un groupement que nous avons retenu, et surtout pas sa directrice, que nous connaissions, bien évidemment. Ce n’était un secret pour personne, rétorque Bernard Dimon, directeur général des services de l’agglomération. Le cabinet City Linked mettait en ordre de marche un travail de réflexion avec l’architecte Roland Castro, dans le strict respect du Code des marchés publics. Heureusement que l’on connaît des gens, mais ce n’est pas cela qui nous fait choisir. »
Ange Balzano, le président de la commission d’appel d’offres de l’agglomération d’Évry, avait indiqué à Mediapart qu’il ne connaissait pas la dirigeante de City Linked lors de l’attribution du premier marché. « On n’a jamais parlé de ça devant moi, dit-il. On ne regarde jamais, jamais, qui préside les sociétés. Il faut voir ça avec l’administration. » Questionné sur l’attribution, successive, de trois marchés à City Linked, l’élu socialiste de Ris-Orangis botte en touche. « Il y en a qui ont de la chance, c’est vrai, peut-être », confie-t-il, embarrassé.
Dans sa réponse à Mediapart, Manuel Valls avait expliqué que la mission d’études sur le projet de territoire, confiée au groupement de City Linked, avait été « suspendue » après la décision de la Fédération française de rugby d’implanter son grand stade à Ris-Orangis, site proposé par l’agglomération d’Évry. « L’impact de cet équipement d’envergure métropolitaine étant considérable, les élus de l’agglomération ont considéré qu’il n’était pas souhaitable, tant pour des raisons de stratégie urbaine que de capacité de conduire simultanément les deux démarches, de poursuivre l’élaboration du projet de territoire », avait écrit Manuel Valls. La décision de « surseoir à la démarche » avait donc « été prise par le nouveau président de l’agglomération (Francis Chouat – ndlr) au mois de septembre 2012 ».
« Dès lors, il a été convenu avec le groupement qu’il y avait lieu de surseoir aux travaux engagés, indiquait Manuel Valls. Les intervenants ayant participé à la mission, conformément au marché public passé avec la collectivité ont été indemnisés pour le travail réalisé. Il n’y a pas eu de transaction ni d’indemnité de rupture de contrat. »
Ce que Manuel Valls passe sous silence, c’est que si City Linked n’a pas été indemnisée, un nouveau marché lui a été attribué concernant le grand stade, au moment même où l'on décidait de « suspendre » l'étude sur le projet de territoire. Ce nouveau marché, que l’on peut retrouver en ligne ici, s’intitule « assistance à maîtrise d’ouvrage pour les études liées à l’aménagement du site d’accueil du grand stade de rugby », et il a été attribué le 18 mai 2012 par l’agglomération d’Évry. Selon l’avis d’attribution, le marché n’excède pas 190 000 euros annuels, mais un document de synthèse de l’agglomération du 12 novembre 2013 fait apparaître le déblocage d’un budget de 450 000 euros pour ce contrat.
Cette fois, Sybil Cosnard s’est associée au cabinet DVVD SARL, animé par l’architecte Daniel Vaniche, très présent à Évry, avec lequel elle avait déjà obtenu, en septembre 2011, l’attribution d’une mission d’assistance « pour la réalisation du dossier de candidature pour le projet de stade de la fédération française de rugby », un marché public de 180 000 euros hors taxes.
En 2007, l’agence de Daniel Vaniche avait été nominée pour l’Équerre d’argent – un prix attribué par le Moniteur des travaux publics – pour la réalisation d’une passerelle piétonne dans le nouveau centre d’Évry. Elle a aussi construit deux tours au sein de la ZAC du centre urbain, l’un des programmes phares de Manuel Valls, sur lesquels Sybil Cosnard avait planché en tant que directrice générale chargée du développement urbain. En novembre 2012, Manuel Valls a promu Daniel Vaniche dans l’ordre national du Mérite sur son contingent de ministre de l’intérieur et des cultes. Une médaille récompensant cette fois l’engagement religieux de l’architecte, vice-président du consistoire israélite de Paris. Enfin, en octobre 2013, l’agence DVVD a décroché l’important marché de modernisation de la salle des arènes de l’Agora d’Évry.
« Je suis tranquille sur les choix que nous avons faits, défend Bernard Dimon. La communauté d’agglomération a fait des analyses sérieuses. Et si la commission d’appel d’offres fait un choix, le président de l’agglomération n’a pas d’autre choix que de l’attribuer. » « Dans le cas d’espèce, aucune rupture du principe d’égalité devant la commande publique, ni aucun acte irrégulier dans l’attribution du marché n’a été commis », avait certifié le ministre à Mediapart.
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