Source : rue89.nouvelobs.com
Le jugement est tombé jeudi. Filippos Loïzos, blogueur grec de 28 ans, a été condamné par un tribunal d’Athènes à dix mois d’emprisonnement avec sursis.
L’objet du délit : une page Facebook intitulée « Gerontas Pastitsios » (Moine Pastitsios) qui parodie un célèbre moine grec orthodoxe, le père Païsios. Ce dernier, décédé en 1994, fait l’objet d’un culte dans l’orthodoxie en raison de dons de prophétie qui lui seraient attribués.
Le personnage parodique et fictif du « moine Pastitsios » est fondé sur un jeu de mots faisant allusion au pastitsio, un plat grec traditionnel à base de pâtes. Le personnage est inspiré du pastafarisme, mouvement parodique religieux athéiste.
Bien que sa mise en application soit rare, il existe bien dans le code pénal grec un article condamnant le « blasphème malveillant », passible d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement (article 198).
L’Aube dorée à l’origine de la plainte
Filippos Loïzos s’était fait arrêter en septembre 2012, sur l’île d’Eubée, pour « blasphème » et « insulte à la religion », suite à une question au Parlement d’un député du parti d’extrême droite néonazi Aube dorée, Christos Pappas (aujourd’hui emprisonné, comme de nombreux autres responsables du parti, pour « direction d’une organisation criminelle »).
Le député d’extrême droite avait fustigé la caricature qui « insulte et humilie la figure sacrée du moine Païsios » selon lui. La police a également justifié cette arrestation en faisant référence à « des milliers de plaintes en ligne du monde entier » qui auraient été reçues par l’unité chargée de la lutte contre la cybercriminalité.
Loïzos avait alors été relâché peu après son arrestation dans l’attente de son procès.
Une condamnation « moyenâgeuse »
Suite au procès et à la condamnation du blogueur la semaine dernière, de nombreuses voix se sont élevées pour condamner cette décision.
La Ligue grecque des droits de l’homme a fermement dénoncé la décision du tribunal, en faisant état dans un communiqué, d’une condamnation « moyenâgeuse » :
« Cette décision montre que la liberté d’expression […] est aujourd’hui contestée non seulement par les ennemis de la démocratie, mais aussi par ceux censés la protéger. »
Elle fait aussi dans son communiqué un lien direct avec les idées obscurantistes répandues par le parti d’extrême droite :
« Tandis que les responsables du parti de l’Aube dorée sont emprisonnés pour de lourds chefs d’accusations, […] les idéologies [du parti] se sont déversées dans des institutions censées exister pour la protection des droits de l’homme. »
Cette condamnation a aussi suscité l’indignation de nombreux internautes, notamment à travers le hashtag (mot-clé) « #FreeGeronPastitsios » ainsi qu’une pétition en ligne demandant la libération du « moine Pastitsios » et l’abolition de la loi sur le blasphème en Grèce, qui a récolté plus de 10 000 signatures.
Ambiance d’inquisition au tribunal
La parodie en a en outre inspiré quelques autres, comme la page Elder Parisios (un jeu de mots sur la ville de Paris présentant le moine avec une tour Eiffel sur la tête).
Dans une tribune publiée le 19 janvier sur le site d’informations Tvxq.gr, Filippos Loïzos dénonce une décision qui « avait vraisemblablement été prise depuis le début », et décrit une atmosphère lourde et inquisitrice durant son procès :
« L’attitude des juges a été agressive dès le début, et, jusqu’à la fin du procès, ils n’ont cessé de me demander de justifier pourquoi je n’ai pas contrôlé les messages des visiteurs de ma page (puisque qu’ils ne trouvaient aucun propos insultant dans mes propres messages), et pourquoi je ne les avais pas supprimés. »
Loïzos y explique aussi l’aspect politique de sa démarche :
« Quand mon tour est arrivé à la barre d’audience, j’ai voulu expliquer que mon seul objectif était de combattre un fondamentalisme et un nationalisme dangereux, qui ont trouvé un terrain fertile dans l’instabilité sociale liée à la crise économique. »
Peine perdue, les juges ne semblaient ne montrer d’intérêt à aucun de ses arguments, et sa plaidoirie n’aura duré que cinq minutes :
« Ils ne m’ont ni contre-argumenté, ni demandé d’explications supplémentaires, comme si la décision avait déjà été prise. »
Filippos Loïzos a fait appel de sa condamnation, son procès en appel aura lieu l’année prochaine.
De nombreux pays d’Europe comptent toujours la notion de blasphème dans leurs textes de loi, mais la Grèce (où l’Eglise est rattachée à l’Etat, et où elle a toujours un fort pouvoir de pression) est l’un des seuls à encore l’appliquer.
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