Le compte à rebours est engagé à Chypre. Il reste à peine vingt-quatre heures au gouvernement chypriote pour trouver une solution à la crise financière et politique avant la réouverture des banques, prévue officiellement jeudi. Personne ne croit que ce laps de temps sera suffisant pour trouver une issue même provisoire à la crise. « Les banques risquent d’être fermées encore longtemps. Seront-elles ouvertes à Pâques ? » s’interroge un observateur financier. Pour éviter toute panique et une explosion désordonnée, la BCE s’est engagée à fournir toutes les liquidités nécessaires à Chypre.
La situation est des plus confuses. Pas une voix n'a été trouvée au Parlement pour soutenir le nouveau plan de sauvetage européen. Le projet a été rejeté par 36 voix et 19 abstentions. Les résultats du scrutin ont été accueillis par des applaudissements des manifestants massés depuis le début de l’après-midi devant le Parlement pour exprimer leur colère. Le nouveau plan européen, amendé mardi, qui prévoyait de renoncer à taxer les dépôts bancaires jusqu’à 20 000 euros, et le maintien d’une taxe de 6,7 % pour les dépôts allant jusqu’à 100 000 euros et 9,9 % au-delà, n’a pas convaincu.
Surtout, les Chypriotes, mis devant le fait accompli par les Européens – aucune concertation n’avait eu lieu avec le nouveau gouvernement et les autorités bancaires du pays avant la réunion de vendredi soir à Bruxelles –, ont l’impression d’être traités comme des citoyens de seconde zone, privés de toute souveraineté. L’ancien gouverneur de la banque centrale chypriote, Anthanasios Orphanides, résumait sur Bloomberg, le sentiment général sur l’île : un chantage européen sur Chypre. « Nous sommes témoins de temps historiques. Ce à quoi nous assistons, c’est la mort lente du projet européen. Nous sommes dans une situation où une poignée de gouvernements européens prennent des décisions qui disent aux citoyens des autres pays membres qu’ils ne sont pas égaux devant la loi. » Un sentiment bien trop connu en Grèce, en Espagne, ou au Portugal.
Les responsables européens ne s’attendaient pas à se voir défiés de la sorte. En imposant une réunion impromptue sur Chypre vendredi, à la suite du conseil européen, ils pensaient avec la Troïka (BCE, FMI, Europe) résoudre rapidement la situation de l’île, avec un plan préparé de longue date, que le nouveau gouvernement chypriote n’aurait plus qu’à mettre en place. « C’est à prendre ou à laisser », ont, plusieurs fois, répété les dirigeants européens lors de cette réunion tandis que la BCE agitait la menace de couper tous les crédits d’urgence aux banques chypriotes.
Finalement, le gouvernement a choisi de laisser le Parlement tordre le cou au plan de la Troïka. « Il est évident qu’il y a des intérêts d’affaires au Parlement qui nous ont dit que nous devons protéger les dépôts des non-résidents », déclarait, exaspéré, un responsable européen, participant aux discussions sur Chypre, en pointant les Russes. Le plan européen visait clairement à faire payer les oligarques russes et tous les capitaux licites et illicites qui ont trouvé refuge dans les banques chypriotes.
Accepter le plan européen pour Chypre en l’état revenait à tirer un trait sur son statut de paradis fiscal, la seule réelle activité économique de l’île. Les capitaux taxés se seraient empressés de fuir l’île dès la réouverture des banques. Mais face à cette explosion programmée et sans doute désordonnée d’un secteur bancaire hypertrophié, l’Europe n’a proposé aucune contrepartie.
Les 10 milliards d’euros de crédit accordés par la Troïka sont essentiellement destinés à recapitaliser les banques. Si l’Europe veut conserver Chypre dans la zone euro en supprimant – comme cela est souhaitable – son statut de paradis fiscal, elle doit accepter l’idée de transferts massifs pour aider l’île à se trouver un avenir. Les responsables européens n’ont jusqu’alors fait aucune proposition en ce sens.
Le gouvernement chypriote se retrouve désormais devant un choix historique : rester ou non dans la zone euro. La question va au-delà du seul statut de Chypre. C’est toute l’Europe qui avance dans l’inconnu.
À l’issue du vote, le président du Parlement chypriote plaidait pour que l’Europe ne boute pas Chypre hors de l’Union. Le gouvernement chypriote espère qu’il a encore quelques marges de manœuvre pour négocier avec la Troïka. Pour l’instant, les dirigeants européens semblent refuser toute concession. Après le vote, des responsables européens faisaient savoir que le plan ne serait pas sensiblement modifié : les Chypriotes devaient trouver d’une façon ou d’une autre les 5,8 milliards d’euros pour compléter les 10 milliards prêtés par la Troïka. « La balle est dans le camp chypriote », a déclaré le président néerlandais de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, après le vote, ajoutant qu’il n’y aurait pas d’argent supplémentaire au-delà des sommes déjà arrêtées. « Chypre a sa liberté mais le pays n’aura pas plus de 10 milliards d’euros. »
Sans tarder, le gouvernement chypriote a commencé à jouer son autre carte : la Russie. Le gouvernement de Vladimir Poutine a déjà consenti un prêt de 2,5 milliards d’euros à l’île en 2011. Le président russe a fait savoir son opposition au plan de sauvetage européen, visant essentiellement l’argent russe placé à Chypre. En sous-main, il a soutenu fermement l’opposition parlementaire chypriote.
Dès mardi, Gazprombank, le bras financier du géant gazier russe, a proposé de racheter la seconde banque chypriote pour la sauver. En contrepartie, Gazprom demande les droits d’exploitation sur un immense gisement gazier, découvert récemment, réclamé à la fois par Chypre, la Grèce, la Turquie et même Israël. Le ministre chypriote des finances doit se rendre ce mercredi à Moscou pour discuter des aides que pourrait lui apporter le gouvernement russe.
La question chypriote n’est plus seulement financière. Elle devient géopolitique. Vladimir Poutine, qui a perçu le plan européen comme une attaque personnelle, est bien décidé à utiliser son avantage, jusqu’au bout. L’improvisation et la rigidité européennes lui ont donné une position de force, lui accordant un poids nouveau sur l’avenir de la zone euro.