À partir de lundi, la communauté internationale va tenter de réanimer un encombrant cadavre : le protocole de Kyoto. La Pologne accueille la 19e conférence de l’ONU sur le climat. Son objectif est de préparer de nouveaux objectifs mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2015.
À partir de lundi, la communauté internationale va tenter de réanimer un encombrant cadavre : le protocole de Kyoto. La Pologne accueille la 19e conférence de l’ONU sur le climat, la « Cop19 ». Objectif : mettre sur les rails un processus de négociation jusqu’en décembre 2015, date de la conférence qui doit déboucher sur l’accord de Kyoto II, pour fixer de nouveaux objectifs mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Sans fleurs ni couronne, le protocole de Kyoto est mort fin 2012, date d’expiration de la première période d’engagement des États signataires. Publié en 1997, ce traité international ambitionnait de contraindre le monde à diminuer ses rejets de gaz à effet de serre afin de lutter contre les dérèglements climatiques. Seize ans plus tard, l’échec est total. La concentration de ces gaz dans l’atmosphère n’a jamais été aussi énorme qu’aujourd’hui, constate l’Organisation météorologique mondiale (OMM) dans son dernier rapport (voir ici). Le réchauffement de l’atmosphère s’est aggravé de 32 % entre 1990 et 2012. Pire encore, la hausse des émissions de CO2 survenue entre 2011 et 2012 est supérieure au taux moyen d’accroissement des dix dernières années.
« Si nous poursuivons dans la même voie, la température moyenne du globe à la fin du siècle pourrait excéder de 4,6 degrés ce qu’elle était avant l’ère industrielle. Les conséquences seraient catastrophiques », analyse l’OMM. La physique du climat est implacable : mille ans après, il reste encore dans l’atmosphère 20 % d’une émission de dioxyde de carbone. En parfait accord avec les alertes lancées par les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolutoin du climat (Giec) (voir ici), les chercheurs de l’OMM préviennent : ce qui est en train de se produire « façonnera l’avenir de notre planète pendant des milliers d’années ».
Face à cette catastrophe en route, la science nous « enjoint à tous de nous révolter », écrit la journaliste et activiste canadienne Naomi Klein dans un récent article du New Statesman. De plus en plus de philosophes et d'historiens se disent convaincus que nous entrons dans l’anthropocène, une nouvelle ère géologique induite par l’impact de nos modes de vie sur l’écosystème (voir ici).
Bien sûr, il est difficile et long, très long, de réformer nos systèmes de production et d’échanges. Mais les chiffres ne sont pas seulement mauvais rétrospectivement. Ils sont aussi catastrophiques en prévision. Même si les États respectaient leurs engagements actuels, en 2020, leurs rejets de gaz carbonique seraient beaucoup trop élevés pour espérer contenir la hausse de la température globale à 2 °C. Selon le Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), l’écart entre le plancher qu’il faudrait atteindre et le plafond que nous sommes partis pour fracasser est compris entre 8 et 12 gigatonnes (milliards de tonnes) équivalent CO2. « C’est énorme », résume Merlyn Van Voore, coordonnatrice de l’adaptation au changement climatique pour l’agence onusienne.
« Le pire est en marche, nous sommes déjà dans la crise climatique », commente Nicolas Hulot, envoyé spécial pour la protection de la planète. En théorie, les émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre ne devraient pas dépasser 44 gigatonnes en 2020, et diminuer ensuite chaque année. Elles atteignaient déjà 50,1 gigatonnes en 2010 – dernière année pour laquelle un décompte est disponible.
C’est la tragédie de la négociation climat : le monde qui s’y dispute est de plus en plus éloigné de la réalité. Les délégations des pays en développement s’affrontent aux négociateurs des pays riches à propos de niveaux d’émissions qui n’existeront peut-être jamais. Depuis des années, des kilomètres de rapports ont été pondus sur les méthodes de mesures et de comptabilisation de volumes de gaz que personne ne semble vraiment vouloir maîtriser. Au fil des ans, l’écart grandit entre la connaissance du changement climatique en train de se produire et l’inertie des sociétés.
À l’exception de Barack Obama et d’Angela Merkel, aucun chef d’État des grands pays n’était en poste au moment de Copenhague. « Ils n’ont jamais réfléchi au changement climatique à ce niveau », analyse Michael Jacobs, ancien conseiller de Gordon Brown, aujourd’hui rattaché à l’Iddri, le think tank de Sciences-Po qui conseille le gouvernement français. Quant à l’Australie, qui préside le groupe dit de l’ombrelle (États-Unis, Russie, Japon, Canada notamment), elle refuse d’envoyer son ministre de l’environnement à Varsovie, pour la première fois en seize ans, sous l’effet de la politique anti-écologiste de son nouveau gouvernement.
Un sommet sur le climat et le charbon
Pourtant, ce monde de la diplomatie climatique évolue. Rien ne serait plus faux que de croire que rien n’a changé depuis le fiasco du sommet de Copenhague, en 2009. « Les pays réfléchissent à des stratégies de plus long terme, alors que le sommet de Copenhague était beaucoup trop focalisé sur le court terme. Il y a un effet d’apprentissage », analyse Thomas Spencer, directeur du programme Énergie et climat de l’Iddri.
Ainsi, les États-Unis promettent de publier leurs objectifs de baisse d’émissions en amont de la conférence de Paris en 2015. La Chine ne refuse plus le principe de réduire ses propres rejets et veut plafonner sa consommation de charbon, sous la pression de sa population, ulcérée par la pollution atmosphérique, et de divers scandales de contaminations chimiques du milieu naturel. L’Europe, de son côté, a plus réduit ses émissions de gaz à effet de serre que ne l’exigeait le protocole de Kyoto (-12,2 % entre 2008 et 2012, pour un objectif de -8 %). Au rythme actuel, elle devrait largement dépasser son objectif de -20 % en 2020 (par rapport à 1990).
Le Brésil parvient à diminuer les rejets de gaz à effet de serre liée à la déforestation. Les énergies renouvelables se développent partout ou presque – le charbon et les gaz de schiste sont aussi en plein boum. Sur la scène diplomatique, on ne discute plus seulement d’objectifs globaux, mais aussi de thématiques plus spécifiques (villes, secteurs industriels…), ouvrant ainsi la perspective d’accords complémentaires plus concrets.
À quoi pourrait servir un nouveau traité sur le climat applicable à partir de 2020 ? À maintenir la pression sur les gouvernements, symboliquement. Mais ce n’est sans doute plus l’enjeu majeur, au vu des échecs passés. Le protocole de Kyoto n’a été respecté que par ceux qui le voulaient bien. La fiction d’un traité obligeant les pays à mener des politiques contre leur gré a volé en éclats pour de bon.
En revanche, il peut avoir un impact financier. C’est l’autre bataille du climat, et elle n’est pas moins brutale: la lutte des pays pauvres pour obtenir le financement par les riches de leur politique d’adaptation au changement climatique. C’était l’une des rares avancées de l’accord de Copenhague : les États développés se sont engagés à leur verser chaque année 100 milliards de dollars à l’horizon 2020, dans le cadre d’un « fonds vert ». Entre 2010 et 2012, 10 milliards devaient être déboursés par an au titre de financements précoces pour payer la construction de digues, la protection de récoltes, l’accompagnement d’habitants déplacés par des événements climatiques extrêmes.
« Cela paraissait ambitieux mais raisonnable », rappelle Luc Lamprière, directeur général d’Oxfam France. Sauf qu’à ce jour, seuls 6 milliards de dollars ont été mis sur la table en trois ans, soit 20 % de la somme due. « Six milliards de dollars, c’est le prix des Jeux olympiques de Londres », se désole Lamprière. Le fonds vert n’est toujours pas abondé et n’existe que sur le papier. Les pays développés, dont la France, n’ont pas confirmé les montants de l’aide qu’ils verseront pour 2013, dénonce l’ONG. Entre leurs promesses initiales et leurs engagements actuels, il manque plus de deux milliards de dollars.
Lors de la Cop18 à Doha, en 2012, la France a annoncé que l’Agence française de développement (AFD) consacrerait 2 milliards à l’aide climatique en 2013. Mais ses crédits ont baissé de 6 % cette année. Les bailleurs les plus importants, représentant 85 % des financements précoces, n’ont pas communiqué le montant de l’aide pour 2014. Seul le Royaume-Uni a publié son plan de financement de la lutte contre le changement climatique pour 2015. Pour les pays les moins avancés, notamment le groupe Afrique, obtenir l’aide financière promise devient le seul intérêt de la négociation internationale.
En Pologne, le sommet promet d’être agité. Les 18 et 19 novembre, aux derniers jours de la négociation, le ministère polonais de l’économie et l’association mondiale du charbon organisent conjointement une grande conférence internationale sur le climat et… le charbon. La secrétaire de la convention de l’ONU sur le climat, Christiana Figueres, y est invitée. Le 11 novembre, jour d’ouverture de la conférence, est aussi la journée de la fête de l’indépendance nationale. Un rassemblement de nationalistes est attendu, au lendemain d’une réunion entre souverainistes et représentants syndicaux contre les politiques climatiques.
Le groupe Arcelor Mittal figure parmi les sponsors du sommet onusien. Militants associatifs et ONG dénoncent cette omniprésence du lobby des énergies fossiles. Cette mise en scène un rien cynique n’est pas nouvelle. L’année dernière, le sommet climat s’est tenu au Qatar, l’un des plus gros émetteurs de gaz carbonique. C’est l’autre face de la négociation climatique onusienne : la bataille culturelle. Greenwashing des multinationales contre actions de déminage par les activistes ; opérations de communication des chefs de gouvernement contre rappel de la brutalité des faits par les scientifiques.
Lire aussi