"L’analyse de la décision très bien motivée montre clairement que la dimension citoyenne, éthique et désintéressée de la démarche a été largement prise en compte. Le lanceur d’alerte courageux et nécessaire qu’est Philippe Pichon est reconnu", se félicite Me William Bourdon, l’avocat de l’ancien policier. Le tribunal évoque d’ailleurs "les alertes sans doute infructueuses que le prévenu a lancées"... Comme un clin d’oeil aux "lanceurs d’alerte", même si l'expression n'est pas utilisée dans le jugement. "C’est un droit nouveau qui en train de s’élaborer et qui se trouve en miroir avec une grande demande de transparence de la société civile internationale", ajoute Me Bourdon.
"Pas révolutionnaire mais légaliste"
Philippe Pichon était poursuivi pour "violation du secret professionnel" pour avoir communiqué les fiches STIC de Jamel Debbouze et Johnny Hallyday au journal en ligne Bakchich.info, en 2008. Les journalistes souhaitent alors dénoncer le manque de fiabilité du système, qui contient près de 7 millions de fiches de personnes mises en cause, un jour, par les forces de l'ordre, quelles que soient les suites judiciaires. Utilisé notamment lors des enquêtes administratives pour les emplois sensibles ou pour savoir si un suspect est déjà "connu des services de police", le fichier est bourré d’erreur, mal mis à jour, et dénoncé depuis par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) comme par les parlementaires.
Le policier atypique, très bien noté, mais en conflit avec sa hiérarchie, "pas révolutionnaire mais légaliste", comme il nous l’affirmait en 2011, ne peut que soutenir l’initiative de Bakchich. Lui même a souffert d’une homonymie dans le Judex (l’équivalent du STIC chez les gendarmes) qui a retardé sa promotion au grade commandant en 2003-2004. Chargé, en tant que numéro deux du commissariat de Coulommiers (Seine-et-Marne), "de veiller au strict respect des instructions encadrant le STIC", il a dénoncé, en février 2007, ses "graves dysfonctionnements" dans une note à son chef. En vain.
"Très bons états de service"
Le jugement - qui souligne volontiers une enquête bâclée - constitue un camouflet pour l’administration. C’est peu de dire que le ministère de l’intérieur, débouté de ses demandes de dommages et intérêts, a tout fait pour se débarrasser du policier. Il est mis à la retraite d’office dès mars 2009. La décision est annulée par le tribunal administratif. Mais le ministère insiste, fait même appel sans succès lorsque son contrôle judiciaire est modifié pour lui permettre de travailler. D’audience en audience, Beauvau obtient gain de cause en décembre 2011.
A rebours de cette volonté d’exclure M. Pichon, le tribunal "ne peut que tenir compte" dans son jugement, "des très bons états de service" du policier, "lequel n’a jamais fait l’objet d’une sanction administrative" et a reçu "vingt-deux lettres de félicitations". Il estime donc que ces éléments "conduisent à ne retenir aucune raison justifiant une peine complémentaire quelconque d’interdiction d’exercice professionnel" et n’inscrit pas la peine à son casier judiciaire. En clair, la justice ne voit aucun motif valable d’interdire à Philippe Pichon le métier de policier. Comme le résume Me Bourdon, "un grand canyon vient de s’ouvrir entre la décision judiciaire et la sanction disciplinaire". Ce sera au Conseil d’Etat, auprès duquel M. Pichon a déposé un recours, d’en juger.
Laurent Borredon