Le laxisme financier de l'Union européenne
Les chiffres sont pourtant éloquents. En décembre 1999, l'endettement total de la zone euro s'élevait à environ deux fois et demi son PIB (258%). En juin 2010, quelques dix ans plus tard, cet endettement atteignait 375 % du PIB.
D'où cette explosion de la dette est-elle venue ? Clairement pas des États, dont l'endettement n'a pratiquement pas augmenté sur cette période. C'est principalement la dette du secteur financier qui explique la hausse de l'endettement de l'économie européenne. Une dette qui a plus que doublé en à peine dix ans, pour représenter près de 100 % du PIB en 2010. Cette dette du système financier, qui s'est accrue indépendamment de l'activité économique est bien évidemment un facteur important d'instabilité et de fragilisation du système bancaire européen.
Ce qui était très prévisible a donc fini par arriver : la crise américaine des subprimes et la faillite de Lehman Brother ont été les facteurs déclenchants, l'étincelle qui a mis le feu aux banques. Or, face à cette crise, la réponse européenne a été remarquable de constance. Quoi qu'il arrive, il ne fallait surtout pas faire payer ceux qui avaient accumulés un tel stock de dettes, les banques et les créanciers.
Protéger les créanciers et faire payer les États
Le souci c'est que cette stratégie a précipité de nombreux pays dans la dépression et n'a rien résolu du tout ; car au fur et à mesure que les créances sont payées, l'activité économique décroit, souvent de manière plus que proportionnelle. Ainsi, il n'est pas rare que la dette diminue moins vite que ne disparaît l'activité économique. Schématiquement, plus le pays rembourse, plus sa situation économique se dégrade, et plus sa santé financière se précarise. Au lieu de résoudre le problème on l'aggrave.
Le malade mourra malade
Mais l'évidence des faits est, lentement, en train de s'imposer aux cerveaux embrumés par les dogmes et les idées simples. Il est impossible à la zone euro de rembourser 11 000 milliards d'euros. Aucune mesure d'austérité ne sera assez forte pour y parvenir. Certes, à force d'austérité, l'économie européenne finira très certainement par disparaître : mais elle disparaîtra endettée. C'est en quelque sorte ce qu'à admis Olivier Blanchard, l'économiste en chef du FMI, lorsqu'il a dû reconnaître, en janvier dernier, que le « coefficient multiplicateur » des dépenses publiques était supérieur à 1 ; c'est à dire que toute réduction des dépenses, toute hausse des recettes publiques, entraîne immanquablement une réduction de l'activité économique supérieure aux économies réalisées. Autrement dit, toute ponction sur l'activité économique génère une perte d'activité plus grande que le montant de dette qu'elle rembourse. Si l'on part du principe qu'il faut réduire la dette de 120 % du PIB, on en déduit assez logiquement que la zone euro sera encore très endettée lorsque son PIB tombera à zéro.
Un insoluble problème de plomberie
Voilà pourquoi le plan de sauvetage de Chypre change tout. Pour la première fois, les autorités européennes ont admis qu'on pouvait gérer un problème de stocks par... un prélèvement sur les stocks, et que la meilleure façon de le faire c'était de diminuer d'autorité les dettes et les créances. En effet, quelle que soit la manière dont on le prend, le plan européen de taxation des comptes bancaires revient à un plan de restructuration des dettes.
Chypre : laboratoire d'une solution nouvelle ?
Certes, de l'argent qui disparaît, cela signifie bien un appauvrissement de la population. Mais ce n'est pas le même argent que celui qu'on taxe lorsqu'on mène une politique d'austérité. Ici, il s'agit d'argent stocké dans les comptes d'épargne et qui n'avait pas forcément vocation à être dépensé dans l'immédiat. C'est en quelque sorte un argent stérile qui n'alimente pas le flux économique, surtout si l'on considère que l'on parle d'une taxe qui ne devrait concerner que les sommes supérieures à 100 000 euros.
L'alternative à l'austérité : faire payer les créanciers
Au final, le plan chypriote est le signe d'un vrai changement de paradigme. On commence à comprendre que ce ne sera pas par le remboursement des dettes que se réglera la crise européenne, mais par l'organisation d'une restructuration globale des dettes. Cette restructuration impliquera mécaniquement des pertes pour les créanciers, c'est à dire pour toute personne qui aura accumulé des stocks de créances et d'argent dans le système financier européen.
On peut donc s'attendre à ce que cette solution soit imitée, sans doute dans des modalités différentes. Si cela fait peur aux épargnant européens et les incite à dépenser leur argent, ce sera au bénéfice des flux économiques et de l'emploi. Si cela incite les États européens à contrôler plus sérieusement les mouvements financiers pour éviter la panique et l'exode de leur épargne nationale (comme on le voit actuellement à Chypre), ce sera aussi une très bonne chose. Si cela permet de résoudre la crise selon des modalités discutées, où l'on décide qui paie et combien, quels épargnants sont mis à contribution et selon quelle règles, alors ce ne pourra que renforcer le contrôle démocratique des forces économiques et ce sera aussi une très bonne chose. Enfin, si cela permet d'éviter l'absurde austérité actuelle, ce sera toujours ça de gagné pour tous ceux qui souffrent et qui sont victimes depuis cinq ans d'une crise dont ils ne sont pas responsables.
*David Cayla, Docteur en économie et Maître de conférence à l'Université d'Angers