Un article de Simon Castel
Le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), collectif d'associations de chômeurs, a publié lundi 2 avril son Rapport sur la situation des chômeurs, chômeuses et précaires en 2011. Soixante-dix pages qui dénoncent notamment des statistiques officielles biaisées, un manque de moyens criant dans la prise en charge des chômeurs et une formation quasi-inexistante. Le MNCP s'inquiète également de l'ambiance délétère à l'encontre des chômeurs distillée par les responsables politiques de l'UMP : « Jamais l’entreprise de stigmatisation des chômeurs n’aura tourné à plein régime comme en 2011 », estiment-ils.
Le rapport du MNCP entend démonter les arguments selon lesquels les chômeurs sont des “profiteurs” : le chômage est d'abord synonyme de pauvreté, même pour ceux qui bénéficient d'aides sociales ou d'indemnités chômage.
Stigmatisation
« L’année 2011 a été l’année de tous les records. Mais encore une fois il ne s’agit pas disant cela, de mettre en avant le taux de chômage qui a rejoint des sommets, déjà atteints par le passé. Il est question, par exemple, de la tentative sans précédent de la part des gouvernants de rendre les personnes sans emploi responsables du chômage lui-même », affirme le MNCP qui énumère – de façon non-exhaustive – les petites phrases stigmatisantes proférées durant l'année 2011 et dont voici le florilège.
- Pierre Méhaignerie, 13 janvier 2011, lefigaro.fr : « Il faut limiter le montant et la durée des allocations chômage. »
- Xavier Bertrand, 4 mars 2011, Le Figaro : « Quand on peut facilement frauder, à quoi bon travailler ? »
- Nicolas Sarkozy, 7 avril 2011, Puy-de-Dôme : « Dépenser plus d’argent pour des allocations qui conduisent les gens à s’ennuyer chez eux, à ne pas avoir d’activité, à perdre toute existence sociale, c’est un très mauvais calcul... »
- Laurent Wauquiez, 8 mai 2011, BFMTV : « Aujourd’hui, un couple qui est au RSA, en cumulant les différents systèmes de minima sociaux, peut gagner plus qu’un couple dans lequel il y a une personne qui travaille au smic. »
- Nicolas Sarkozy, 15 novembre 2011, Bordeaux : « On n'a pas de dignité quand on ne peut survivre qu'en tendant la main. »
« Contrairement à une idée reçue et largement répandue, voire entretenue par certains responsables politiques, pour une majorité de chômeurs, même ceux indemnisés par l’Unédic, leur situation de chômeur les condamne à la pauvreté », martèle le MNCP qui expose ses griefs contre le traitement réservé aux chômeurs en France.
Chiffres trompeurs
Dans les chiffres du chômage, publiés chaque mois, on ne retient que les demandeurs d'emplois de catégorie A (Personnes sans emploi, tenues d'accomplir des actes de recherche d'emploi, à la recherche d'un emploi, quel que soit le type de contrat). En mars 2012, ils étaient 2 867 900, soit 6,2 % de plus qu'il y a un an. Un chiffre, certes impressionnant, mais qui ne révèle pas la réalité du chômage et du précariat en France. Si on additionne aux demandeurs d'emploi de catégorie A, ceux des catégories B et C (en activité réduite) et ceux des catégories D et E (dispensés d'actes de recherche d'emploi), le nombre de chômeurs total grimpe à 4 887 300 pour la seule France métropolitaine, en mars 2012. « On comprend que ce ne soit pas ce chiffre que les ministres mettent en avant », ironise le rapport du MNCP.
Mais ces statistiques faramineuses ne prennent pas encore en compte l'intégralité du chômage. « Ces chiffres ne comptabilisent pas les personnes sans emploi qui ne s’inscrivent pas à Pôle emploi. C’est le cas de nombreux jeunes, de la majorité des allocataires du RSA. Cela ne signifie pas qu’ils ne souhaitent pas un emploi », souligne le rapport. De plus, « on ne sait que peu de choses des centaines de milliers de personnes supplémentaires arrivées en fin de droits à partir de 2010 ».
Seuil de pauvreté
Le MNCP a toutes les raisons de penser que ces chômeurs en fin de droit en dehors de toutes statistiques, sont venus grossir les bataillons de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (13,5 % de la population française). D'autant plus que le « Plan rebond », destiné à les aider, n'a pas réellement été mis en place. « , en mars 2011 donne une piste. Il titrait : “Le flop du plan d’aide aux chômeurs en fin de droit”, et avançait le nombre de 20 000 personnes ayant bénéficié du plan. Loin de l’objectif affiché par le gouvernement de 325 000 personnes. »
Une paupérisation grandissante touche chômeurs et précaires et le fait d'être encore inscrit à Pôle emploi ne garantit rien. « Concernant les chômeurs touchant les allocations de l’assurance chômage, les chiffres sont, à notre connaissance, inexistants ou non publiés. Globalement, il n’est pas contesté que si l’on retient les catégories A,B,C, environ un demandeur d’emploi sur deux n’est pas indemnisé. » Pôle emploi compte en effet 4 278 600 chômeurs de catégories A, B et C en février 2012 et indemnise 2 565 100 personnes.
Quand bien même les demandeurs d'emplois sont indemnisés par Pôle emploi, rien ne garantit non plus de vivre au-dessus de seuil de pauvreté, selon le MNCP : « Pôle emploi (…) indiquait pour mars 2011 un montant mensuel moyen de 1 108 €, soit 37 € / jour. Un montant qui situait l’indemnité journalière moyenne à mi-chemin entre le Smic et le seuil de pauvreté. Et par déduction, il est réaliste de considérer que les indemnités versées se situent au niveau du seuil de pauvreté, ou en dessous, pour des centaines de milliers de chômeurs. »
Manque de moyens
Et Pôle emploi reste bien en peine pour aider les chômeurs dans leurs recherches d'emplois. Le MNCP revient sur le manque de moyens entériné par la convention Unedic, renégociée l'année dernière pour la période 2011-2014. « Le souci du gouvernement étant de limiter les dépenses, il était nécessaire de bricoler une Convention à moyens constants. Pas d'augmentation du personnel de Pôle emploi, pas d'augmentation de la contribution de l'État (…) Ce ne sont pas l'embauche de 1 000 personnes en CDD annoncée par le Président de la République qui y changera quelque chose. D'autant que 2011 a vu le licenciement, à contre-courant des besoins, de 1 500 intérimaires qui venaient juste d'être formés. »
Ce manque de moyens se traduit également au niveau des offres de formations de Pôle emploi. « Que propose par exemple Pôle emploi, interlocuteur de première ligne des chômeurs, en matière de formation ? Un budget de 340 millions d’euros, en baisse dans le budget 2011 de - 5,3 % sur 2010 ! On est loin du budget de 30 milliards pour l’ensemble du secteur. Résultat : un demandeur d’emploi sur quarante a accès aux financements formation de Pôle emploi », affirme le Mouvement des chômeurs et précaires.
Le bonheur des banquiers
Les déficits chroniques de l'Unédic, en charge du versement des indemnités de chômage, sont une manne pour le secteur bancaire, selon le rapport. Avec 8,6 milliards d'euros de dettes cumulées fin 2010, l'organisme se finance à crédit. Or, en décembre 2011, l’agence Fitch Ratings a modifié la perspective à long terme de la note de l’Unédic de stable à négative, et chez Standard & Poors, le triple A de l’Unédic est devenu AA+ en janvier 2012 : de quoi faire grimper les taux d'intérêt à l'emprunt. Ce qui fait dire au MNCP : « Que cet endettement rapporte aux banques accordant les crédits ne souffre pas la discussion. Et que les conséquences de la baisse des notes par les agences de notation financière soient un renchérissement des taux de crédits est non moins contestable. Les salariés paient la facture dans leurs cotisations sociales, les chômeurs dans des conditions d’indemnisation dégradées.»
« Le déficit cumulé de l’Unédic atteignait 5,9 milliards € en 2009, 8,6 milliards € en 2010. Il était prévu à plus de 11 milliards € en 2011 (en l’attente du rapport financier 2011) et devrait atteindre plus de 15 milliards € à la fin de cette année. De belles perspectives pour les banques. »
Simon Castel
Voici le rapport complet du Mouvement national des chômeurs et précaires :