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5 janvier 2013 6 05 /01 /janvier /2013 18:06

Rue89 - Témoignage 05/01/2013 à 10h45

Issam, médecin syrien

 

 

Issam, chirurgien syrien qui a opéré des mois sous les bombes, a fui le chaos après avoir été arrêté et torturé. Il témoigne, pour la deuxième fois sur Rue89.

 

 


Un médecin dans un hôpital à Alep, le 10 août 2012 (PHIL MOORE/AFP)

 

Pour avoir embrassé la révolution, la population d’Alep reçoit une punition collective de la part du régime. Les coupures d’eau et d’électricité en font partie.

Making of

En août, Rue89 avait reccueilli le témoignage d’Issam (prénom modifié), chirurgien d’Alep, ville du nord de la Syrie bombardée par le régime. Après plusieurs mois passés à opérer les victimes du conflit et au terme desquels il a été arrêté, Issam a fui son pays en novembre. De retour en France, il témoigne de nouveau.

 

C’est cette fois sur les conditions sanitaires, le chaos jusque dans les prisons et l’exacerbation des tensions comunautaires qu’il a décidé de parler. Marie Kostrz

A l’hôpital, on s’est retrouvé en train d’opérer sur des batteries puis, lorsqu’elles étaient déchargées, à prendre trois ou quatre téléphones portables munis de torches et à se mettre à gonfler l’air à la main pour oxygéner le patient. On arrêtait d’opérer jusqu’à ce que l’électricité revienne.

Mes collègues mènent donc à présent une politique de sélection des cas. Ils ne soignent plus qu’une personne sur trois. Ils choisissent les malades qui ont le plus de chance de survivre. Ces gens-là sont opérés. Les autres non.

Ils disent à leur famille de les amener dans un autre hôpital. Les plus chanceux, ceux qui ont de l’argent, trouvent encore un hôpital privé devenu très cher ou sont emmenés en Turquie.

Hôpitaux bombardés, transformés en camps

Aujourd’hui, ce n’est même plus possible de soigner les gens en Syrie. Je suis médecin et je me sens impuissant. On devient complètement inutiles.

Après plusieurs mois à Alep, j’ai donc décidé de rentrer en France où j’ai étudié.

En Syrie, je travaillais dans sept hôpitaux différents : le Centre hospitalier universitaire (CHU) d’Alep et six autres établissements privés.

Aujourd’hui, seul l’un d’eux fonctionne encore.

Les autres ont été bombardés ou transformés en camps militaires par le régime. Ils accueillent aussi des réfugiés qui n’ont plus de maisons.

Mes collègues ont reçu des cas de peste

Les coupures d’eau sont elles aussi un désastre. Avec les poubelles qui ne sont plus ramassées et la pluie, cela fait un mélange horrible, idéal pour les épidémies.

Mes collègues médecins internes ont reçu pas mal de cas de peste. Tout le monde s’est donc mis à prendre de la pénicilline qui est encore disponible et l’épidémie a été vite endiguée.

Certains quartiers de la ville n’ont pas vu l’eau depuis quinze jours. Même les zones dites pro-régime ont des coupures de quatre ou cinq jours. Les habitants achètent des citernes d’eau entières. Deux mille litres coûtent environ 400 euros. C’est énorme et cela ne permet de tenir que quelques jours.

Une dispute avec un soldat : l’arrestation

Finalement, j’ai été arrêté. On m’a amené aux « moukhabarats » de l’armée de l’air, réputée comme la pire branche des services de renseignement. En Syrie on appelle ça « derrière le soleil » car bien souvent on n’en revient jamais.

Tout à commencé avec un jeune homme amené au CHU d’Alep avec des plaies partout. Un interne est venu me voir pour m’annoncer que ce patient avait été tellement torturé par le soldat censé le surveiller qu’une de ses blessures s’était transformée en fracture ouverte.

Les deux bouts de l’os lui avaient déchiré les muscles et la peau. Sachant que le jeune homme risquait une inflammation de l’os et des muscles voire une amputation, je n’ai pas tenu. Je me suis disputé avec le soldat. On encaisse beaucoup, on voit beaucoup de patients torturés, mais forcément on craque un jour.

Sur le coup il n’a rien dit, mais le lendemain on est venu me chercher à 6 heures du matin chez moi. J’ai été menotté, on m’a mis un sac noir sur la tête, on m’a insulté. Je n’ai pas été trop frappé car je suis mi-sunnite, mi-alaouite et cette moitié alaouite ne mettait pas mes bourreaux très à l’aise [Bachar el-Assad, président syrien, est alaouite, ndlr]. Puis j’ai été détenu.

La torture de la « chaise allemande »

Au départ, il y a une « procédure d’accueil ». Pendant une semaine environ, parfois plus, des personnes de la sécurité torturent, pratiquent leur sadisme jusqu’à ce que les officiers se rendent compte qu’une personne est emprisonnée et commencent une investigation sur elle.

On m’a donc mis sur la « chaise allemande ». C’est un énorme siège métallique dont le dos est en demi-cercle. On m’a attaché par les mains, qu’on tire vers l’arrière et le bas. Il y a donc une hyperextension de la colonne vertébrale. J’ai eu très mal.

J’en rajoutais, je criais qu’ils allaient le regretter, qu’un de mes parents était alaouite. J’essayais d’imiter l’accent de cette communauté, leur favori. Au bout de deux jours, quelqu’un s’est dit que j’avais peut-être raison. A la surprise de tout le monde dans la cellule où j’étais enfermé, j’ai été amené chez les enquêteurs.

Là, un des officiers m’a demandé pourquoi j’avais été arrêté. En fait, c’est le chaos total ! Il n’y a pas de chef d’accusation, rien de concret. Juste des détenus sur qui on a collé l’étiquette de terroriste ou de révolutionnaire. Les officiers ont même eu du mal à trouver mon nom sur les listes des prisonniers !

Invité dans le bureau des officiers

J’ai eu beaucoup de chance. Un enquêteur est passé par hasard dans le bureau. J’étais en bretelles et en culotte, ce qui ne donne pas l’image d’un chirurgien en chef, mais mon visage lui disait quelque chose. Quand il m’a reconnu, il a dit :

« Ah mais c’est vous docteur, vous m’avez soigné à l’hôpital ! Je vous reconnais !

– Ben oui c’est moi. »

Les chirurgiens sont souvent réquisitionnés pour soigner des membres du régime blessés contre l’ASL [Armée syrienne libre, ndlr]. J’avais en effet soigné ce responsable auparavant.

Il a dit aux autres de me libérer, que j’étais l’un des leurs. J’étais le prisonnier torturé, accusé de trahison suprême, de révolution. Cinq minutes plus tard, j’étais transformé en quelqu’un de loyal, de patriotique, de parfait.

Je me suis retrouvé en bretelles à boire du maté avec les officiers. C’est hallucinant, personne ne réfléchit !

Issam parle de sa libération.

Pour se déplacer, prendre un taxi chrétien

Etre neutre dans une telle situation est impossible. J’ai choisi mon camp dès le départ, je suis avec le sang innocent. Le péché original est de Bachar el-Assad.

En plus de soigner les victimes des bombardements et les responsables de l’armée, je me rendais donc en secret dans des hôpitaux de campagne situés dans des zones contrôlées par l’ASL.

Je n’avais pas de voiture car avec le chaos qui s’est installé, beaucoup de bandes kidnappent et demandent des rançons. Je ne me déplaçais qu’en taxi. Lorsque, pour me rendre sur place, je devais traverser une zone contrôlée par le régime, les combattants de l’ASL, dont une partie est alaouite et chrétienne, m’envoyaient des chauffeurs de ces communautés pour ne pas que j’aie de problèmes aux check-points.

Seules les apparences comptent : il faut une croix chrétienne sur le miroir du chauffeur. Ou que celui-ci s’appelle Tony ou Dany [prénoms très répandus parmi les chrétiens syriens, ndlr], qu’il parle très finement. Ou sinon qu’il ait un fort accent alaouite. Puis quand on entrait dans une zone de l’ASL, on changeait de voiture.

« On va se venger, les alaouites paieront »

Le régime a diabolisé la révolution en lui donnant un parfum sectaire détestable. Il a attaqué les mosquées, les églises. Maintenant il est clair qu’il y a de plus en plus de ressentiment entre les diverses communautés.

Moi-même qui ai soigné beaucoup de révolutionnaires de l’Armée libre, je n’ai pas de garantie, si je reviens demain à Alep, de ne pas être attaqué parce que je suis à moitié alaouite.

A partir du moment où la crise s’éternise et que personne ne fait rien pour l’endiguer, les gens commencent à se venger eux-mêmes. Les paroles sont claires, certains de mes propres amis le disent :

« On va se venger, les alaouites vont payer. Ils se croient en sécurité à Lattaquié et à Tartous [région côtière majoritairement alaouite, ndlr] mais ils ne le seront plus après la chute du régime. »

Il y aura des mois sanglants

Ça me fait mal au cœur mais en même temps je ne peux pas leur en vouloir. Je peux concevoir que Bachar el-Assad est fou et qu’il fasse tout pour rester au pouvoir. Mais pourquoi certains alaouites se battent pour lui, pour un seul homme ?

Après le renversement du régime, il y aura un ou deux mois très sanglants, de règlements de comptes. En particulier dans les zones de contacts alaouites-sunnites, dans la campagne de Alep, Homs, Hama. Là où ont eu lieu les massacres de Houla et Tremse. Car sur place tout le monde connaît l’identité des bourreaux.

 

 

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