Cet ancien prisonnier politique était un héros méconnu de Tian’anmen. Le 4 juin 1989, il collait une grande affiche sur un panneau de signalisation à Shaoyang (province centrale du Hunan) pour que les travailleurs se mettent en grève à l'appui des manifestations démocratiques. Deux jours plus tard, il organisait un mémorial pour les victimes du massacre.
Condamné comme «contre-révolutionnaire» pour avoir créé l'un des premiers syndicats ouvriers de Shaoyang pendant les événements de Tian'anmen, il avait été libéré en 2011 après avoir passé vingt-deux ans de sa vie en prison.
Sorti de prison aveugle, sourd et nécessitant des soins réguliers à cause des passages à tabac et des tortures dont il avait été victime durant sa détention, il fut rapidement interné dans un hôpital de Shaoyang où il a été retrouvé pendu mercredi dernier par sa soeur et son beau-frère. Le corps du dissident âgé de 62 ans a été emporté, sans permission de sa famille, par la police qui a aussitôt affirmé qu'il s'était suicidé.
Pourtant plusieurs officiers étaient affectés à sa surveillance et un ami précise qu’ «il ne pouvait plus tenir un bol dans ses mains qui tremblaient sans cesse. Comment voulez-vous qu’il ait pu attacher le morceau de tissu pour se pendre ? ».
Un fait divers quelconque ?
Selon RFI, le nom du dissident est interdit sur les moteurs de recherche depuis le déclenchement de l'affaire, et la police tente de dissuader ses soutiens. Un internaute raconte ainsi sur Twitter avoir reçu un appel de la sécurité publique lui disant : « Tes enfants ont besoin de toi, ne te mêle pas du cas Li Wangyang ».
Plus de 3.000 personnes, y compris les célèbres militants Ai Weiwei et Hu Jia avaient pourtant déjà signé une pétition en ligne appelant à une autopsie du corps du défunt et près de 25.000 manifestants sont descendus dans les rues de Hong-Kong afin de condamner ce « suicide » et demander des explications au gouvernement de Pékin.
« Nous sommes tous Li Wangyang » proclamaient des centaines de jeunes qui ont ainsi quitté leur ordinateur, les yeux bandés par du tissu blanc, pour une marche de 5 kilomètres et manifester devant le Bureau de liaison du Gouvernement Populaire Central.
Si le directeur de cabinet du chef de l’exécutif de Hong-Kong a assuré qu’il ferait connaître les préoccupations des manifestants au comité central, le bureau de la propagande a déjà fait savoir que l’affaire Li « n’était qu’un fait divers qui touchait à sa fin ».
«Je ne regrette rien même si j'avais été guillotiné»
Pour éviter la multiplication des suicides suspects, le dissident Hu Jia a conseillé aux victimes des répressions policières de déclarer en ligne ou devant notaire qu'ils n'avaient pas l'intention de se suicider.
Quelques semaines avant sa mort, Li Wangyang était parvenu à donner une interview à une télévision de Hong-Kong. Un document poignant. On le voit fébrile, marcher difficilement, son intervieweur écrit les caractères des questions qu'il lui pose sur sa main ou sa cuisse. L'esprit vif, il reconnaît en lui son vieil ami de toujours, qui l'accompagnait lors de ses combats de jeunesse.
Il raconte son placement à l'isolement dans une cellule sombre de 2 mètres carrés,le quartier de la prison que les prisonniers redoutent le plus, sa grève de la faim, les tortures infligés par les matons, les poids de 50 kilos qui tenaient ses chevilles, les pinces spéciales qu'ils lui appliquaient sur les tempes et les os jusqu'à ce qu'il perde connaissance avant de recommencer. Des sévices réservés aux condamnés à mort. Malgré ses souffrances, il dit ne rien regretter: «subir des persécutions politiques quand on soutient la démocratie...Il y a eu tant d'étudiants sur la place Tian'anmen, de jeunes étudiants, des étudiants patriotes dont le sang a coulé et qui ont été sacrifiés...J'ai seulement fait de la prison. Ils ne m'ont pas encore guillotiné et même si j'avais été guillotiné, je n'aurais rien regretté. Regardez, Taiwan est devenue une démocratie, et même la Birmanie semble sur le point de renoncer au régime du parti unique Je me battrai jusqu'au bout contre la dictature du parti unique…Ses jours sont désormais comptés. Nous sommes dans la dernière ligne droite».