« Neuf ménages sur dix, ce n’est pas très habile. Il aurait mieux valu dire deux sur trois : c’est plus conforme à la réalité. » Ce député socialiste n’a toujours pas compris la stratégie de communication du gouvernement autour du budget 2013. Certes, « neuf ménages sur dix » seront bien épargnés par les mesures, annoncées vendredi dernier, contenues dans le projet de loi de finances pour l’année prochaine, qui comprend près de 40 milliards d’euros d’économies et de hausses d’impôt. Par ailleurs, la hausse de la TVA, qui devait s'appliquer au 1er octobre 2012, a été abrogée en juillet par la nouvelle majorité.
Il n’en reste pas moins que certaines mesures fiscales prises par Nicolas Sarkozy, et jadis critiquées par la gauche, ne sont pas abrogées. Elles vont continuer à produire leurs effets l’an prochain. Et dans certains cas, les ménages modestes seront mis à contribution. Inventaire de ces « oublis » fiscaux de la gauche au pouvoir…, qui risquent de lui revenir en boomerang lors du débat sur le budget au Parlement, dans les prochaines semaines :
gel du barème de l’impôt sur le revenu
C'est d'abord le gel du barème de l’impôt sur le revenu. Techniquement, ce mécanisme consiste à ne pas réévaluer les tranches de l’impôt sur le revenu (IR) en fonction du coût de la vie, comme il est d’usage. Du coup, certains contribuables peuvent passer à une tranche supérieure alors même que leur salaire n’a été revalorisé qu’au minimum, sur la base de l’inflation. Ce gel avait été décidé par le gouvernement Fillon en 2011.
Pendant la campagne, François Hollande s’était engagé à le supprimer. « C’est ce qu’il y a de plus injuste », disait-il alors à L’Express. En fait, l’effet sera seulement neutralisé, grâce à une décote, pour les deux premières tranches (les revenus en dessous de 26 420 euros). « Aucun nouveau contribuable ne rentrera dedans et on épargne les ménages modestes », argumente le gouvernement. « Dans les faits cependant, près de 10 millions de foyers fiscaux verront leur IR progresser l'an prochain en raison du gel du barème », affirment Les Echos.
fiscalisation des indemnités journalières pour les accidents du travail
D’autres mesures, très critiquées par la gauche quand elle était dans l’opposition, ne seront pas non plus remises en cause. C’est le cas, par exemple, de la fiscalisation des indemnités journalières pour les accidents du travail, auparavant exonérées d’impôt sur le revenu. Votée par la droite dans la loi de finances 2010, cette mesure qui rapporte depuis 150 millions d’euros par an à l’Etat avait été vivement dénoncée par la gauche. « Il s’agit d’un revenu de réparation d’un préjudice. (…) Il n’y a pas lieu de le soumettre à l’impôt sur le revenu », expliquait en novembre 2009 le député PS Pierre-Alain Muet. Impossible pourtant de supprimer cette disposition dans le prochain budget. « C’est financièrement hors de portée », se désole un parlementaire qui, à l'époque, avait vivement combattu cette mesure.
taxe sur les mutuelles
La suppression de la taxe sur les mutuelles, instaurée en 2011 par le gouvernement Fillon, n’est pas non plus d’actualité. « Pas de marge de manœuvre », explique un cador de la majorité. « La hausse des tarifs qui se profile ravivera la question de l’accès à la couverture complémentaire dont bénéficient aujourd’hui près de 95 % des Français, voire conduira davantage de nos concitoyens à renoncer à s’assurer », craignait pourtant à l’époque la députée PS Catherine Lemorton, désormais présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée.
refiscalisation partielle des heures supplémentaires
À cette liste, il faut ajouter la refiscalisation partielle des heures supplémentaires, votée en juillet par le Parlement. Certes, la défiscalisation des heures sup instaurée en 2007 par Nicolas Sarkozy procédait d’une logique économique très contestable, puisqu’elle revenait à faire subventionner une hausse du pouvoir d’achat de certains salariés par l’Etat à hauteur de 4 milliards d’euros par an. Et dans une période de crise, la mesure a probablement joué contre l’emploi. Reste que de nombreux salariés ont vu en septembre leurs fiches de paie amputée de plusieurs dizaines d’euros. Ce que la droite ne se prive pas de rappeler depuis cet été.
la demi-part fiscale pour les veuves
Ces jours-ci, dans les couloirs de l’Assemblée, les députés s’inquiétaient d’un autre héritage des années Sarkozy, jusqu’ici passé très inaperçu car ses effets ne se font sentir que très progressivement : la demi-part fiscale pour les veuves.
Le sujet semble technique, mais il concerne en réalité des millions de personnes. Depuis la Seconde Guerre mondiale et jusqu’en 2008, une demi-part supplémentaire était attribuée aux parents vivant seuls, qu’ils soient célibataires, divorcés ou veufs(-ves), à condition qu’ils aient élevé un enfant (seuls, dans le cadre d’un mariage ou d’un Pacs). Cette niche fiscale (à l’origine destinée aux veuves de guerre…) bénéficiait à plus 4 millions de personnes, bien souvent des parents âgés, et coûtait 1,6 milliard d’euros à l’Etat.
En 2009, le gouvernement Fillon, sur proposition de député centriste Charles de Courson, l’a limitée aux contribuables pouvant justifier qu’ils ont élevé seuls un enfant, et pendant au moins cinq ans. Des conditions très difficiles à remplir. Pour que la mesure soit moins douloureuse, l’avantage fiscal a été progressivement plafonné : 855 euros pour les revenus de 2009, 680 euros pour les revenus de 2010, 400 euros pour les revenus de 2011. Alors qu’il devait s’éteindre, l’avantage fiscal a été maintenu par la majorité sortante pour les revenus de 2012, mais dans la limite de 120 euros.
Et ensuite ? Plus rien. Sur les revenus 2013 (qui seront donc imposés en 2014), cet avantage fiscal sera, en théorie, ramené à zéro. Pour la nouvelle majorité, ce dossier est un véritable boulet. La gauche l’avait d’ailleurs abondamment combattue. « Parmi les 500 niches fiscales qui existent dans notre droit, je ne pense pas que celle-ci soit la première qu’il fallait supprimer, car beaucoup de femmes seules connaissent de très grandes difficultés », expliquait le 27 janvier 2010 le désormais ministre du budget, Jérôme Cahuzac, devant la Commission des finances de l’Assemblée.
Sauf que cette mesure rapporte beaucoup d'argent. Car d’après les données du Sénat, la quasi-totalité de ceux qui bénéficiaient de la demi-part en 2008 (3,8 millions de personnes sur 4,1 millions) ne rentrent pas dans les nouveaux critères. Résultat : cette mesure, qui a déjà commencé à rapporter gros aux finances publiques (110 millions en 2010, 300 millions en 2011, et 566 millions en 2012) va permettre à l’Etat d’engranger près d’un milliard d’euros l’an prochain (901 millions très exactement). Un véritable pactole, auquel s'ajouteront aussi 323 millions de taxe d'habitation, de taxe foncière et de redevance pour l'audiovisuel public.
Problème : cette mesure risque d'être très impopulaire car elle touche de nombreuses personnes modestes. Selon le Syndicat national unifié des impôts (Snui), une mère isolée avec 18 000 euros de revenus devra payer 949 euros d’impôt quand elle n'aura plus le bénéfice de la demi-part, contre 165 euros en 2010.
Ces chiffres commencent à donner des sueurs froides aux élus de la majorité. « On va commencer à voir des gens arriver dans les permanences… », s’inquiète ce proche de Jean-Marc Ayrault. Sur son blog, le député apparenté PS Dominique Baert s’emporte contre cette « grenade dégoupillée de Sarkozy dans les pieds de la nouvelle majorité ». « Quel cadeau nous laissent les anciens gouvernements, écrit-il. (…) Ceux qui auront décidé de ce dispositif fiscal ne sont plus ceux qui en subiront l’impopularité. »
Plusieurs élus ont commencé à monter discrètement au créneau. Christian Eckert, le rapporteur général du budget à l’Assemblée, s’en est inquiété auprès de Bercy. Le député de Meurthe-et-Moselle a proposé de « figer les choses dans l’état actuel ». Autrement dit : maintenir pour l'an prochain le plafond de réduction fiscale de 120 euros. Coût estimé : 150 millions d’euros.
Pour le financer, Eckert propose de « trouver 100 millions d’euros supplémentaires sur l’impôt sur les sociétés » et d'économiser les 50 millions restants en supprimant un amendement voté par l’UMP en juin 2011 qui permet aux assujettis à l’impôt sur la fortune (ISF) de déduire de leur impôt 300 euros par personne à charge. Bercy préfère attendre. « On s'est d'abord attelé aux urgences. On verra l'an prochain ce qu'il convient de faire », explique le ministère délégué au Budget.
Mais en tout état de cause, la gauche n'envisage pas de revenir au régime fiscal d'avant 2009, trop coûteux pour les finances publiques.
TVA dans la restauration
Ironie de l’histoire : l’extinction progressive de la demi-part pour les veuves avait été décidée afin de compenser en partie le trou financier causé par la baisse de la TVA dans la restauration. Un cadeau fiscal de Nicolas Sarkozy aux restaurateurs de 2,5 milliards d'euros par an. La mesure a créé très peu d'emplois. Mais l’exécutif ne compte pas la remettre en cause dans le budget 2013. Ce qui commence à agacer dans la majorité. « La première année, on va tenter de ne pas trop entrer dans un bras de fer sur les questions fiscales avec le gouvernement car ça pourrait dégénérer rapidement, dit un jeune parlementaire sous couvert d'anonymat. Mais après, on ira peut-être plus loin…»