Portrait | Samedi sur la place des Nations, un riche exilé français a fustigé les dérives du capitalisme. Rencontre.
Sophie Roselli | 20.10.2011 | 00:00
La porte s’ouvre sur le trophée de chasse d’un coudou, sur deux statues de panthères noires au pied d’un escalier et sur Xavier Kemlin. «Bienvenue à la BNP!» lance-t-il en souriant. Une façon de relativiser: c’est la banque qui possède sa villa du XVIIIe siècle cachée au milieu de la campagne genevoise. Il est riche, oui, mais il se réclame du mouvement des «indignés». Il s’en est expliqué samedi devant quelque 300 personnes réunies sur l’esplanade de la place des Nations, recevant même des applaudissements. Qui est ce personnage atypique et que cherche-t-il?
«Rassurez-vous, je ne suis pas un illuminé!» sourit-il en écarquillant ses yeux bleus. Son arrière-grand-père, Geoffroy Guichard, a fondé le groupe Casino. Son grand-père, François Kemlin, a dirigé un réseau de résistance. Lui a construit sa carrière dans la grande distribution en commençant dans les rayonnages, pour finir directeur des achats chez Casino. A 40 ans, il «prend sa retraite», quitte son domaine à Saint-Etienne avec sa femme et ses quatre enfants pour s’exiler en Suisse. Aujourd’hui âgé de 54 ans, l’homme au visage poupon reste actif comme administrateur et petit actionnaire dans «trois ou quatre» entreprises, dont le groupe Carrefour.
Grève de la faim
Le numéro 2 mondial de la distribution est l’une des cibles de ce chasseur. Il défend les salariés et petits actionnaires. Un combat intéressé, puisqu’il s’estime lui-même lésé, empêtré dans un combat judiciaire, réclamant depuis six ans la nomination d’un expert indépendant. Fin septembre, il fonce au siège à Paris et entreprend «la première grève de la faim de riche». Au bout de dix jours, il rejoint sa famille, qui digère mal cette fronde.
Pas un spéculateur
Son indignation vise aussi le système bancaire. «Je ne veux pas la révolution, mais je dis qu’il y a des dérives inacceptables.» Il prône un «système capitaliste plus responsable en corrigeant les excès», notamment par la création d’une autorité indépendante européenne de contrôle des banques, la taxe Tobin sur les transactions financières.
Comment peut-on s’indigner quand on possède une fortune estimée à 2,5 millions d’euros? «Je ne suis pas un spéculateur, répond-il aussitôt. Il y a deux ans, les conneries des banques ont failli me faire passer de l’autre côté. Il y a des jours où j’ai peur.»
Il ne pousse pas la démarche jusqu’à planter sa tente devant le mur des Réformateurs. A chacun sa manière de se mobiliser. «J’ai beau être né avec une petite cuillère en argent dans la bouche, cela ne m’empêche pas de me bouger. Je n’ai pas envie de laisser à mes enfants ce monde qui risque de tourner à la guerre civile.»
On l’interroge sur ses contradictions, lui qui profite du système en ayant choisi de s’installer en Suisse… «Je ne paie pas moins d’impôts ici», se défend-il en fustigeant pêle-mêle le système français et sa «République bananière».
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