Exit la promesse du candidat François Hollande de bloquer temporairement les prix des carburants. Pour tenter d'enrayer la hausse des prix à la pompe, lesquels sont désormais très proches de leurs niveaux du printemps, le gouvernement a finalement décidé de jouer sur un autre levier, celui de la fiscalité.
Sur BFMTV-RMC, Jean-Marc Ayrault a annoncé que les taxes sur les carburants allaient connaître une diminution « modeste » et « provisoire ». Le premier ministre n'a pas livré plus de détails mais le plus probable est que cette baisse temporaire concerne la taxe intérieure sur la consommation des produits pétroliers (TICPE) qui remplace depuis 2010 la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), selon un spécialiste du dossier. La TICPE est, avec la TVA et la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), l'une des trois taxes afférentes aux carburants.
En 2010, selon les chiffres du ministère de l'écologie, la TICPE a rapporté 23,9 milliards d'euros dont 14,2 milliards à l'Etat, le reliquat revenant aux régions et aux départements, mais le premier ministre a indiqué que la baisse concernerait la part de l'Etat. Ce qui promet donc d'être coûteux pour les finances publiques. L'ancien gouvernement avait chiffré à 1,25 milliard d'euros le manque à gagner fiscal d'une baisse de taxes de 10 centimes par litre durant trois mois.
En acceptant de se priver de recettes, l'exécutif met parallèlement la pression sur les industriels du secteur. Producteurs et distributeurs sont appelés à prendre leur part. « Je souhaite que l'effort soit partagé et que ce soit un effort vrai », a insisté mercredi à la mi-journée Pierre Moscovici. Le ministre de l'économie, à qui sera remis le 24 août un rapport sur la formation des prix des carburants, recevra ensuite le 27 août les associations de consommateurs et le 28 les industriels du secteur. A l'issue de ces rencontres, il devrait annoncer les modalités pratiques arrêtées par le gouvernement pour limiter la hausse des prix à la pompe.
Le secteur pétrolier, qui va déjà devoir acquitter en 2012 une surtaxe de 500 millions d'euros, accueille pour l'instant avec satisfaction les déclarations de Jean-Marc Ayrault, jugeant qu'elles vont « dans le bon sens ». « On avait dit depuis le début que pour atténuer l'augmentation des prix des carburants, il fallait d'abord jouer sur les taxes, le gouvernement reconnaît cette réalité », a dit à Reuters Jean-Louis Schilansky, le président de L'Union française des industries pétrolières.
Selon les chiffres communiqués par le ministère de l'écologie et du développement durable, la fiscalité représentait en 2010 plus de 60 % du prix de l'essence (61,4 % pour le sans plomb 95 et 60,3 % pour le sans plomb 98) et 53,7 % pour le gazole. Pour s'opposer au gel temporaire des prix, les professionnels avaient mis en avant l'argument selon lequel un blocage risquait d'aggraver les difficultés de la filière française du raffinage et d'accélérer les fermetures de stations-service.
Si elles satisfont le secteur, ces annonces suscitent le scepticisme des alliés Verts du gouvernement et l'opposition de l'UMP. Ainsi le sénateur écologiste Jean-Vincent Placé, qui « ne pense pas que ce soit ce type de mesure circonstancielle qui puisse résoudre le problème extrêmement important que rencontrent nos entreprises et nos ménages par rapport au coût de la facture énergétique, par rapport au prix de l'essence. Nous aurions pu nous tourner vers une aide directe aux ménages les plus défavorisés et qui ont besoin d'une aide publique pour compenser cette baisse dramatique du pouvoir d'achat. Ce qui est intéressant c'est de pouvoir discuter entre nous, et je dis très sincèrement ma perplexité quant à la réalité, à la portée de cette mesure. »
Pour sa part, l'ancienne ministre du budget, Valérie Pécresse, a dénoncé sur RTL « un marché de dupes », expliquant que « si Jean-Marc Ayrault baisse les taxes sur les carburants, il faudra bien qu'un autre contribuable paye pour que le déficit budgétaire ne s'aggrave pas, donc on va donner aux consommateurs d'essence une baisse de taxe, et on fera une hausse d'impôts par ailleurs sur d'autres taxes, donc en réalité on reprendra d'une main ce qu'on donne de l'autre. Aujourd'hui, le gouvernement choisit la démagogie de court terme, les Français payeront. »
Outre l'annonce sur la baisse des taxes, le premier ministre a également indiqué vouloir mettre en place « un organisme de surveillance de l'élaboration des prix » des carburants, à l'image d'un observatoire qui vient d'être instauré en Allemagne. En France, il existe déjà un observatoire des prix et des marges placé sous l'autorité de Bercy et dont l'objet est de scruter chaque mois les prix et les marges de différents produits de consommation, dont les carburants.
Anne Eveno