Chaque lundi après-midi, Nicole et Carla tiennent la permanence du Secours Catholique, au rez-de-chaussée du presbytère de l’église Sainte Agathe de Florange. Depuis le début de l’année 2012, ces deux bénévoles voient les demandes d’aides d’urgence augmenter en flèche. Mais depuis septembre, disent-elles, c’est du jamais vu. "On a fait la rentrée sur les chapeaux de roues. Le Luxembourg dégraisse beaucoup et ça se sent", indique Nicole pour qui sans le Grand Duché, la Moselle serait "dans une misère noire".
Nicole et Carla le remarquent avec inquiétude : le profil des gens qui les appellent au secours a changé. Autrefois, il s’agissait surtout de femmes seules avec enfants. Maintenant, ce sont des hommes seuls, sans emploi, de plus en plus jeunes. Beaucoup vivent dans les deux foyers de la ville. La moitié d’entre eux sont des immigrés, parfois de la deuxième génération, le plus souvent des Maghrébins. D’où les réflexions pincées de Florengeois pour qui "il faut porter un voile ou avoir la peau sombre pour avoir droit à des aides".
Pas d’aide en argent liquide pour ces visiteurs du lundi, mais, le plus souvent, des "bons" à échanger contre de l’alimentation dans les grandes surfaces. Le problème est que les donateurs se font plus rares, d’année en année. Pour tenter de secouer l’apathie générale, Nicole et Carla multiplient les initiatives : ventes de calendriers, ventes de bougies, etc. Le 27 octobre, elles organisent à Florange "une soirée harengs". Succès garanti ! Pour 16 euros, chacun se voit offrir "un kir, des toasts, des harengs à la crème, des pommes de terre, du fromage et un charriot de desserts". Il y a deux ans, on comptait 60 participants. L’année dernière, 120.
Entre deux visiteurs, Nicole et Carla parlent de leur vie. L’une et l’autre sont retraitées. Nicole est une ancienne sidérurgiste. Elle aime Florange, "sauf ses ronds-points et ses dos d’âne !" Carla, veuve depuis cinq ans, glisse en passant qu’elle a des enfants "modernes", qui ne s’occupent "pas trop de leur mère". Elle aurait rêvé d’être institutrice, mais à la place, elle a fait "tous les métiers, sauf dame pipi et le trottoir !", dit-elle en riant. Ce qui lui pèse aujourd’hui ? Le "laxisme des gens, et le trop grand mélange des populations", répond-elle, avant de s’excuser de parler ainsi puisque elle est elle-même "fille d’immigrés italiens".
Sur l’avenir, les deux femmes ne sont pas optimistes. Ni l’une ni l’autre ne croient à une possible reprise d’ArcelorMittal. Elles ont "renoncé à parler de tout ça", mais l’avenir des jeunes générations les soucient. "Les retraités sont plus riches que les jeunes aujourd’hui. Ce n’est pas normal, se désole Nicole. Je dis souvent au maire : au lieu d’organiser des repas pour les personnes âgées, vous feriez mieux d’en faire pour les chômeurs !"
La solidarité ? A les entendre, c’est un phénomène en voie de disparition. Les vieux ont peur des jeunes. Les jeunes ignorent l’entraide et la méfiance grandit entre les générations. "Les personnes âgées pensent que, si elles donnent, ça n’aidera pas à régler des factures impayées mais à acheter le dernier Iphone", lâche Nicole. Pour elle, comme pour Carla, les gens en ont ras le bol de donner. "Ils se disent : "y en a marre des assistés", et quelque part, ils n’ont pas complètement tort…"
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