Source : www.marianne.net
Quand la Russie demande à l’Ukraine de régler ses dettes pour les livraisons de gaz, les grands mots fusent : « impérialisme », « racket », « scandale ». Mais quand les Etats-Unis prétendent sanctionner BNP-Paribas — et peut-être d’autres banques françaises d’ici peu — sans aucun prétexte juridique recevable en droit international, il n’y a plus personne.
On entend à peine Laurent Fabius. Il est vrai que ce dernier est trop occupé à recevoir au Quai d’Orsay les présentateurs météo de la télévision pour les alerter sur la grave question du réchauffement climatique. Tout à la préparation de cette rencontre décisive pour l’avenir de la planète, le ministre des Affaires Etrangères a juste trouvé le temps d’émettre un commentaire digne de l’élève demandant pardon à son maître, tête baissée et mains dans le dos.
Voici ce que Laurent Fabius a déclaré sur France 2 : « S’il y a eu faute, il est normal qu’il y ait une sanction mais la sanction doit être proportionnée et raisonnable ». On est à la limite de la tempête diplomatique dans un verre d’eau. C’est pathétique.
Le problème, c’est qu’il n’y a aucune « faute », sauf au regard du droit américain dont on ne sache pas qu’il ait vocation à s’étendre à la planète entière.
Que reprochent les Etats-Unis à BNP-Paribas pour la menacer d’une amende exorbitante de 10 milliards de dollars et d’un retrait de sa licence outre-Atlantique ? D’avoir enfreint l’embargo des Etats-Unis à l’encontre d’un certain nombre de pays (Cuba, Soudan, Iran) entre 2002 et 2009. Or, cet embargo est une décision purement américaine, nullement validée par l’ONU. Les autres pays ne sont nullement concernés. BNP-Paribas, qui a effectué les transactions incriminées à partir de l’Europe, n’a violé ni le droit français ni le droit européen.
Seulement voilà : la banque a eu recours au dollar pour le règlement. Les Etats-Unis invoquent donc le double statut du billet vert (monnaie nationale et monnaie de réserve) pour appliquer un principe d’extraterritorialité et appliquer des sanctions.
Au passage, on vérifiera une nouvelle fois que le rôle du dollar permet aux Etats-Unis d’appliquer à leur guise le principe de la « souveraineté limitée » cher à feu Leonid Brejnev quand il évoquait l’indépendance relative des satellites de l’ex-URSS. Sauf qu’à l’époque, dans le monde occidental, des grandes voix s’élevaient au nom de la défense des valeurs universelles — dont celle, d’ailleurs, de Laurent Fabius, nettement plus mesuré quand il s’agit de Washington.
On peut penser le plus grand mal des banques françaises en général et de BNP-Paribas en particulier, mais dans cette affaire, sous réserve d’en savoir plus, le procès qui leur est fait est proprement ubuesque.
Que les banques incriminées en soient réduites à négocier avec les autorités américaines pour échapper à l’engrenage de sanctions qui peuvent aller très loin, cela peut se comprendre. D’ailleurs, elles savent que l’Etat français, si besoin est, viendra à leurs secours, quitte à ce que les contribuables paient la note. Nos amis les banquiers savent frapper aux bonnes portes.
Mais que les autorités françaises, elles, en soient réduites à se comporter comme des serviteurs face à leurs maîtres en dit long sur l’état d’esprit qui règne en haut lieu. Le sens de l’honneur n’est plus ce qu’il était. Avec un tel comportement, le général de Gaulle n’aurait jamais quitté le commandement intégré de l’Otan en 1966, et Jacques Chirac n’aurait jamais condamné l’invasion de l’Irak en 2003. Ils se seraient couchés, comme le fait François Hollande aujourd’hui, par peur de faire de la peine au grand frère d’outre-Atlantique.
Voilà qui ne fait que renforcer les dangers inhérents à la négociation engagée entre les Etats-Unis et l’Europe en vue d’un traité transatlantique qui serait une nouvelle étape vers le libre-échange et l’alignement sur les normes américaines. Plutôt que de faire ce cadeau aux Américains, mieux vaudrait réformer le système monétaire international afin d’en finir avec le privilège du dollar. C’est presque aussi important que le sort des infos météo à la télévision.
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