Des rangées de Guy Fawkes emmitouflés sous des écharpes et des capuches défilaient ce samedi à Paris. « C'est dur de gueuler avec un masque », lance un manifestant place de la Bastille avant de scander :
« Acta, Acta, ça passera pas. »
Acta (pour Anti-counterfeiting trade agreement) est le traité qui effraie les défenseurs de libertés sur Internet. Négocié en secret comme un accord commercial, le texte entend renforcer la coopération internationale dans la lutte contre la contrefaçon. Des médicaments ou des sacs à main, mais aussi sur le téléchargement illégal.
Les Anonymous ont appelé à une « protestation mondiale » contre ce traité, contesté sur le fond comme la forme. S'en est suivi de nombreuses manifestations dans toute l'Europe ce 11 février. Une précédente mobilisation avait eu lieu le 28 janvier.
Des jeunes, des geeks, des punks
Devant les marches de l'opéra Bastille, cinq garçons en blouson noir, masque blanc et capuche, discutent en arc de cercle. Ils ont entre 16 et 18 ans et viennent du même lycée. Pour l'un, c'est sa toute première manif. L'autre à côté prend la parole :
« Je fais partie de la Fédération anarchiste. On est là pour notre liberté d'expression. »
Des jeunes (parfois très jeunes) en jeans baskets : c'est la silhouette la plus commune de l'attroupement. Derrière les masques, difficile de deviner les profils des anti-Acta.
Soond (c'est le nom qu'il porte en tatouage sur l'avant-bras), un peu plus loin, analyse :
« Il y a pas mal de geeks et ça touche forcément plus les jeunes. Pas mal de punks aussi, le fait qu'Anonymous n'ait pas de chef, ça leur parle. »
Le jeune homme, 25 ans, se revendique geek et « actif niveau militantisme » (plus particulièrement sur les « bavures policières »). Il revient d'un tour du monde où il a trouvé une cagoule en laine péruvienne qu'il porte, aux allures de Guy Fawkes.
« C'est big brother »
Dans le cortège, beaucoup de geeks, mobilisés via les réseaux sociaux ou les forums. « On est beaucoup de gens du milieu informatique », explique un consultant de 26 ans qui marche dans le cortège.
Ces deux étudiants en droit de 20 et 30 ans sont plutôt là pour la défense de leurs droits sur le web. Lui a encore « la rage » après la fermeture de Megaupload : il est pour la « liberté de partager des infos ».
Elle, cheveux longs tombants autour du masque à moustache, pointe avec précision les dangers d'Acta. Elle évoque la « surveillance automatique » des utilisateurs qui découlerait du traité :
»Ça voudra dire qu'on pourra regarder tous les fichiers échangés entre ordinateurs. C'est big brother. »
Quelques mètres plus loin, encore un groupe de lycéens avec deux pancartes aux pieds : « Stop acta » (sous une tête de mort) et le logo Anonymous (sous son slogan). Un garçon, à peine 16 ans, suit le groupe d'hacktivistes depuis le piratage du Playstation Network, en avril 2011. Il est venu aussi défendre les droits sur le web – et se sent Anonymous :
« On ne sait pas vraiment qui ils sont mais on peut tous les représenter. »
Un Anonymous : « On est cool »
Au mégaphone, un « membre du groupe original des Anonymous français » prend la parole. Il rappelle les règles de la manifestation :
« On est cool. »
Selon lui, la plupart des réseaux français du groupe sont représentés aujourd'hui à cette « sorte de sympathique Jacquerie ». Il retrouve aussi quelques membres du mouvement des Indignés. Point commun ?
« Les gens se sont appropriés Internet et ils ne supportent pas qu'on marche sur leur liberté. »
On a aperçu Nicolas Dupont-Aignan s'offusquant contre Acta devant des caméras ou encore quelques autocollants du PS sur les vestes. Dans le cortège en direction du nord est de Paris, un drapeau rouge du Front de gauche s'est fait huer par plusieurs manifestants. Ils crient :
« Pas de récupération politique. »
Au printemps, le traité doit être validé par le Parlement européen pour être définitivement adopté par l'Union européenne – 22 pays (dont la France) l'ont déjà signé. Une nouvelle mobilisation contre le texte devrait avoir lieu en mars.