Source : www.mediapart.fr
Le policier, blanc, qui a tué le jeune Afro-Américain Mike Brown en août dernier, à Ferguson dans le Missouri, ne sera poursuivi. Des manifestations ont aussitôt éclaté à Ferguson mais aussi à travers le pays.
De notre correspondante aux Etats-Unis.- La décision était attendue depuis plus de trois mois et elle a enfin été rendue la nuit dernière : l’officier Darren Wilson, qui a abattu le jeune Afro-Américain Mike Brown en août dernier à Ferguson, dans le Missouri, n’aura pas à répondre de ses actes devant la justice. Le jury, qui était réuni depuis le 20 août afin de décider si celui-ci devait être poursuivi, a estimé « qu'il n'y avait pas de raison suffisante d'intenter des poursuites contre l'officier Wilson », selon les termes du procureur, Robert McCulloch. Les douze jurés, neuf Blancs et trois Noirs, ont basé leur décision sur une série de témoignages contradictoires et de documents tels que les rapports médicaux, le rapport d’autopsie pratiqué sur Michael Brown, ou encore l’examen des photos des blessures infligées à l’officier. Des photos peuvent être consultées ici. La transcription de la décision des jurés est ici.
Cette décision a immédiatement déclenché de violentes manifestations dans cette petite ville de banlieue de Saint Louis, dans le Missouri, ainsi que des marches dans plusieurs villes du pays, à Washington, New York, Los Angeles, Chicago ou Seattle. Sur les pancartes brandies par les manifestants, on a pu lire des messages comme : « Justice pour Mike Brown », « Cessez de tuer nos enfants », « Stoppez la terreur policière » ou encore « La vie des Noirs compte ».
Si l’affaire Ferguson a pris aujourd’hui une telle ampleur, c’est qu’elle est devenue un sujet d’attention nationale dès août dernier, en relançant le débat sur les brutalités policières, un système judiciaire jugé discriminant à l’égard des Afro-Américains et plus généralement sur le racisme (nous l’expliquions ici). Car le déroulé de cette affaire est considéré par beaucoup comme tristement classique : un jeune homme noir non armé abattu par un policier blanc dans des circonstances floues, suivi d’une réaction lente et jugée insuffisante de la part des autorités, puis d’une libération du policier.

L’affaire de Ferguson a précisément commencé le 9 août 2014, lorsque Mike Brown a été tué par arme à feu dans des circonstances sur lesquelles deux versions contradictoires n’ont cessé de s’affronter. Le jeune homme et l'un de ses amis se dirigeaient à pied vers leur domicile quand ils ont croisé la route d’un policier, peu de temps après le signalement d’un larcin dans une épicerie du quartier. Il s'est alors produit une altercation qui a dégénéré. La police dit que l’officier a été attaqué, que Michael Brown a tenté de lui prendre son arme et que l'officier s’est donc légitimement défendu ; tandis que l’un des témoins de la scène affirme que le jeune homme n’était pas armé, qu’il a couru pour s’éloigner de la voiture de police, et qu’il levait les bras, mains en l’air, quand l’officier a tiré plus de dix fois. Le policier a ensuite quitté les lieux et le corps du jeune homme est resté au milieu de la chaussée pendant plusieurs heures, nourrissant la colère des habitants, ne tardant pas à exploser.

Dix jours de manifestations et d’émeutes s’en sont suivis. Et les tensions ne sont jamais vraiment retombées, alimentées jusqu’à la veille de ce verdict par les décisions et méthodes de communication hasardeuses des autorités locales. Elles ont choisi de ne pas révéler le nom de l’officier, refusant de publier le rapport d’autopsie, de dire combien de balles avaient été tirées sur Mike Brown, puis ont fait appel à plusieurs reprises à la garde nationale, à des renforts équipés de matériel militaire lourd pour disperser les manifestants… Pendant ce temps, des leaders religieux tel que le New-Yorkais Al Sharpton, des associations nationales de lutte pour les droits civiques telle que le NAACP, ainsi qu’une myriade d’associations locales, se sont saisis du problème, lui donnant une visibilité nationale, et entamant un débat sur les réformes à mener, à la fois localement et nationalement (nous avons parlé de ce militantisme ici).
C’est sur ce travail de réflexion qu’a insisté Barack Obama, prenant brièvement la parole immédiatement après le verdict lundi soir. Le président a d’abord appelé à manifester dans le calme et il a repris les mots du père de Mike Brown, déclarant que « la solution n’était pas de s’en prendre aux autres ou de détruire des biens matériels ».
Il a aussi jugé les débordements « inévitables », glissé avec une pointe de cynisme qu’ils feraient de « bonnes images pour la télévision ». Puis il a estimé que le pays, tout en ayant « beaucoup progressé » sur les problèmes raciaux, avait encore du chemin à parcourir, qu’il fallait améliorer les relations « entre la police et les communautés de couleur ». Et il a appelé, sans donner de détails, à agir de manière « constructive ».
Ce discours, il l’a déjà tenu à de nombreuses reprises, notamment fin août lorsqu’il a pris la parole pour commenter les premières émeutes à Ferguson, ou encore après l’acquittement de Georges Zimmerman dans l’affaire Trayvon Martin. Au point de ne plus vraiment être entendu, puisque des affaires de ce type continuent de se produire régulièrement, en faisant l’objet de plus ou moins d’attention médiatique, et sans que des réformes d’ampleur ne soient entamées.
Ne serait-ce qu’au cours des derniers jours, deux autres faits divers sont venus nourrir ce débat. Il y a eu la mort d’Akai Gurley, 28 ans, non armé, abattu dans un hall d’immeuble à Brooklyn par un jeune officier (lire ici). Une affaire dans laquelle le département de la police new-yorkaise a concédé avoir commis une erreur, mais qui continue de mobiliser à New York. Puis le jeune Tamor Rice, 12 ans, a été abattu sur une aire de jeux de Cleveland, dans l’Ohio, par un policier craignant que son faux pistolet, attaché à sa ceinture, ne soit une arme létale (ici).

Quelques statistiques, quoique insuffisantes, permettent encore de mieux cerner le problème. Ce sont par exemple celles du Center for Disease Control qui compile des données par État. Nationalement, le Centre arrive à la conclusion que les Noirs ont trois fois plus de chances d’être tués par les forces de l’ordre que les Blancs. (Ici, une compilation de statistiques sur le sujet.)
Face à cette réalité, et face à la méfiance de la communauté afro-américaine envers les forces de police, de nombreuses pistes de réformes existent bien sûr, tant au niveau local que national. Il s’agit par exemple d’instaurer des mécanismes de surveillance et de responsabilisation de la police plus efficaces (un article d'opinion ici dans le New York Times, intitulé « Comment la cour suprême protège les mauvais policiers »), de revoir les règles du port d’armes (comme l’explorait cet article fouillé du site Think Progress en août, comparant l’Angleterre et les États-Unis), de réintroduire une police de proximité. Une loi a encore été proposée, surnommée « loi Mike Brown », qui obligerait tous les officiers du pays à être munis d’une caméra, fournissant des preuves par l’image bien moins discutables que des témoignages.
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