Les signatures se multiplient pour lutter contre l’exclusion des sans-papiers, bientôt privés de leur droit d’accès au système de santé public espagnol. Alors que Médecins du monde, Amnesty International et Red Acoge en ont déjà reccueilli 60 000 par le biais d'une pétition, 900 médecins éspagnols viennent de s’engager à leur tour pour dénoncer les mesures prises par le gouvernement espagnol qui entend réaliser «près d’un milliard d’euros d’économie par an », grâce à une réforme lancée en avril. «Ma loyauté envers les patients ne me permet pas de manquer à mon devoir éthique et professionnel et de commettre un abandon », affirme le texte diffusé par la société espagnole de médecine familiale et communautaire (semFYC) depuis le début du mois de juillet, afin d'encourager les médecins à devenir « objecteurs de conscience» en s'opposant fermement aux mesures de rigueur qui vont toucher les populations les plus vulnérables.
Pris dans la spirale de la dette, le gouvernement espagnol a annoncé dès le mois d’avril, qu’il comptait s’attaquer au déficit public en réalisant 23,7 milliards d’économie dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Le Parlement espagnol, où le Parti populaire de Mariano Rajoy détient la majorité absolue, a enclenché cette réforme du système de santé à travers un amendement à la loi sur les étrangers, adopté en avril. Ainsi, à compter du 1er septembre, les étrangers en situation irrégulière verront leur accès au système de santé public largement limité: seuls les urgences pour maladie ou accident, le suivi de grossesse, les accouchements et post partum et l’assistance sanitaire aux moins de 18 ans seront encore assurés gratuitement.
Si la situation semble inquiétante, elle apparait surtout « extrêmement décevante», si l’on en croit les observateurs. « Jusque là, le système espagnol était sans aucun doute le plus universel, le plus équitable et le plus ouvert d’Europe», soupire Nathalie Simonnot, membre du réseau international de Médecins du Monde. « Toutes les personnes vivant sur le territoire espagnol bénéficiaient d’un accès complet au système de santé public grâce à la carte sanitaire individuelle, à la seule condition de s’être enregistré dans la mairie de sa commune de résidence. C’était une couverture vraiment universelle », regrette-t-elle. Les ONG dénoncent aujourd’hui une grave régression du droit, sous couvert d’austérité. « Avec ce décret, ils sont en train de casser leur système de santé. C’est à la fois injuste et illogique», grince Nathalie Simonnot.
C’est un article publié par le journal El Pais qui a relancé la polémique, mardi 7 août : selon les informations du quotidien espagnol, les étrangers désireux de se faire soigner au sein de l’hôpital public devront désormais s’acquitter d’une assurance annuelle s’élevant à 710 euros. Pour les personnes âgées de plus de 65 ans, celle-ci grimperait même à 1864,80 euros par an. Le même jour, le Ministère de la Santé a en effet esquissé un geste dans se sens, en faisant part de sa volonté de réintégrer les sans-papiers dans le système de santé, à travers un système de “conventions” payantes. Mais celles-ci seraient assorties de fortes restrictions : « Cette somme ne couvrirait pas le remboursement des médicaments », précise Nathalie Simonnot. « De plus, pour en bénéficier, les étrangers devront avoir résidé au moins un an dans le pays ! Quand on connait les parcours migratoires, on comprend bien que cette condition est irréaliste. Les immigrés arrivent souvent par voie de terre, certains fuient des situations de conflit, ils viennent d’achever un voyage éprouvant... et il faudrait en plus qu’ils attendent un an avant de pouvoir se faire soigner ? »
Faire payer des personnes vivant souvent dans la plus grande précarité s’avère paradoxal à bien des égards, d'après la coordinatrice de Médecins du Monde. « On peut se demander comment le gouvernement compte les faire payer : devront-ils se prostituer ? Voler ? Travailler au noir ?», ironise-t-elle.
Pourtant, on peut aussi faire une lecture plus optimiste de cette annonce, qui présente tout de même une avancée par rapport à l’exclusion pure et simple. « Cela laisse de nombreuses possibilités pour payer ces frais. Les gouvernements autonomes espagnols (régions, ndlr) pourraient créer un fond spécial, ou même décider de ne pas les percevoir. »
Cette hypothèse semble plausible, puisque les régions gouvernées par le parti socialiste ont d’ors et déjà fermement pris position contre cet amendement : à Madrid, en Andalousie, dans les Asturies, en Catalogne et au Pays-basque, les sans-papiers continueront de bénéficier de la gratuité des soins. Dans un communiqué publié mardi, le parti des verts catalan (Iniciativa per Catalunya Verds - opposition) interpelle le gouvernement régional, qui « doit clairement souligner qu'il usera de tous les moyens dont il dispose pour que personne en Catalogne ne soit privé de l'assistance médicale », tout en dénonçant le gouvernement espagnol qui semble « chercher à mercantiliser le système de santé ». De même, le gouvernement socialiste basque a rappelé mardi son opposition à un système « basé sur des coupes et des restrictions. »
Interpellé sur le sujet lors du Congrès des députés, le porte-parole du Parti populaire affirme pour sa part que « ce que doivent faire les immigrés illégaux, c’est entrer en Espagne légalement », avant d’ajouter que le pays « ne doit plus être le paradis de l’immigration illégale. »