« Et avec ceci ? » 22/07/2012 à 11h06
Questions fermées, ardoise approchée au bon moment, petit verre offert par le patron : comme tout bon vendeur, votre serveur sait comment vous faire consommer plus.
On ne fait pas attention, ou alors on s’habitue, mais passer la porte d’un restaurant, c’est, avant de prendre du plaisir, résister (ou pas) aux multiples sollicitations commerciales. Souvent implicites, ces petites pressions sous forme de gestes ou de phrases permettent aux restaurants d’améliorer leur chiffre, et aux serveurs d’empocher, éventuellement, une prime.
Sylvain, chef de rang depuis cinq ans, explique que « tout est codifié, pensé dans les moindres détails, pour vendre le maximum de produits ».
Il se souvient d’une discussion avec son responsable d’un Costes (grand groupe de restauration à Paris) :
« C’est chez les Costes qu’on m’a le mieux formé à vendre. Une fois en fin de service, mon manager m’a dit une phrase qui m’a marqué : “Ici les serveurs, vous êtes là pour baiser le client, pas physiquement mais en lui prenant son argent. Alors faites du chiffre, dès qu’un client termine son verre, prenez le lui et faites le recommander.” »
Bien sûr, ce genre de propos et la liste des astuces marketing qui suivent ne reflètent pas la mentalité de tous les restaurants.
Le monde appelle le monde. Un restaurant attire parce qu’il a du succès. Passer devant un restaurant qui semble plein est le meilleur moyen de le remplir.
Vous avez déjà sûrement entendu cette phrase : « Vous prendrez un petit apéritif ou directement une bouteille de vin ? » C’est sur l’alcool que les restaurateurs font le plus de marge. Il faut poser des questions fermées, ne pas laisser de choix au client, rendre une réponse négative (« en fait, on va prendre de l’eau ») plus difficile.
Après avoir gentiment imposé l’idée de prendre une boisson, et lorsque le client demande du vin, une technique courante consiste à lister les bouteilles de la moins cher à la plus cher :
« En blanc on peut vous proposer Sauvignon, Chardonnay ou Chablis. »
La technique est féroce, mais le consommateur va retenir ce qui est dit en dernier plutôt que de faire répéter le serveur.
Et pour les verres de vin ou la bière, on ne parlera jamais centilitre, mais au contraire, on demandera : « Petit ou moyen, le verre ? » Pour la bière, c’est en réalité 25 centilitres ou 50 centilitres comme dans tous les établissements, mais présenter ainsi le choix incite le client à prendre une pinte plutôt qu’un demi.
L’eau minérale, aussi étonnant que cela puisse paraître, est un véritable enjeu pour chaque serveur. Certains restaurants posent déjà des bouteilles non décapsulées sur les tables pour inciter le client à en prendre. Mais le plus souvent, le serveur en propose après avoir pris la commande. Cette phrase oblige encore le client à choisir l’une ou l’autre des possibilités.
Dans certains restaurants, des fiches expliquent comment bien vendre de l’eau :
- Ne jamais poser de carafe d’eau avant de prendre la commande
- Proposer « eau plate ou eau gazeuse »
- Servir l’eau minérale comme le vin
- Resservir régulièrement
Alexia, serveuse dans une brasserie chic, témoigne de sa technique :
« Moi, je sers régulièrement l’eau pour terminer la bouteille en plein milieu du repas et je propose au client une nouvelle bouteille. Presque systématiquement, il en redemande. »
Et cela fonctionne de la même façon pour le vin. Le serveur est a priori bienveillant pour vous resservir, mais c’est aussi un calcul : remplir les verres à ras bord et régulièrement, c’est avoir plus de chances de vendre une seconde bouteille.
Ne rien donner au client qu’il n’ait pas demandé. Mais comme cette règle souffre de beaucoup d’exceptions, il a fallu s’adapter. Pour les apéritifs, on donnera des amuse-bouches très salés (chips, cacahuètes, pop-corn) pour que le client ait soif et qu’il reprenne à boire. Romain, serveur à Montparnasse, a mis longtemps à intégrer la règle :
« Mon responsable m’a engueulé je ne sais pas combien de fois parce que je posais le pain sur la table juste après avoir pris la commande. Il veut qu’on le donne après avoir posé les plats, quitte à l’oublier pour que les clients aient encore faim pour un dessert. C’est stratégique. »
Une fois le plat de résistance terminé, le restaurateur espère pouvoir vendre un dessert. Pour cela il y a les serveurs pressés ou pas bien formés qui diront : « Vous prendrez un petit dessert ? »
Et il y a ceux qui ne laisseront pas le choix en posant la carte des desserts directement sur la table. Pour Romain, cela change tout :
« On dirait que cela ne fait qu’une petite différence, mais en réalité, c’est radical.
Le midi, quand je ne sers que des cadres qui sont pressés et que je suis dans le jus, je propose toujours les desserts à voix haute, c’est très rare qu’ils en prennent. Mais quand il y a moins de monde, je pose la carte, je laisse un peu de temps pour qu’ils digèrent, et je suis sûr d’en vendre. »
Et pour les plus récalcitrants, il y a le fameux café gourmand qui cible tous ceux qui ne veulent pas vraiment un dessert. Cette petite invention qui coûte entre 7 et 9 euros, rapporte énormément et console le client.
Evidemment, on ne pose jamais l’addition sans que le client la demande. Il peut reprendre un digestif ou une bouteille de vin. Une fois sollicité, le serveur apportera la note et après avoir vendu tout ce qu’il a pu, devra gratter un peu de pourboire.
Sylvain détaille ses techniques :
« Déjà le “tips” se fait tout au long du service. Au moment de payer, je vais systématiquement demander si tout s’est bien passé. Quand ils payent en carte bleue, je vais demander combien ils veulent mettre plutôt que d’inscrire le montant de la note directement sur la machine.
Et si je dois rendre de la monnaie, j’essaye de toujours privilégier les pièces, et jamais dans la main : soit dans une coupelle, soit sur la table. »
Enfin, pour les les gros consommateurs ou les habitués, ils peuvent se voir offrir un petit verre pour la fin. Le patron peut bien sûr être sympathique, mais c’est aussi un acte qui n’est pas innocent. Si le restaurant se vide, cela permet de garder plus longtemps le client et d’avoir toujours un peu de monde. Cela récompense et entretient aussi la fidélité des habitués.
Attention cependant à ne pas griller cette carte, comme le relève Manu, chef de rang à Châtelet :
« Quand on offre un verre au client, ils demandent parfois : “En quel honneur ?” J’ai envie de leur répondre : “Parce que le restaurant se vide”... Mais parfois, on offre des verres à la table juste à côté, alors c’est gênant pour ceux qui se croyaient privilégiés. »
Ces petites astuces commerciales ont tellement de succès que des formations en vente additionnelle sont maintenant proposées aux restaurants. Pour Aurélie Viry, formatrice pour AV-Conseil : « Tout ce que l’on peut vendre en plus fera le chiffre d’affaires. » Elle se défend d’apprendre à manipuler la clientèle :
« Tout est dans l’art de proposer, on ne force pas le client qui pourra toujours dire non. Il faut intégrer la notion de plaisir. On va par exemple dire : “Un deuxième café vous ferait plaisir ?” Plutôt que : “Pas d’autre café ?”, formule négative et qui pousse à dire non. »
Aurélie Viry ne donnera pas d’autres exemples, peut-être pour ne pas concurrencer cette formation qui a « de plus en plus de succès ».
Riverains clients, avez-vous décelé d’autres petites phrases ou techniques pour vous faire consommer plus ? Riverains serveurs, connaissez-vous d’autres astuces à ajouter à la liste ? Partagez-les dans les commentaires.