Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
LE MONDE GEO ET POLITIQUE | 29.01.12 | 14h48 • Mis à jour le 29.01.12 | 14h48
Juan Vilches, un patron de pêche, se souvient de cette époque. "Le massacre était énorme, incroyable. Personne ne connaissait la moindre retenue, dit-il. Des centaines de tonnes étaient rejetées par-dessus bord quand les filets attrapaient plus de poisson que ce que les cales pouvaient contenir."
Depuis, les choses ont changé. Pourtant, d'après l'enquête de l'International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) menée en collaboration avec le centre d'investigation chilien Ciper, il ressort que huit groupes disposant d'un quasi-monopole ont fait pression sur le gouvernement pour qu'il fixe des quotas supérieurs aux recommandations des scientifiques. Six de ces groupes sont contrôlés par de puissantes familles. Ensemble, ces huit groupes ont droit à 87 % des prises de chinchard accordées au Chili.
HÉRITIER ET SUCCESSEUR DE L'HOMME LE PLUS RICHE D'AMÉRIQUE DU SUD
Roberto Angelini, 63 ans, contrôle la zone de pêche au nord du pays. On le surnomme "l'héritier", car il a succédé à son oncle, Anacleto, qui mourut en 2007 alors que le magazine Forbes s'apprêtait à le classer homme le plus riche d'Amérique du Sud. Les deux entreprises de pêche d'Angelini détiennent 29,3 % du quota de chinchards fixé par le gouvernement chilien. Elles assurent 5,5 % de la production mondiale de farine de poisson.
Un rapport officiel indique qu'environ 70 % des chinchards pêchés entre 1998 et 2011 dans le fief septentrional d'Angelini étaient inférieurs à la taille autorisée. Si l'on s'en tenait à la loi, la moitié de ces prises devraient être considérées comme illégales. Mais les responsables gouvernementaux affirment que les prises opérées dans ce secteur nord appartiennent à une catégorie spéciale relevant de la "recherche", et qu'à ce titre elles ne sont pas soumises à une taille réglementée. Angelini s'est refusé à tout commentaire à ce sujet.
A l'université de Concepcion, le ton habituellement calme du biologiste marin Eduardo Tarifeño se durcit lorsqu'il aborde la question du pillage des océans. D'après lui, la sardine est le seul poisson qui subsiste en relative abondance au Chili. "Il n'y a plus ni chinchard, ni colin, ni anchois péruvien. Les pêcheries qui produisaient 1 million de tonnes ou plus chaque année ont été tout simplement épuisées par la surpêche des grandes compagnies." Tarifeño est l'un des deux seuls scientifiques siégeant au Conseil national chilien des pêcheries (CNP), mis en place pour recommander des quotas. Les votes se font à la majorité, et 60 % des membres sont des industriels de la pêche.
Selon Oceana, organisme à but non lucratif qui milite pour la protection des océans et qui a étudié les chiffres non publiés des quotas, l'Institut de promotion des pêches (IFOP), un organisme officiel de recherche, a demandé en 2009 une forte réduction des prises, à 750 000 tonnes. Le sous-secrétariat aux pêcheries (Subpesca), qui dépend du ministère de l'économie chilien, a porté ce chiffre à 1,4 million de tonnes, et le CNP a donné son accord. La nouvelle loi sur les pêcheries qui devrait être adoptée cette année transférera le rôle du CNP à un groupe d'experts cooptés.
Mais, d'après Tarifeño, on a tellement tardé que seules des mesures radicales pourraient enrayer le déclin irrémédiable des stocks. "Si nous ne sauvons pas le chinchard aujourd'hui, a-t-il déclaré à l'ICIJ, nous ne pourrons plus jamais le faire. La seule solution est une interdiction totale de la pêche pendant au moins cinq ans."
Au secrétariat des pêcheries de Valparaiso, Italo Campodonico s'avoue partagé sur la question. "En tant que biologiste halieute, je ne peux qu'être d'accord, dit-il. On devrait en effet décréter une interdiction de cinq ans. Mais en tant que fonctionnaire, je dois être réaliste. Pour des raisons économiques et sociales, cela n'arrivera pas. Les étrangers peuvent aller pêcher ailleurs. Pour nous, c'est impossible."
LE MONDE GEO ET POLITIQUE | 29.01.12 | 14h47 • Mis à jour le 29.01.12 | 14h48
L'anchois du Pérou figure en première place de la pêche mondiale. Si les exportations de farine de poisson représentent un secteur important au Chili - environ 535 millions de dollars annuels (412,6 millions d'euros) -, elles pèsent le triple au Pérou : 1,6 milliard de dollars. Des règlements indiquent les procédures à suivre lorsque les bateaux trouvent du poisson. Mais lorsque nous leur demandons quand ils ont vu des inspecteurs pour la dernière fois, les deux vieux pêcheurs que nous interrogeons se regardent et éclatent de rire.
L'International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), avec l'aide des enquêteurs du groupe IDL-Reporteros de Lima, a pu se procurer les chiffres de la base de données officielle des prises, laquelle montre l'ampleur de la fraude qui sévit derrière les grilles des usines. Une analyse de plus de 100 000 pesées de prises allant de 2009 au premier semestre 2011 montre que la plupart des entreprises péruviennes de production de farine de poisson ont systématiquement triché sur la moitié des débarquements - dissimulant parfois jusqu'à 50 % des prises réelles. Ces fraudes permettent aux entreprises de remonter plus de poissons que ce qu'autorisent les quotas, afin d'économiser sur les impôts et les taxes par tonne, mais aussi sur les salaires des pêcheurs, qui sont rémunérés selon un pourcentage sur les prises.
En tout, ce sont au moins 630 000 tonnes d'anchois - d'une valeur de près de 200 millions de dollars une fois transformés en farine - qui se sont "volatilisées" en deux ans et demi au cours des opérations de pesée. Elles n'ont tout simplement pas été comptabilisées. La palme de la fraude revient aux Péruviens, mais on trouve aussi parmi les principaux tricheurs le China Fishery Group, qui appartient à la holding PacAndes, et trois entreprises à capitaux norvégiens. Quand elles sont confondues, les compagnies peuvent retarder les sanctions pendant quatre ans et ne payer au final qu'une fraction des amendes qui leur sont infligées.