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7 novembre 2012 3 07 /11 /novembre /2012 22:54

 

 

 

Les faits sont connus, mais lorsque des chiffres apparaissent, ils font mal. Ils démontrent comment des mastodontes économiques, ultra-visibles et chouchous des citoyens (et donc des contribuables) parviennent, partout dans le monde, à « éviter » l'impôt. Voire à frauder le fisc. Apple, Google ou Microsoft sont passés maîtres dans l'art d'exploiter les possibilités offertes par les paradis fiscaux. Exemple le plus récent ? Sur l’exercice fiscal 2011, Apple a payé en France 7 millions d’euros d’impôts sur les bénéfices, après avoir déclaré 257 millions de chiffre d’affaires. Alors qu’on peut estimer son bénéfice réel dans l’Hexagone à… environ 3,5 milliards d’euros. C’est BFM Business, dans une enquête fouillée publiée sur son site, qui met le doigt sur cet ahurissant tour de passe-passe fiscal. 2 % d’impôts sur les bénéfices, qui dit mieux ?

Pour se faire passer pour une entreprise quasiment sans le sou en France, la firme à la pomme (qui totalise la bagatelle de 41,7 milliards de dollars de profit cette année, soit 32,5 milliards d’euros) emploie des techniques d’évitement fiscal connues, et très efficaces, reposant sur les paradis fiscaux que sont notamment l’Irlande, le Luxembourg ou les îles Vierges britanniques. Plusieurs stratégies sont mises en œuvre par le mastodonte, qui a atteint en août la première place des capitalisations boursières aux États-Unis.

D’abord, la vente en ligne de musique, de films, de livres numériques et d'applications est assurée par une filiale luxembourgeoise, iTunes SARL. « Objectif : payer moins de TVA, rappelle BFM Business. Le taux exact de TVA dont bénéficie iTunes n'est pas connu, mais il est estimé à 6 %, soit trois fois moins qu'en France (19,6 %). » La radio économique estime que « pour les seules musique et cinéma, iTunes génère en France environ 110 millions d'euros de recettes ». Rien que cette première étape d’« optimisation » permettrait donc de soustraire au moins 15 millions d'euros au fisc français.

Deuxième étape : ne pas laisser l’administration luxembourgeoise toucher aux revenus générés par iTunes dans toute l’Europe. Ce qui n’est pas si difficile, puisque la filiale luxembourgeoise n’est pas si riche, malgré un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros environ. Elle reverse en effet plus de 80 % de son chiffre d’affaires en droit divers, sur les chansons et les films qu’elle commercialise. Mais pour être sûre de ne pas verser trop d’impôts au Luxembourg, elle reverse aussi 7 % de son chiffre d’affaires à d'autres filiales d'Apple, pour des services de « support marketing ».

C'est une démarche classique pour une multinationale soucieuse de ne pas payer trop d’impôt : la manipulation des « prix de transfert » entre filiales basées un peu partout dans le monde permet de rendre déficitaires (ou au moins peu imposables) les succursales basées dans des pays à fort taux d’imposition, et d’engranger les bénéfices réels dans des pays peu regardants en matière fiscale, c’est-à-dire des paradis fiscaux.

Pour Apple, le « miracle des îles Vierges britanniques »

Autre pierre angulaire de la stratégie fiscale d’Apple : l’Irlande. Avec ses 12,5 % d’impôt sur les sociétés (contre 33,3 % en France, 35 % aux États-Unis et 24 % en Grande-Bretagne), le pays offre la taxation la plus légère de l’Union européenne. Et c’est donc depuis son territoire, assure BFM, que le fabricant facture les ventes de matériel réalisées hors de ses boutiques et de son site web, par exemple les téléphones vendus par les opérateurs mobiles, ou les ordinateurs vendus par des grossistes.

L’Irlande sortirait donc gagnante de ce montage ? Apple ne lui laisse pas ce privilège. Il est matériellement impossible de savoir ce que paye la société au fisc irlandais, puisque sa filiale a opté pour un statut fort pratique, la dispensant de déposer ses comptes... Mais une enquête très éclairante, publiée le 4 novembre dans le Sunday Times, permet vite de comprendre que l’entourloupe ne s’arrête pas à Dublin.

Le journal britannique a pu consulter un document (disponible en PDF) fourni par Apple au gendarme de la Bourse américain, la SEC (Securities and Exchange Commission), où la société détaille l’ensemble des impôts qu’elle paye hors des États-Unis. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne pèsent pas lourd : alors qu’elle totalise, pour 2011, 36,8 milliards de dollars de bénéfice à l’étranger, la société n’a été imposée que l’équivalent de 713 millions de dollars. Or, si l’ensemble des bénéfices réalisés par Apple en Europe étaient imposés en Irlande, la somme à verser serait déjà le double, assure BFM Business.

Sur l’ensemble de ses opérations hors États-Unis, la compagnie est en fait taxée à un taux moyen de… 1,9 % ! Contre 2,5 % pour l’exercice précédent, rappelle le Sunday Times. En comparaison, le taux réel payé par la compagnie au fisc américain pour ses bénéfices réalisés aux États-Unis est de 28 % (1,18 milliard de dollars sur 4,2 milliards de profits).

Par quelle magie Apple s’en sort-elle aussi « bien » hors de sa terre natale ? Pas de magie, mais ce qu’on pourrait appeler le « miracle des îles Vierges britanniques ». Les profits réalisés de par le monde sont en fait transférés dans des paradis fiscaux. Par exemple, ceux qui sont centralisés en Irlande passent, semble-t-il, pour leur immense majorité dans une filiale d’Apple basée aux îles Vierges britanniques, qui est aussi un actionnaire ultra-minoritaire des filiales irlandaises d'Apple. Selon BFM, il s’agit d’« une simple boîte à lettres sans activité, hébergée dans le bureau local de Tricor, une banque de Hong Kong ». Une société quasi fictive, qui suffit pour entasser les dollars sur un territoire qui ne réclame aucun impôt sur les bénéfices

« Double irlandais » et « sandwich hollandais »

Les pratiques des géants de l’entreprise pour échapper aux « griffes » du fisc sont connues, et bien documentées. Elles ont notamment été décrites en détail en avril, lors des auditions de la commission sénatoriale sur l’évasion fiscale. Le journaliste Christian Chavagneux, spécialiste des paradis fiscaux, avait énuméré devant les sénateurs les techniques, légales, disponibles pour une entreprise souhaitant « optimiser » au mieux (lire notre article à ce sujet). Elles sont au cœur du livre coécrit dès 2006 par Chavagneux aux éditions La Découverte, mais aussi plus récemment dans l’ouvrage du Britannique Nicolas Shaxson (André Versailles éditeur).

Dans le secteur high-tech, Apple est loin d’être le seul à utiliser toutes les ficelles fiscales à sa portée. On trouve à ses côtés tous les géants américains, au premier rang desquels Google, Facebook et Microsoft. Ceux que le Sunday Times a désigné ironiquement comme The Untaxables, en référence au film d’animation de Pixar, The Incredibles.

 

"Les Intaxables", images Pixar détournées par le Sunday Times 
"Les Intaxables", images Pixar détournées par le Sunday Times© Sunday Times

 

Tous utilisent peu ou prou les mêmes techniques, popularisées sous le nom de « double irlandais » et de « sandwich hollandais ». Dans un article explosif d’octobre 2010 (bien résumé à l’époque par Libération), Bloomberg avait jeté une lumière crue sur les manipulations comptables, tout à fait légales, de Google. En trois ans, le colosse du net avait réduit sa facture fiscale de 3,1 milliards de dollars dans le monde, et atteint le taux réel de 2,4 % d’impôt sur les bénéfices.

Les méthodes sont toujours les mêmes. Ainsi, toutes les publicités vendues en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique par Google sont facturées depuis une filiale irlandaise, Google Ireland Ltd. Mais pas question de voir imposer les énormes revenus générés. Or, l’Irlande taxe à un très faible taux les royalties générées par la propriété intellectuelle. Et c’est bien pour cela que Google Ireland Ltd reverse la quasi-totalité de son bénéfice, sous forme de royalties, à une autre filiale irlandaise, Google Ireland Holdings, détenant les droits sur tous les brevets de Google. C’est principalement cette particularité de la fiscalité irlandaise qui est exploitée par les entreprises high tech, qui reposent sur un fort « capital intellectuel », leurs brevets. Une opportunité fiscale qui est déjà exploitée depuis des années par de glorieux aînés, tels Dell et IBM.

Mais comme Apple, Google ne maintient pas ses profits en Irlande. Elle les envoie à Google Netherlands Holdings, à Amsterdam, en utilisant une autre spécificité irlandaise : les royalties versées depuis son sol vers les Pays-Bas ne sont pas taxées. Le tout est ensuite transféré, quasiment sans frais, vers plusieurs coquilles vides basées aux Bermudes. Qui ne publient pas leur compte, comme les autorise à le faire la loi locale.

Grâce à ce tour du monde accéléré, Google paye très peu d’impôt hors des États-Unis. En France, souligne BFM Business, le groupe n’a déclaré que 138 millions d’euros de chiffres d’affaires pour l’exercice clos en 2011, et versé 5,5 millions d’euros au fisc. En réalité, son activité représenterait plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, et son bénéfice réel aurait pu donner lieu à une imposition de 150 millions d’euros.

 

En 2010, Bloomberg documentait déjà le parcours plein de surprise des bénéfices de Google. 
En 2010, Bloomberg documentait déjà le parcours plein de surprise des bénéfices de Google.

 

Les données sont à peu près comparables pour Microsoft, qui a payé l’an dernier en France 21,7 millions d'euros d'impôts, alors que son chiffre d’affaires réel y tourne autour de 2 milliards d’euros. Là encore, la plupart des activités sont facturées depuis l’Irlande, et la filiale française est enregistrée comme un simple agent commissionné : au lieu de comptabiliser le prix réel d’un produit vendu, Microsoft France ne déclare dans ses comptes qu’une (faible) commission sur la vente.

À noter : ces pratiques ne sont pas limitées au secteur technologique. Le 1er novembre, Reuters démontrait que Starbucks utilisait le même type de pratiques. Alors que le cafetier américain assure à ses investisseurs qu’il a réalisé 40 millions de dollars de profit en Europe, il a déclaré une perte de 60 millions aux administrations fiscales britanniques, allemandes et françaises (les trois pays représentent 90 % de son activité sur le continent).

En France, Starbucks n’a jamais payé d’impôt, officiellement en déficit perpétuel depuis son lancement sur le territoire, en 2004. Ce qui ne l'a jamais empêché de multiplier les points de vente, toujours à des emplacements choisis, et donc chers. La recette pour obtenir ces comptes dans le rouge, malgré un chiffre d'affaires en constante progression ? Elle consiste en deux points majeurs. Un : la maison-mère Starbucks réclame elle aussi des royalties à ses filiales (6 % des ventes de chaque magasin), auxquelles il faut ajouter 25 000 euros forfaitaires par boutique par an. Deux : les filiales de l’entreprise n’empruntent pas elles-mêmes l’argent qu’elles veulent dépenser pour ouvrir ou rénover des boutiques. C’est la maison-mère qui le leur prête… à un taux deux fois supérieur à celui auquel elle l’a elle-même emprunté.

Résultat : le groupe américain réalise 23 % de son chiffre d’affaires hors des États-Unis, mais ne paye que 6,6 % de ses impôts dans ces pays.

TVA : traitement de faveur des « services numériques »

Toutes ces entreprises ont amassé un trésor de guerre considérable, stocké dans des paradis fiscaux hors des États-Unis. Et elles se gardent bien de le rapatrier, soucieuses de ne pas payer 35 % de taxes sur les milliards si astucieusement gagnés. Ainsi, sur les 121 milliards de dollars de trésorerie que détient Apple, 83 milliards sont bloqués dans des filiales à l'étranger. Et pour Microsoft, ce sont 61 milliards sur 63 qui sont conservés loin des yeux du fisc américain !

Au total, selon un rapport publié en mai par JP Morgan, les entreprises américaines détiennent 1 700 milliards de dollars d’économie dans leurs filiales étrangères. En 2004, George W. Bush avait permis de rapatrier près de 40 % de ces avoirs, en consentant à ne les taxer, exceptionnellement, qu’à hauteur de 5 %. Plusieurs multinationales, dont Google, Apple et Microsoft, ont récemment fait le siège du gouvernement américain pour obtenir une nouvelle fois ce privilège. L’administration Obama avait jusqu’à présent refusé. Et sa position a peu de chance d’évoluer.

En octobre 2011, selon Bloomberg, le fisc américain avait en effet scruté de près la façon dont Google fait disparaître ses profits dans des paradis offshore. Il s’intéressait notamment à la circulation de l’argent nécessaire à l’acquisition de Youtube en 2006 (1,65 milliard de dollars), le service de sécurisation des e-mails Postini en 2007 (625 millions) et l’agence de pub interactive DoubleClick en 2008 (3,2 milliards !). Et en septembre dernier, le Sénat américain s’est ému des pratiques de ses entreprises nationales avides de filiales offshore, en pointant particulièrement Microsoft, mais aussi Hewlett Packard.

La France n’est pas en reste, loin de là. Pour tenter encore une fois de mettre au pas la fiscalité du numérique, le gouvernement a confié en juillet une mission au conseiller d'État Pierre Collin et à l'inspecteur des finances Nicolas Colin. Leur rapport est attendu en décembre. Le manque à gagner pour l’Hexagone causé par les manipulations comptables des entreprises du secteur a d’ores et déjà été évalué, en juin, par le sénateur UMP Philippe Marini, président de la commission des finances et auteur d’un rapport sur « une fiscalité numérique neutre et équitable ».

Il estime que si elle était perçue en France, la TVA sur les activités du secteur rapporterait plus de 800 millions d’euros par an. Auprès il ne s’offusque pas outre mesure de l’existence de l’optimisation fiscale, qui « consiste à utiliser les contradictions des législations fiscales nationales et à les combiner pour obtenir le meilleur résultat possible du point de vue de l’entreprise ». En revanche, il déplore que les « services électroniques » disposent d’un régime de faveur : dans tous les autres secteurs d’activité, la TVA doit être acquittée au taux du pays où l’activité est effectuée (État de consommation). Mais jusqu’au 1er janvier 2015, la TVA sur les services électroniques sera payée au taux de l’État siège, où l’entreprise est implantée. C’est ce qui permet à l’Irlande d’attirer sur son sol « les Intaxables ».

En attendant que cette exception fiscale s’éteigne, le fisc français essaye d’agir. En tentant de trouver des failles dans l’organisation des géants du net, ou en pointant les hypocrisies de leur position. Ainsi, le 28 juin, une centaine d'officiers de la police judiciaire, d'inspecteurs et de contrôleurs des impôts ont réalisé une descente spectaculaire au siège de Microsoft France, à Issy-les-Moulineaux. À l’AFP qui avait révélé cette perquisition, l’entreprise avait assuré qu’il s’agissait d’un contrôle fiscal « banal ». Mais le 4 juillet, Le Canard enchaîné détaillait les soupçons du fisc, qui estime que la filiale française facturerait depuis l'Irlande ou les États-Unis des activités (sans doute de service), qui ne devraient pas être couvertes par le si pratique statut d'agent commissionné.

Ce contrôle géant était le troisième en dix ans, sans que le fisc trouve jamais grand-chose à reprocher à Microsoft France : un redressement de 350 000 euros sur des « charges non déductibles » en 2000 et un autre de 1,1 million d'euros sur la taxe professionnelle, entre 2002 et 2004. Et lorsqu’il a essayé de reprocher à Microsoft d’avoir baissé, en 1999, le taux de commission versé par la filiale française à l’Irlande, de 25 % à 18 %, le fisc s’est fait renvoyer dans les cordes par la justice. La France jugeait que l’entreprise avait baissé ses commissions pour faire diminuer artificiellement son chiffre d’affaires, et payer encore moins d’impôts. L’administration avait notifié un redressement fiscal de 20 millions d’euros. Mais en février 2012, la cour administrative d'appel a condamné Bercy à rembourser les 20 millions… augmentés de 4 millions d'intérêts !

En guise de défense, Microsoft a publié cet été un communiqué récusant « fermement toute allégation ou qualification de fraude, qu’aucune preuve ne vient démontrer ». L’entreprise assure avoir créé en France 1 400 emplois directs (et 75 000 indirects), et se paye même le luxe de vanter les 10 millions d’euros qu’elle a consacrés depuis 2006 à un laboratoire créé avec l’Inria, un organisme public de recherche sur le numérique.

 

1,7 milliard d'euros réclamés par le fisc français à Google ?

Mais dans l’Hexagone, le bras de fer emblématique est celui qui oppose le fisc à la filiale de Google. En janvier 2010, Nicolas Sarkozy avait fustigé sans la nommer l’entreprise, en attaquant ces sociétés « taxées dans le pays siège », mais qui ponctionnent « une part importante de notre marché publicitaire ». Ce qui ne l’avait pas empêché d’accueillir à bras ouverts Eric Schmidt, le patron du moteur de recherches, lorsqu’il avait ouvert un centre de recherche à Paris, en décembre 2011.

Pourtant, en coulisses, le fisc était déjà au travail. Le 30 juin 2011, Google France avait elle aussi eu droit à une visite pas très amicale de ses agents. Après une plainte de l’entreprise contestant cette « descente », on a pu récemment comprendre ce que le fisc lui reproche : en mai 2012 la cour d’appel de Paris a validé la procédure, et a détaillé les soupçons de l’administration.

 

 

Selon ce que déclare l’entreprise au fisc, sa filiale française se contente de fournir une « assistance marketing » à Google Ireland, qui vend, elle, les publicités. Or, souligne la cour d’appel, « Google France ne semble pas exercer seulement un rôle d'assistance, mais paraît assurer toute la gestion commerciale des clients de Google Ireland, y compris la conclusion de contrats de publicité ». Autrement dit, Google Ireland exercerait en fait « une activité commerciale en utilisant les moyens humains et matériels de Google France ».

Le fisc aurait trouvé des contrats de travail français signés par Google, et mentionnant explicitement une activité de prospection commerciale sur le territoire. L’entreprise a eu beau plaider qu« aucun élément ne permet de supposer que les salariés de Google France disposent du pouvoir de négocier et de conclure les contrats d'achat et de publicité, ou disposent d'un pouvoir de décision dans la gestion et le suivi des comptes », elle n’a pas convaincu la justice.

Et il semble bien qu’elle n’a pas non plus convaincu le fisc. Selon une information, non confirmée par Google, du Canard enchaîné du 31 octobre, l’administration réclamerait à la filiale française la somme totale… d'un milliard d'euros, au titre de l'impôt sur les sociétés, pour quatre exercices comptables. Dans son édition suivante, l’hebdo assure même que la somme demandée est de 1,7 milliard, compte tenu des « pénalités de retard » et « des amendes ». Le groupe admet être sous le coup d'une enquête fiscale, mais a assuré dès le 30 octobre ne pas avoir « reçu de notification de redressement fiscal de la part de l’administration fiscale française ». Comme il le répète invariablement à chaque fois qu’il est interrogé sur des questions fiscales, le groupe a indiqué : « Google se conforme aux législations fiscales de tous les pays dans lesquels l’entreprise opère, et avec les règles européennes. »

Un mois avant la publication de l’info du Canard, le DG de Google France, Jean-Marc Tassetto, assurait d’ailleurs sur France Culture que son entreprise payait en fait « 32 millions d’euros d’impôts en France, et non pas 5 ». Une vision très généreuse (ou exagérée, chacun choisira son genre), puisqu’elle agrège à l’impôt sur les bénéfices les charges sociales, les taxes foncières ou la taxe professionnelle ! Tassetto s’est même fendu d’un amical conseil pour la France. Pour le patron de Google France, notre pays ferait même mieux de réviser un peu sa politique fiscale, s’il ne veut pas voir fuir les entreprises…

 

 

Jean-Marc Tassetto (Google France) - France Culture - 23 septembre 2012

Selon Le Point, des sources gouvernementales jugent « vraisemblables » les affirmations de l’hebdomadaire satirique. Sans en dire plus, une des représentantes de Google a commencé à se défendre plus vigoureusement mardi 6 novembre, en déclarant que l’adresse irlandaise de Google n'est pas « qu'une boîte aux lettres » et en martelant que « la structure organisationnelle fait que les activités commerciales sont basées à Dublin ». Autre déclaration cocasse : « La contribution de Google (à la France) ne se fait pas qu'à l'aune de l'assiette fiscale. »

Quoi qu’il en soit, Le Point assure que François Hollande n’a pas abordé la question fiscale avec Schmidt lorsqu’il l’a reçu à l’Élysée, lundi 29 octobre. Il semble pourtant difficile de croire que le président se soit privé de cet instrument de négociation dans le bras de fer qui oppose actuellement le gouvernement à Google sur l’épineuse question d’une taxe sur les liens vers les contenus d’actualité.

Les éditeurs de presse traditionnels ont obtenu des ministres concernés que le gouvernement les appuie dans leurs revendications (auxquelles est opposé le Spiil, le syndicat des sites d’info indépendants, dont Mediapart est membre fondateur). Et promis juré, ce sujet était le seul à l’ordre du jour à Paris pour Schmidt. « Nous avons eu de bonnes discussions, et je pense que nous atteindrons une sorte d’accord d’ici la fin de l’année », a indiqué ce dernier au New York Times. La controverse fiscale, elle, est « une question très distincte ». Que Google aimerait sans doute voir repoussée indéfiniment.

 

 

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