Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
| 03.01.12 | 11h52 • Mis à jour le 03.01.12 | 12h45
Quelles sont vos recommandations à l'issue de votre audit ?
Il y en a deux principales. L'ASN considère que les installations examinées présentent un niveau de sûreté suffisant pour qu'elle ne demande l'arrêt immédiat d'aucune d'entre elles. Mais dans le même temps, nous considérons que la poursuite de leur exploitation nécessite d'augmenter dans les meilleurs délais, au-delà des marges de sécurité dont elles disposent déjà, leur robustesse face aux situations extrêmes. C'est-à-dire face aux aléas naturels et à la perte d'alimentation en eau ou en électricité.
Concrètement, que demandez-vous aux exploitants ?
Nous allons leur prescrire un certain nombre de dispositions, avec des sanctions s'ils ne les appliquent pas. Tout d'abord, nous allons imposer la mise en place d'un "noyau dur" de dispositions à la fois matérielles et organisationnelles. Il s'agit de sanctuariser les fonctions fondamentales pour la sûreté.
Ce noyau dur, nous ne le définissons pas a priori. Ce sera aux exploitants de nous proposer, avant le 30juin, son contenu et ses spécifications, pour chaque installation. A titre d'exemple, il s'agira de mettre en place un centre de gestion de crise "bunkerisé". Autre exemple, la mise en place d'un groupe électrogène diesel d'ultime secours – un DUS – pour chaque réacteur. Et celle d'une alimentation en eau d'ultime secours.
Quelles sont les autres prescriptions ?
Nous allons imposer la mise en place progressive d'une "force d'action rapide nucléaire" (FAR), telle que l'a proposée EDF. Ce dispositif, comprenant des moyens matériels et humains, devra pouvoir intervenir en moins de 24 heures sur tout site accidenté et être pleinement opérationnel fin 2012. Plusieurs centaines de personnes y seront nécessaires, sous la responsabilité d'EDF Par ailleurs, nous allons imposer des mesures pour réduire les risques de "dénoyage" [mise hors d'eau] des combustibles usés entreposés dans les piscines. Et nous demandons une étude de faisabilité d'un dispositif supplémentaire pour protéger les eaux souterraines et de surface en cas d'accident grave, tel qu'une fusion du cœur entraînant la formation d'un corium [magma de combustible et de métal]. Il pourra s'agir, par exemple, d'une enceinte géotechnique confinant le sol.
Quel sera le coût de ces mesures ? Et leur calendrier ?
Ce que nous imposons aux exploitants est massif. C'est aussi un investissement considérable en moyens humains et en compétences. Un seul exemple: un diesel d'ultime secours coûte entre 30 et 50 millions d'euros. Il en faudra un pour chaque réacteur, soit un coût total de l'ordre de 2 milliards d'euros. C'est un équipement qu'il faudra commander et on ne peut pas imaginer que les DUS soient partout en place avant 2018.
La ministre de l'écologie a déclaré que l'arrêt de la centrale de Fessenheim n'était pas exclu. Ce n'est pas votre recommandation…
A l'issue de la visite décennale du réacteur 1 de Fessenheim, nous avons imposé à EDF 40 dispositions, dont le renforcement du radier [dalle sous le réacteur] et la mise en place d'une source d'eau froide ultime. Au terme de l'audit, nous ne demandons pas pour Fessenheim de mesures spécifiques. Ensuite, l'exploitant – EDF – peut décider d'arrêter un réacteur pour des raisons de coût. Et le gouvernement peut prendre les décisions qu'il veut. C'est de sa responsabilité. C'est ce qui s'est passé pour le surrégénérateur Superphénix [dont Lionel Jospin a décidé la fermeture en 1998], dont l'Autorité de contrôle de l'époque n'avait pas demandé l'arrêt.
Ces mesures suffisent-elles à tirer les leçons de Fukushima ?
La catastrophe de Fukushima est un événement majeur. Elle marque l'histoire du nucléaire, comme Three Mile Island (TMI) et Tchernobyl. Il y aura un avant, et un après Fukushima. C'est fondamental parce que, dans un certain nombre de pays, y compris en France, des gens considèrent que Fukushima aurait pu être évité si l'accident avait été mieux géré. Si on avait amené en temps utile des diesels, par exemple. Nous avons le sentiment que cette lecture n'est pas correcte.
Cela nous ramène à quelque chose de fondamental : malgré les précautions prises, un accident nucléaire ne peut jamais être exclu. C'est ce qui fonde toute notre action. De plus, le retour d'expérience complet peut prendre jusqu'à dix ans. Après TMI, il a fallu six ans pour connaître le taux de fusion du cœur et, dans l'intervalle, des articles scientifiques mettaient en doute cette fusion. Il peut donc encore y avoir une évolution de nos connaissances sur cet accident.
Quel a été le processus d'évaluation ?
Nous l'avons fondé sur le principe majeur de la sûreté nucléaire, qui est celui de la responsabilité première de l'exploitant. Cela a été clair et transparent: nos décisions et les rapports ont été publiés.
Vous vous êtes dit choqué par l'accident de Fukushima. L'examen du parc français vous a-t-il réservé des surprises ?
Nous avons beau être porteurs de l'idée qu'un accident nucléaire ne peut être exclu, c'est quand même un choc de voir un accident qui conduit à l'évacuation de 200000 personnes, un territoire de 2 000 km2 ravagé. C'est un choc intellectuel. Mais nous n'avons pas trouvé de failles qui nous auraient surpris sur le parc français, probablement parce que nous recueillons le fruit des mises à jour périodiques et du progrès continu.
Comment pensez-vous que nos concitoyens vont accueillir vos préconisations, sachant que certaines mesures ne seront effectives qu'en 2018 ? Doivent-ils s'inquiéter de la survenue d'événements extrêmes dans l'intervalle ?
L'idée est que nous veillerons à ce que les choses soient mises en place le plus rapidement possible, quitte à prendre des mesures provisoires : quand il s'agit de commander des équipements aussi complexes qu'un diesel, de pomper dans la nappe, de créer un bâtiment bunkerisé, il y a des délais, cela ne se fait pas en claquant des doigts. Même chose pour la force d'action rapide: il faut recruter, rassembler, former des gens qui ne se trouvent pas au bord du chemin.
Vos contacts étroits avec vos homologues européens vous donnent-ils des indices sur la teneur de leurs conclusions ?
Les concepts de noyau dur ou de force d'intervention rapide sont en train d'émerger. Il peut au minimum y avoir des convergences. Mais c'est plus facile à élaborer en France avec un exploitant unique et 58 réacteurs standardisés. Une autre idée : peut-on mutualiser les forces d'action rapides ? Elles doivent être opérationnelles immédiatement. C'est un des problèmes qui s'est posé au Japon avec des exploitants distincts et des normes techniques différentes au nord et au sud. Mais des idées communes pourraient émerger, pour améliorer la sûreté du parc nucléaire mondial. C'est le but : s'il y a du nucléaire, il doit être sûr.
Propos recueillis par David Larousserie, Pierre Le Hir et Hervé Morin