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3 juin 2012 7 03 /06 /juin /2012 16:56
| Par Michel de Pracontal

Un rapport commandé par le gouvernement précédent, qui vient d’être divulgué sans grande publicité, prône rien de moins qu’une révolution agricole – et culturelle ! – en Bretagne.

Selon ce rapport (on peut le consulter sur le site du ministère de l’écologie et du développement durable), le seul remède aux marées vertes est la construction d’un « nouveau modèle économique breton intégrant les activités de production agricole », et « répondant aux critères de durabilité ». Un nouveau modèle qui romprait avec celui de l’agriculture intensive et de l’élevage hors-sol pour « produire autrement ». Et qui retrouverait « une image positive car connectée au milieu naturel ».

 

Algues vertes Ulva armoricana dans le Finistère 
Algues vertes Ulva armoricana dans le Finistère© Thesupermat

Soulignons que ce rapport, plutôt austère, n’a rien d’un brûlot écologiste. Son premier auteur, Bernard Chevassus-au-Louis, agrégé de sciences naturelles, est inspecteur général de l’agriculture et membre du CGAAER (Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et de l’espace rural). Il a été pendant plus de trente ans chercheur à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), organisme dont la mission initiale, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, était de mobiliser la science et la technologie au service du modèle productiviste.

Bernard Chevassus et ses co-rapporteurs (Bruno Andral, Michel Bouvier et Alain Femenias) ont passé méthodiquement en revue la bibliographie scientifique publiée depuis plusieurs décennies. Ils dressent un « Bilan des connaissances scientifiques sur les causes de prolifération des macroalgues vertes », que l’on peut résumer ainsi : les rejets azotés, qui proviennent à 90 % de l’agriculture, constituent le principal facteur qui stimule la croissance des algues vertes le long des côtes bretonnes ; même si le phosphore joue un certain rôle, « c’est l’action sur les apports d’azote qui est la plus efficace et la plus efficiente pour éradiquer le phénomène du “bloom” algal en zone côtière ».

Par conséquent, poursuivent les rapporteurs, « la réduction des apports azotés liés aux activités agricoles et d’élevage reste l’objectif le plus pertinent pour limiter la prolifération des algues vertes ».

En soi, cette conclusion n’est pas nouvelle : elle a été formulée notamment par Alain Menesguen, chercheur à l’Ifremer (Institut français pour l’exploitation de la mer), dès 2003. Menesguen a suivi la progression des marées vertes, qui ont pris de l’ampleur en Bretagne à partir des années 1960, et ont augmenté spectaculairement dans les années 1980. Dans un document publié par l’Ifremer en 2003, Menesguen met déjà en cause la responsabilité de l’azote présent dans les sols sous forme de nitrates.

Selon le rapport Chevassus, le rôle de l’azote a été reconnu bien avant : le premier signalement documenté de marée verte remonte à la fin du XIXe siècle, dans l’anse de Belfast, en Irlande du Nord. Le Dr Thomas Carnwath étudie le problème et le relie à l’industrialisation : la croissance des algues vertes est favorisée par la présence d’azote sous formes de nitrates dans les eaux polluées de l’anse de Belfast. Le phénomène est décrit en détail par le botaniste français Camille Sauvageau dans son traité Utilisation des algues marines (1920).

À la même époque, les premières marées vertes sont observées, de manière sporadique, en Bretagne. Elles sont photographiées par l’IGN (Institut géographique national) dans les trois secteurs les plus touchés à partir des années 1950-60, les baies de Lannion, Douarnenez et Saint-Brieuc. Le seuil critique de la gêne pour les riverains est franchi en 1968 à Lannion et en 1972 à Saint-Brieuc. Les opérations de ramassage débutent en 1973.

Les marées vertes sont fortement corrélées aux apports d'azote

Depuis trois décennies, le volume d’algues vertes ramassées chaque année en Bretagne varie entre 40 000 et 90 000 m3. Ces algues du genre Ulva, appelées communément « laitue de mer », se mettent à proliférer entre le printemps et le début de l'été (il s’agit essentiellement des espèces Ulva armoricana et Ulva rotundata, cette dernière exclusivement en Bretagne-sud).

 

Sanglier mort à Morieux 
Sanglier mort à Morieux© Jean-Paul Guyomarc'h

Les ulves s’accumulent sur les plages, formant des tas qui sèchent au soleil et se couvrent d'une croûte blanche qui devient étanche à l'air. Sous la croûte, les algues se décomposent et dégagent de l'hydrogène sulfuré, lequel reste enfermé dans le tas. Lorsque la croûte est percée accidentellement, si par exemple un animal marche dessus, le gaz s'échappe et peut provoquer une intoxication mortelle. C’est ce qui a causé, en juillet 2011, la mort de trente-six sangliers près de Morieux, dans la baie de Saint-Brieuc (voir notre article ici).

Le mécanisme de prolifération des algues a été étudié dans toute une série de publications dues à des chercheurs du CNRS, de l’Ifremer, de l’Inra ou encore du Ceva (Centre d’étude et de valorisation des algues). C’est un mécanisme complexe qui dépend de nombreux facteurs, notamment la présence d’éléments nutritifs dans le milieu marin, mais aussi un ensemble de conditions physiques : il faut que l’eau soit assez chaude (l’optimum est de l’ordre de 15 à 20°) et bien éclairée, donc pas trop profonde ; il faut aussi que cette eau ne soit pas trop turbide, autrement dit pas trop troublée par la présence de particules en suspension, qui limitent la pénétration des rayons lumineux nécessaires à la photosynthèse.

Toutes ces conditions peuvent se réaliser dans des baies protégées, avec une eau calme et peu profonde, et à la belle saison. En Bretagne, les trois lieux géographiques qui remplissent le plus régulièrement ces conditions sont les baies de Lannion, de Douarnenez et de Saint-Brieuc, principales cibles des marées vertes. 

Mais il ne suffit pas que l’environnement physique soit favorable pour que les algues prolifèrent. Encore faut-il que le milieu marin ait été enrichi en éléments nutritifs par les eaux de rivière. Les principaux éléments nutritifs qui peuvent jouer un rôle dans cette « eutrophisation » de l’océan, sont l’azote, le phosphore et le silicium.

Lorsque le silicium domine, il alimente surtout la croissance de diatomées, algues unicellulaires siliceuses, qui ne constituent pas un problème pour l’environnement. En Bretagne, les flux de silicium observés dans les rivières sont stables sur de longues périodes, et ne sont pas influencés par l’activité humaine.

Lorsque phosphore et azote dominent, ces deux éléments agissent sur la prolifération des algues vertes. Mais, alors que le phosphore joue un rôle prépondérant dans les lacs, la situation est très différente dans les milieux côtiers. Pour résumer, il existe une réserve importante de phosphore dans les sédiments, de sorte que les variations des apports de phosphore d’origine humaine n’ont pas d’impact sur les algues vertes. En Bretagne, les apports de phosphore ont connu un pic dans les années 1990 et ont diminué depuis, sans que cela ait eu un effet sur les marées vertes.

En revanche, de nombreuses observations ont confirmé que la survenue des marées vertes était très fortement corrélée aux apports d’azote, autrement dit de nitrates amenés dans l’océan par les rivières.

La teneur en nitrate des rivières bretonnes est plus de dix fois la valeur naturelle

La teneur naturelle en nitrate des rivières bretonnes, avant d’être modifiée par les activités humaines, se situait entre 2 et 3 mg/l. Elle a augmenté à partir des années 1950 mais, pour la Bretagne, on ne dispose de mesures que depuis les années 1970 :

• en 1971, les concentrations en nitrate mesurées dans les rivières varient entre 0,5 et 11 mg/l, avec une moyenne de l’ordre de 5,5 mg/l, donc déjà bien au-dessus de la teneur naturelle ;

• en 1976, on constate une augmentation de 36 %, la teneur moyenne atteignant 7,5 mg/l et la valeur maximale étant de 18 mg/l ;

• entre 1976 et 1981, la valeur moyenne est presque triplée, bondissant à 21,5 mg/l, le maximum atteignant 38 mg/l ;

• en 2007 la moyenne atteint 30,6 mg/l, soit plus de dix fois la valeur naturelle.

 

Réserve naturelle de la baie de Saint-Brieuc 
Réserve naturelle de la baie de Saint-Brieuc© Ponsero

L’augmentation de la teneur en nitrate des rivières s’est traduite par des apports d’azote qui ont culminé à la fin des années 1980 et restent élevés aujourd’hui. Cette évolution est parallèle à la croissance de la production bretonne de viande. Entre 1950 et 1970, celle-ci a été multipliée par 4 pour les volailles, par 3 à 4 pour les cochons et par 2 à 3 pour les bovins. La quantité totale de viande provenant des élevages de volailles, porcs et bovins était de 519 000 tonnes en 1966 ; elle est 4 fois plus importante actuellement.

Les nitrates proviennent à 90 % de l’activité agricole et se répartissent grosso modo à parts égales entre les lisiers produits par les élevages et les engrais utilisés dans l’agriculture intensive. La conclusion logique du rapport Chevassus est que la seule mesure efficace pour réduire la pollution par les algues vertes est de diminuer les rejets azotés de l’agriculture.

C’est pour cet ensemble de raisons que le plan gouvernemental de lutte contre la prolifération algale en Bretagne, adopté et mis en œuvre à partir de février 2011, a pour principal objectif « la réduction des rejets azotés dans les cours d'eau se déversant dans les baies affectées par ces phénomènes ». 

On peut évidemment s’étonner qu’un tel plan n’ait pas été lancé plus tôt, dans la mesure où le rôle-clé de l’azote est connu depuis longtemps. Et que la responsabilité de l’agriculture intensive a été depuis de longues années mise en cause par les associations de défense de l’environnement, comme le racontent Yves-Marie Le Lay et André Ollivro dans un livre intitulé Les marées vertes tuent aussi (Le Temps, 2011).

Pour Le Lay et Ollivro, le lien entre les lisiers et les engrais d’une part, la survenue des marées vertes d’autre part, bien que démontré, fait l’objet d’un déni constant de la part du lobby agro-industriel, appuyé par la FNSEA, traditionnellement alliée politiquement à la droite. Le 7 juillet 2011, le jour même où ont été retrouvés les deux premiers sangliers morts à Morieux, Nicolas Sarkozy était en visite à Crozon, dans le Finistère ; prenant la défense des agriculteurs contre les « intégristes » de la défense de l'environnement, il n’avait pas eu un mot sur la situation pour le moins exceptionnelle qui fait qu'en Bretagne, 9 % du territoire français produisent 50 % du cheptel porcin et volailler.

Mais le président socialiste de la région, Jean-Yves Le Drian, aujourd’hui ministre de la défense, n’a pas non plus mené une action cohérente pour tenter de réformer l’agriculture bretonne. Le plan gouvernemental a été contesté par le lobby agricole, qui a fait de la résistance et tenté de discréditer la démonstration scientifique du lien entre rejets azotés et marées vertes.

Une révolution agricole et culturelle est nécessaire

C’est dans ce contexte que les ministres de l’agriculture et de l’écologie du précédent gouvernement ont demandé une nouvelle expertise en septembre 2011, comme l’expliquent Bernard Chevassus-au-Louis et ses co-rapporteurs :

« Le contexte socio-économique a évolué récemment et il rend actuellement difficile la mise en œuvre du plan gouvernemental : en effet le monde agricole, directement concerné par l’emploi des engrais et l’épandage des effluents d’élevage qui contribuent à ces apports azotés, formule des interrogations sur le bien-fondé des objectifs de réduction de ces apports. Ces interpellations sont construites sur une remise en cause des expertises portant sur le “paramètre critique” retenu pour fonder l’action publique, qui est de réduire de façon progressive mais drastique les émissions d’azote dans les fleuves côtiers de Bretagne. Ces remises en cause interpellent donc les pouvoirs publics dans la mise en œuvre de leur plan d’action. Outre le discrédit porté sur les politiques publiques de lutte contre les pollutions diffuses d’origine agricole, ces propos entravent la mise en œuvre du plan gouvernemental et freinent la mobilisation des différentes parties prenantes ».

Le rapport Chevassus répond aux objections du lobby agro-industriel, et confirme le bien-fondé de la lutte contre les rejets azotés. Il va même plus loin, en prenant acte du fait que cette lutte n’a de chance d’aboutir que si les mentalités évoluent suffisamment pour conduire à une véritable transformation du « modèle breton » : celle-ci ne consisterait pas seulement à faire coexister une agriculture « de niche », respectueuse de l’environnement, avec un productivisme polluant, mais devrait modifier l’ensemble du paysage agricole.

Cette double révolution, agricole et culturelle, est-elle possible ? Elle suppose, en tout cas, une transformation sociale de grande ampleur, comme le notent les rapporteurs, qui écrivent : « “Changer de modèle”, “produire autrement” sont aussi des choix de société, donc des choix politiques par rapport aux usages des sols, des espaces et des ressources. Les agriculteurs ne peuvent pas changer seuls, ni rapidement, cela prendra du temps et demandera d’exprimer une solidarité et de redonner du sens à leur métier. » Un beau défi pour la prochaine législature.


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