| 05.03.12 | 10h27 • Mis à jour le 05.03.12 | 10h33
Eric Woerth, en mai 2009.AFP/STEPHANE DE SAKUTIN
Campagne électorale ou pas, les juges chargés de l'affaire de l'hippodrome de Compiègne (Oise) ne relâchent pas la pression sur Eric Woerth. Le 10 janvier, en toute discrétion, les policiers de la brigade financière, mandatés par les juges Roger Le Loire et René Grouman, chargés du volet non ministériel de l'affaire, ont conduit une perquisition au siège de l'UMP, rue de Vaugirard à Paris (15e), où ils se sont fait remettre la liste des fameux donateurs dits du "premier cercle" de l'UMP.
"Après avoir procédé à la lecture de cette liste, conclut le procès-verbal de synthèse, nous constatons que n'y figurent ni Antoine Gilibert, ni Armand de Coulanges", soit les deux derniers présidents de la Société des courses de Compiègne (SCC), à qui l'hippodrome a été cédé. Eric Woerth, qui s'apprêtait alors à quitter le ministère du budget, est mis en cause pour avoir autorisé le 16 mars 2010 la cession à la SCC, à un prix anormalement bas (2,5millions d'euros), d'un terrain de 57 hectares intégrant l'hippodrome de Compiègne.
Depuis sa révélation par Le Canard enchaîné en juillet 2010, l'affaire a prospéré. Saisie fin 2010 par Jean-Louis Nadal, alors procureur général de la Cour de cassation, la commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR) a ordonné en janvier 2011 l'ouverture d'une procédure pour "prise illégale d'intérêts" visant explicitement M. Woerth. Depuis un peu plus d'un an, les juges d'instruction de la CJR – seule instance habilitée à enquêter sur les délits commis par les ministres – ont accumulé les documents, mails et autres témoignages.
INSISTANCE
Autant d'éléments, dont Le Monde a pu prendre connaissance, qui placent l'ancien trésorier de l'UMP, pour le moment témoin assisté, dans une position extrêmement inconfortable. L'enquête de la CJR établit en effet que la vente de l'hippodrome dit "du Putois" a été, tout au long de son processus, parsemée d'anomalies, voire d'irrégularités. Le choix de la procédure de gré à gré, notamment, paraît suspect. "L'absence de toute mise en concurrence (…) est soulignée par les différents responsables du ministère de tutelle", expliquait dès le 16novembre 2010 M.Nadal dans ses conclusions. Toutefois, le fait que ce type de vente relève du code du domaine de l'Etat et non du code des marchés publics semble exclure toutes poursuites de M. Woerth pour "favoritisme", un temps envisagées.
Autre élément troublant: le prix de vente. Dans un rapport du 13 janvier, les trois experts mandatés par les juges de la CJR ont évalué "la valeur vénale de l'ensemble litigieux" à 8,3 millions d'euros, soit beaucoup plus que les 2,5 millions déboursés par M.Gilibert. Tout aussi suspecte, l'insistance du budget à tenir à l'écart des négociations les représentants de l'Office national des forêts et le ministère de l'agriculture, résolument opposés à la vente. Et puis, il y a, comme le résumait M.Nadal, cet "empressement à conclure la cession à quelques jours du remaniement ministériel qui conduira Eric Woerth à devenir ministre du travail". D'autant que l'implication personnelle de M.Woerth est évidente. En témoigne par exemple ce mail envoyé le 17 mars 2010 par Daniel Dubost, directeur de France Domaine, à la Direction générale des finances publiques: "La cession a fait l'objet d'une décision particulière et explicite du ministre demandant [qu'elle] soit réalisée au bénéfice de la Société des courses de Compiègne."
A la décharge de l'ex-ministre, les policiers, qui ont examiné tous les comptes bancaires de M.Woerth, son épouse et leurs deux enfants, ont conclu en avril 2011 qu'ils avaient "fonctionné normalement", et qu'"aucun mouvement créditeur d'un montant très élevé n'a été relevé". Même conclusion de la PJ, en juin 2011, après examen des comptes de la SCC: "L'analyse détaillée des charges n'a permis de relever aucun paiement pouvant correspondre à l'intérêt de M.et Mme Eric Woerth." Dans une synthèse du 21 octobre 2011, la police remarquait: "Tant les investigations que les informations recueillies au cours de l'enquête n'ont pas permis d'établir l'existence de relations quelconques entre les époux Woerth et Antoine Gilibert."
Les enquêteurs ont pu découvrir que M. Gilibert était bien l'un des donateurs de l'UMP. M. Woerth reste toutefois sous la menace d'une mise en examen pour "prise illégale d'intérêts": il aurait agi pour faire plaisir à son collègue de l'UMP, le sénateur et maire de Compiègne, Philippe Marini. Dans un courrier du 26 novembre 2009, le directeur du cabinet de M. Woerth avertissait son homologue de l'agriculture que refuser de céder le terrain à la SCC "provoquerait (…) une forte réaction du sénateur-maire de Compiègne, qui soutient ce projet". M. Marini, interrogé par les magistrats, s'est étonné de cette remarque, infondée selon lui.
La commission d'instruction de la CJR devrait avoir terminé ses investigations avant l'été. D'ici là, elle devra trancher le sort de M. Woerth. Selon Me Grégory Saint-Michel, avocat des élus socialistes –notamment le député du Nord Christian Bataille – qui ont déposé plainte en novembre2010, "la procédure confirme que ce terrain n'aurait jamais dû être vendu. Le caractère illicite de cette cession ne fait désormais plus de doute".
Gérard Davet et Fabrice Lhomme