Pour les Etats-Unis, cela est en partie dû au gaz et pétrole de schiste, en partie dû au fait que l’ouvrier américain devient si mal payé après 40 ans de baisse tendancielle des salaires, qu’il devient compétitif. Salaires et énergie à prix réduits permettent la résorption du déficit commercial américain.
Pour les pays d’Europe du Sud comme la France, l’Italie et l’Espagne, la baisse du déficit commercial se fait par des importations bridées par une croissance en baisse et des exportations qui continuent à augmenter. La baisse des importations et la hausse des exportations permet à l’Europe de prendre près de 1% de croissance à l’étranger, surtout dans les émergents. Après avoir profité du libre-échange en asphyxiant les pays développés, ce sont maintenant les pays développés qui tournent de moins en moins vite et asphyxient les pays émergents. Les « moins bien gérés » affichent maintenant des déficits commerciaux (de 4% du PIB pour l’Inde à 8% pour la Turquie) et ont des problèmes de croissance de plus en plus aigus. La Russie affiche 1% de croissance trimestriel, l’Inde 3 à 4%, le Brésil 2% et la Chine a un taux réel de croissance d’environ 3-4% depuis un an (tous les économistes même ceux de Goldman Sachs et d’UBS expliquent que les statistiques chinoises sont « incohérentes ». On ne peut qu’estimer la croissance chinoise en observant la croissance de ses besoins en pétrole, électricité, fret …).
On remarquera que la Chine n’arrive à croître assez faiblement qu’en faisant exploser son taux d’endettement de 30% du PIB chaque année : l’endettement public et privé de la Chine est aujourd’hui proche de 220% du PIB, proche donc des records d’endettement des USA (300% du PIB) de 2007 à 2013 et de 1929 ! A cet égard, le prochain cycle de récession de l’économie mondiale qui devrait arriver entre 2014 et 2015 (un cycle économique dure généralement 6 ans), pourrait voir la Chine et d‘autres émergents avoir des problèmes économiques considérables à résoudre (les pays occidentaux aussi).
Le libre-échange après avoir cassé la croissance occidentale et alimenté une dette publique et privée explosive, est en train d’affaiblir par ricochet la croissance des émergents qui s’en tirent à peu près en alimentant une dette publique et privée conséquente. Les pays occidentaux arrivent tout juste à sortir la tête de l’eau pour certains, à garder la tête sous l’eau sans couler pour d’autres. Le système est à bout et crée des déséquilibres gigantesques. La croissance est en train de se réduire progressivement partout sur la planète. La dette monte en puissance partout. Le libre-échange devient destructeur pour tous. (sauf peut-être pour l’Allemagne dont la croissance est de 1% en moyenne chaque année depuis 2001, ce qui n’est pas formidable)
La prochaine récession mondiale sera probablement très dure. Les pays d’Europe du Sud, qui ont déjà la tête sous l’eau, seront alors dans une situation catastrophique. On l’oublie trop souvent en Europe : nous sommes parfois en récession dans un cycle de croissance mondiale ! Pour les émergents aussi, pour les USA et l’Allemagne, il faudra gérer une forte baisse du PIB.
Les dirigeants deviendront-ils rationnels et sauront-ils changer de cap ? Si le cap n’est pas modifié, la montée des tensions entre les pays risque d’être considérable : plutôt que de s’accuser d’avoir commis des erreurs en suivant les règles d’un système destructeur, les dirigeants ne préféreront-ils pas reporter la faute sur d’autres ? On risque malheureusement de voir alors les limites du « doux commerce ».
Philippe Murer est professeur de finance vacataire à la Sorbonne et membre du
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