Source : le75020.fr
Avec la Tournée, les habitants du haut de Belleville peuvent se faire livrer leurs courses pour deux euros seulement. Ce système de livraisons mutualisées a déjà séduit plus de 700 clients et une soixantaine de commerçants y adhèrent. En phase expérimentale depuis près de deux ans, il pourrait s’élargir au reste de la capitale dès la fin de l’année.
Jusqu’au début de l’été 2013, ils étaient cinq livreurs poussant leur charriot de chaque côté de la rue de Belleville. Avez-vous un colis pour moi ?, leur demandait-on comme au facteur naguère. Aujourd’hui la Tournée n’emploie plus qu’un seul livreur, Arnaud. Et demain ? Né il y a près de deux ans, le service encore en phase expérimentale, est dans l’expectative. S’il séduit riverains et commerçants, il retient aussi beaucoup l’attention de la mairie de Paris. On saura en fin d’année si ce service d’utilité publique se généralisera à l’ensemble de la capitale.
Le principe de la Tournée est simple et se déroule en trois temps : d’abord le client téléphone à un commerçant adhérent pour lui passer commande. Ensuite, dans un secteur qui lui est proprement attribué, le livreur visite chaque boutique et retire les commandes.
Le client, lui, n’habite pas forcément dans la zone couverte par le livreur. Ce dernier, une fois qu’il a récupéré ses colis, les répartis avec ses autres collègues à un point donné. Chacun part enfin livrer dans sa propre zone.
Du lundi au samedi inclus, six heures par jour, le matin de 9h30 à midi et le soir de 18h à 21h, le livreur suit un parcours organisé méthodiquement.
L’application mobile qui lui permet de retirer les commandes et de les tracer a été mis au point par Atos.
Cette très importante firme spécialisée en informatique est aussi l’une des sociétés contributrices de l’Alud - l’Association pour une Logistique Urbaine Durable – qui pilote ce projet.
La Tournée, dont le budget atteindrait les 700 000 euros (selon le site Paroles d’élus), a été imaginée par des entrepreneurs expérimentés, insiste Carole Cuillier, sa directrice.
Un peu plus de 700 clients ont eu recours au moins une fois à la Tournée depuis son lancement : personnes âgées, malades qui ne peuvent sortir de chez eux, employés qui doivent déjeuner sur leur lieu de travail, c mères ou pères célibataires qui rentrent tard, on trouve tous les profils.
Je connais bien les commerçants de mon quartier et je voulais un service qui me permette d’avoir des fruits et des légumes frais pour mes enfants dans la semaine alors que je n’ai pas le temps d’aller faire des courses, même rapides, lorsque je rentre du bureau, témoigne une mère de famille sur le site de la Tournée.
En cas d’absence, il arrive que le livreur dépose la veste qui sort de chez le teinturier ou les articles de bureau chez le voisin prévenu. Cela crée de la convivialité et donne à ce coin de Belleville l’identité d’un village branché sur les nouvelles technologies.
Pendant la période expérimentale – jusqu’en juin 2013 – cinq jeunes du quartier (quatre temps-pleins et un mi-temps) ont été recrutés en CDI via l’antenne locale de Pôle emploi.
Pour Carole Cuillier c’est une première marche. L’idée c’est qu’ils puissent acquérir des compétences afin d’aller vers d’autres entreprises. Mounir, un des livreurs, remplace un livreur qui a été embauché par la Poste.
Utile, éco-responsable et créatrice de lien social, cette astucieuse mutualisation des livraisons est née en Inde il y a plus d’un siècle.
Aujourd’hui, à Bombay, près de 300 000 clients reçoivent leurs courses chez eux apportées par environ 5000 livreurs que l’on nomme les dabbawallahs. En deux heures, ils peuvent passer un colis d’une extrémité à l’autre de cette mégapole.
Le pâtisser Laurent Demoncy, également président de Belleville village, l’association des commerçants du Hameau de Belleville, est l’un des 17 adhérents pionniers de la Tournée (ils sont maintenant plus de 60).
Il se souvient de la réaction des autres commerçants quand il a commencé à expérimenter ce système : Certains me prenaient pour un farfelu ! À deux euros la livraison, ils ne comprenaient pas comment ça pouvait marcher.
Pourtant ça marche : les clients sont contents et les commerçants s’aperçoivent qu’un client qui commande par téléphone n’est pas forcément perdu. Il n’est pas possible de livrer à ce tarif, sauf en mutualisant. Ça permet de faire de toutes petites livraisons et ça ne concurrence personne puisque ça n’existait pas.
Nathalie Choquet, fleuriste rue des Pyrénées, également vice-présidente de l’association des commerçants, explique que certains de ses clients ont découvert la Tournée en recevant leur bouquet.
Il est rare que les gens se commandent eux-mêmes des fleurs. Nous recevons des commandes de la France entière et lorsque les destinataires habitent dans le quartier nous les faisons livrer par la Tournée. Quand ils reçoivent leurs fleurs ils découvrent la Tournée et font ensuite appel à ce service.
Après une étude de faisabilité, l’Alud a choisi de tester la Tournée avec les commerçants des environs de Jourdain dont certains sont regroupés au sein du Hameau de Belleville, une association dont le dynamisme a été un critère de choix, mais pas le seul.
Le quartier présente de fortes déclivités, un aspect non négligeable quand il faut livrer à pieds. Il est aussi commercialement dense et sa population est mélangée. Belleville est donc « un cas d’école » souligne Carole Cuillier.
Mais rien n’est jamais parfait en ce monde. Il arrive que les livreurs soient bredouilles : aucune commande passée, donc aucune livraison à effectuer.
Il faut pourtant payer les salaires. Or, même à deux euros la livraison d’un colis, il en faut beaucoup pour assurer la viabilité d’un tel service.
Ça marche, sauf qu’on n’a pas assez de flux, concède Bernard Liscia, ingénieur et fondateur de la Tournée. On est sur de la vente à distance de proximité et nous avons donc besoin de gens qui apportent du flux extérieur en quantité. Naturalia, Monoprix, Nicolas, les grandes enseignes feront des efforts si la Tournée couvre une surface minimale sur Paris…
Jusqu’à présent la Tournée assurait la livraison de petits colis pour La Poste et de plateaux repas aux seniors pour Saveurs et vie, société de restauration spécialisée. Deux clients qui représentent un gros apport financier et un gros apport de flux, confie Carole Cuillier. Pour l’heure, à la Poste, on pèse le pour et le contre en haut lieu.
Nous sommes dans une économie de partage, explique Bernard Liscia : la Tournée crée de l’emploi (on en créerait 450 au minimum si elle se développait dans tout Paris), cela rend service à tout le monde, notamment aux personnes âgées, et cela diminue la pollution. Sa notoriété dans le quartier est hallucinante. Tous ces avantages font qu’on a envie d’y participer (par exemple en prenant le colis d’un voisin absent). Nous rendons les Parisiens et les commerçants acteurs.
Plébiscité par les riverains et les commerçants ce service répond à une attente tout autant qu’aux nouvelles perspectives de logistique urbaine durable chères à Julien Bargeton. De son côté Bernard Liscia précise que la Tournée est l’un des quinze projets suivis par la mairie et l’un des cinq mis en évidence lors de la présentation de la Charte à l’Hôtel de ville.
Demain peut-être des centaines de dabbawallahs parigots sillonneront les arrondissements parisiens derrière leurs chariots.
À terme, la Tournée, structure associative, pourrait devenir une Scop. Elle n’aura pas vocation à gagner de l’argent. Ni à en perdre. Mais plus que les investisseurs, il s’agit de convaincre les grosses entreprises de messageries (privées ou non) que, bientôt, livrer des colis en camion dans Paris deviendra tellement contraignant qu’il faudra trouver d’autres solutions. Ces solutions existent…