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23 mai 2013 4 23 /05 /mai /2013 15:38

 

Rue89

 

Témoignage 23/05/2013 à 09h30
Matthieu V. | interne des hôpitaux

 

 


Un médecin Lego (Jay Reed/Flickr/CC)

 

Voilà plus de six mois que je suis au CHU, et je n’y arrive toujours pas. C’est pourtant la base de mon travail. Je suis de cette génération presque née avec un clavier entre les mains, et je n’arrive pas à faire des prescriptions informatisées sécurisées, fiables et conformes.

Autrefois, l’interne des services de médecine écrivait ses prescriptions sur une pancarte, qu’il mettait à jour à midi et qu’il tendait à l’infirmier ou l’infirmière (IDE). En parallèle, il remplissait une ordonnance qu’il transmettait à la pharmacie hospitalière.

« Autrefois », au CHU de Montpellier, ça remonte à il y a environ un an, avant que le nouveau directeur ne « choisisse » un système informatique intégrant tout le dossier du patient, de l’imagerie aux prescriptions.

Il a imposé son déploiement en moins de trois mois dans les services de médecine conventionnelle, à l’aide de formateurs (des informaticiens eux-mêmes formés sur le tas).

Ce déploiement s’est donc fait dans la plus grande confusion, sans concertation et sans que les responsables administratifs du CHU ne daignent écouter les critiques faites à ce système informatique. Coût de l’installation : 31 millions d’euros en dix ans. Soit environ 100 postes d’infirmiers.

Vérifier, imprimer, faxer

Pour illustrer mon propos, je vous propose de me suivre le temps d’une journée type dans le service de médecine où je travaille.

Arrivé à 9 heures, je prends la relève de l’interne de garde. Au lieu de faire un point avec les infirmières qui sont là, grâce au beau logiciel tout neuf, il me suffit d’aller lire l’onglet « Transmissions » pour chaque patient.

MAKING OF

Matthieu V. est interne en médecine au CHRU de Montpellier. Il a voulu témoigner sur un logiciel utilisé dans son hôpital, « DX Care » : « Ce logiciel a épuisé tous les internes, et probablement aidé à mourir un ou deux patients. » Rue89

 

Le menu déroulant est parfait, sauf que les transmissions datent de plusieurs heures. Les chambres sont équipées d’un ordinateur, c’est vrai, mais il est réservé aux loisirs des patients ; il ne permet pas de saisir en temps réel sa température, sa tension, sa fréquence cardiaque et respiratoire, son poids, etc.

A l’ancienne donc, il faut courir après l’infirmier pour récupérer ces informations, si l’on veut ensuite organiser la visite des patients – les plus graves en premier.

Un logiciel qui « oublie »

9h45, premier patient. Il a de la fièvre à nouveau. L’examen clinique est normal, mais ce patient est en aplasie, il n’a pas de globules blancs. Il doit recevoir d’urgence un antibiotique qui tape sur les germes les plus fréquents.

Faisons le point sur les antibiotiques qu’il reçoit. Surprise, la réponse est « aucun », alors qu’il a déjà eu de la fièvre deux semaines auparavant ; le logiciel a « oublié » l’arrêt de la prescription au bout de dix jours.

Pour ce qui est de ses prélèvements microbiologiques, j’en ai pour quinze minutes montre en main pour tout éplucher. Les compte-rendus sont classés dans trois onglets de façon chronologique. Mais tout est mélangé : les examens positifs et négatifs, les urines, le sang, la peau ou les crachats... Au final, je prescris de nouveau le médicament, pour une durée déterminée évidemment, en « empirique ».

Mais avant que le patient n’ait sa dose, il se passe encore deux heures : impression de la prescription, fax à la pharmacie et acheminement dans le service... Si le logiciel était si efficace, une alerte sortirait directement à la pharmacie.

Des prescriptions que je n’ai jamais faites

La visite se poursuit : nous avons là une patiente qui a besoin d’insuline en continu. Le logiciel propose des injections directes, lentes, ou même en continu, des injections directes sous condition, des injections lentes sous condition... Mais pas d’injection en continu sous condition. Celle qu’il faudrait en somme. Nous revoilà donc à écrire un protocole sur une feuille de papier, que l’on scotche sur un mur dans la chambre du patient.

Un peu plus loin, on a besoin d’adapter une dose de morphine car elle est insuffisante pour le patient. Hélas, avec le logiciel, impossible de déterminer quelle dose il a reçu au départ. Sur le même écran, je lis « ampoule de 50mg » et « 30 mg par 24h ». L’idée, c’était de mettre 30mg, préparés à partir d’une ampoule de 50mg, mais vu l’affichage, impossible de savoir sur quelle ligne l’infirmier s’est appuyé pour appliquer la prescription.

Poursuivant ma journée, je tombe sur une prescription à mon nom. Or, je n’aurais jamais pu la faire, car je ne crois pas en l’effet thérapeutique du médicament qui y est donné. L’explication – et il nous a fallu quelques mois avant de comprendre – nous ramène encore au logiciel.

Quand je quitte un poste de travail en me déconnectant du logiciel mais sans me déconnecter du logiciel qui permet de se connecter au logiciel (vous me suivez ?), et qu’un collègue prescripteur passe derrière moi avec son propre identifiant, eh bien, je vous le donne en mille : il se trouve sur ma session et peut prescrire avec ma signature électronique. Imaginez une seconde qu’une erreur de prescription conduise à un décès…

Impossible de prescrire des soins

Ma visite se termine, je vais récupérer les résultats des bilans sanguins, et prescrire les transfusions. Comme toujours, impossible d’utiliser le logiciel ; il faut refaire les prescriptions sur papier et les faxer à l’infirmière. Sans pouvoir suivre sur le superlogiciel ce qui a été reçu, à quelle heure, etc., autant de paramètres fondamentaux pour la gestion des effets secondaires au jour le jour.

L’après-midi dans le service, le travail est moins bien organisé, mais les exemples d’interactions avec notre logiciel ne manquent pas pour autant. Quelques exemples encore, dans le désordre.

Pour préparer la sortie d’un patient, on utilise les ordonnances informatisées, ce qui permet de garder une trace dans le dossier médical informatique. Sauf qu’avec le logiciel, il est possible de prescrire des médicaments, tout ce que l’on veut, mais pas le matériel ou les soins infirmiers. Pas de lit médicalisé donc, pas de pied à perfusion ni de séances de kinésithérapie.

Si un patient arrive aux urgences, on peut consulter des éléments de son dossier médical informatisé, mais tous les courriers des correspondants – les comptes-rendus des examens réalisés hors de l’hôpital, par exemple – ne sont pas scannés.

Du temps médical perdu

Voilà en 2013 la galère dans laquelle nous met un logiciel, certes très complet, mais qui n’est pas instinctif dans son utilisation, et guère sécurisant quand il est utilisé dans l’urgence et la pression d’un service de médecine.

Il a beau être « le meilleur logiciel de prescription et de dossier médical informatisé » d’après le directeur de l’hôpital, au final c’est beaucoup de temps médical perdu, des heures qui ne seront pas passées au lit du malade.

C’est aussi peut-être l’une des plus belles illustrations du paradoxe de Solow :

« L’introduction massive des ordinateurs dans l’économie, contrairement aux attentes, ne se traduit pas par une augmentation statistique de la productivité. »

MERCI RIVERAINS ! Pierrestrato
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