lexpress.fr - publié le 14/06/2012 à 11:54, mis à jour à 11:54
afp.com/Javier Soriano
MADRID - Sur un trottoir du quartier populaire d'Usera, dans le sud de Madrid, s'empilent des sacs de pommes de terre, de carottes et de fruits: c'est une banque alimentaire du mouvement des "indignés", où s'approvisionnent immigrés ou Espagnols frappés par la pauvreté.
"C'est là que je me fournis en fruits et légumes. C'est une aide énorme", confie Jhenny, une immigrée équatorienne de 35 ans, assise sur une chaise entourée de sacs en plastique chargés d'épicerie.
Ce n'est pas une organisation caritative, ni l'église catholique, qui distribuent la nourriture, mais des militants du mouvement des "indignés". Car depuis leur apparition il y a un an, les occupations de places et les grandes manifestations du printemps 2011 pour dénoncer les conséquences de la crise économique, les "indignés", beaucoup plus discrets, se sont lancés dans l'action sociale à travers toute l'Espagne.
"Nous essayons de créer une économie plus durable et plus juste", explique Diego Gutierrez, un militant qui charge dans une camionnette rouge un sac de pommes de terre, don d'un magasin tenu par un couple de Roumains.
Si les assemblées de quartier ne mobilisent plus autant qu'à la naissance du mouvement, la détermination n'en est que plus forte, assure Diego Gutierrez, un psychologue de 41 ans.
82 familles sont inscrites à la banque alimentaire d'Usera, qui fonctionne sans aucune aide extérieure. Tous les vendredi, 20 à 25 personnes viennent y recevoir de la nourriture.
Comme Jhenny, femme de ménage à temps partiel, dont le mari est sans travail depuis un an. Elle économise ainsi environ 60 euros par mois. "Cet argent", dit-elle, "je peux l'utiliser pour acheter des vêtements et des chaussures pour mes deux filles".
A l'autre bout de la chaîne, des commerçants du quartier, parfois eux-mêmes en difficulté, fournissent la nourriture.
Raul Barbero, 41 ans, père de trois enfants, propriétaire d'un magasin de fruits, est l'un d'eux. "Je me souviens que pendant deux ans, je n'ai rien eu à manger. Si chacun donne un peu, vous aurez beaucoup", raconte-t-il en préparant un cageot d'abricots, de cerises et d'autres fruits, qu'il va remettre aux volontaires faisant la collecte.
Une fois par mois, les "indignés" d'Usera organisent une bourse d'échanges, où l'on peut troquer des vêtements contre des jouets, des livres contre des meubles. Mais l'un de leurs projets les plus ambitieux, c'est une coopérative offrant des services comme des travaux de plomberie ou de peinture, en employant des chômeurs: au total 230 salariés et déjà trois branches ouvertes à Madrid.
La coopérative doit commencer bientôt à fabriquer du savon et de la bière. Le but est d'installer des succursales à travers le pays.
Selon Arturo de Bonis, un ancien chef de projet de la Banque mondiale en Afrique, âgé de 55 ans, un des fondateurs du projet, les "indignés" ont évolué parce que les gens ont compris "que le seul fait de manifester ne pouvait changer les choses". "Ce genre d'initiative continuera à se développer, parce que les gens voient que notre système économique ne fonctionne pas", ajoute-t-il.
Dans un pays où un actif sur quatre est au chômage, les "indignés" ont trouvé un terrain fertile pour leurs actions: commandos anti-expulsions, relogement de familles sans toit, aide juridique en matière de droit du travail.
A Madrid, ils ont créé aussi des "banques du temps": le temps y devient une monnaie, permettant de payer des travaux divers, de faire réparer son vélo, de s'offrir une coupe de cheveux. Pour chaque heure donnée, le "client" peut recevoir un service d'une heure. Toutes les prestations sont évaluées au même prix: une heure chez le coiffeur équivaut à une heure de massage chez un kinésithérapeute.
"Les gens peuvent ainsi améliorer leur qualité de vie sans dépenser d'argent", remarque Maria José, une institutrice de 59 ans qui participe à la "banque du temps" de Retiro, un quartier madrilène verdoyant habité par la classe moyenne.
Et tisser aussi de nouveaux liens de voisinage. Vos voisins deviennent vos amis", témoigne Isabel Perez, une consultante en énergie solaire de 47 ans, mère de deux enfants, qui consacre une partie de son temps à la banque alimentaire d'Usera.
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