| 13.12.11 | 12h34 • Mis à jour le 13.12.11 | 18h22
Beine-Nauroy (Marne), envoyée spéciale - L'usine est posée à l'entrée du village de Beine-Nauroy, dans la Marne, juste avant d'atteindre les premiers pavillons. Le grand bâtiment jaune pâle de l'usine Bosal fait face au silo à betteraves. Devant, les salariés ont installé un cercueil noir frappé d'une croix rouge sang entouré de 93 croix de bois. C'est le nombre de suppressions d'emplois que Bosal, un groupe néerlandais du secteur automobile, a annoncé mi-novembre.
"C'est le travail qu'on délocalise. Notre canton est en train de devenir un désert de friches industrielles", note le maire (sans étiquette), Francis Floquet. La société veut "recentrer" ses activités dans ses autres sites en Allemagne et en Hongrie. Moins coûteux en transport et en main-d'œuvre. Dans l'usine marnaise ne subsisteront que 53 emplois sur 144.
Depuis plus de vingt-cinq ans, l'usine Bosal le Rapide fabrique des attelages de caravanes et des galeries pour le secteur automobile, essentiellement PSA. Avec ses 250 salariés il y a encore cinq ans, c'était devenu l'un des rares sites industriels dans cette plaine agricole. Il s'était même agrandi avec l'aide financière des collectivités locales : quelque 500 000 euros avaient été déboursés pour les aménagements de l'usine. C'est le seul employeur avec la petite déchetterie. "Bosal avait menacé de partir dans l'Aisne si on ne les aidait pas", se souvient Alphonse Schwein, conseiller général UMP du canton.
DES CARNETS DE COMMANDES PLEINS
Aujourd'hui, Beine-Nauroy, ses 1 100 habitants, sa petite mairie coquette, sa boulangerie et son café sont comme en apnée. Ici, tout le monde attend le plan social détaillé. Pour connaître les critères et, derrière, les noms des licenciés. La direction l'a annoncé pour le 15 janvier. Le comité d'entreprise a du coup annulé le Noël des enfants à la mairie. Pas le cœur à la fête.
Personne n'avait vu le coup venir. L'entreprise est en bonne santé et voit ses carnets de commande toujours pleins. La direction avait même réclamé des heures supplémentaires aux ouvriers. Seul signe avant-coureur: l'arrivée d'un nouveau directeur, consultant en entreprise installé depuis début octobre avec un CDD de cinq mois, surnommé le "liquidateur" par le maire.
Les élus, encore sonnés, s'avouent démunis. D'autant que le canton a connu un plan social de 120 licenciements chez Reims Aerospace il y a six mois. La mairie a déjà anticipé le manque à gagner dans les impôts locaux et se prépare à abonder son budget social. "On veut dire aux salariés qu'on est là", explique Catherine Renard, élue municipale et ancienne infirmière du site, licenciée voici deux ans.
SANS ILLUSIONS
Chacun tente de s'activer pour sauver le site. Le conseiller général Alphonse Schwein, bombardé chargé de mission par le préfet, cherche à retrouver de l'activité pour le site. "On veut un engagement de Bosal à diversifier sa production et à créer des emplois", dit-il. Le groupe s'y refuse. "Ce sont les emplois de nos villages. A quoi cela sert de faire des plans locaux d'urbanisme si on n'a plus d'usines ? ", soupire-t-il.
Le président du conseil régional, Jean-Paul Bachy (divers gauche), est venu lui aussi soutenir les salariés. "Il y a du boulot, un site moderne, des carnets de commande pleins et ils délocalisent après avoir utilisé l'argent public. On ne peut pas accepter ce type d'opération ! ", s'indigne l'élu régional. Lui veut essayer de faire pression sur le groupe via les donneurs d'ordre de l'automobile.
Les salariés ne se font pourtant guère d'illusions: après ce premier train de licenciements, ils ne donnent pas cher des derniers ateliers. Les entreprises hongroise et allemande seraient déjà en train d'apprendre à fabriquer les galeries françaises.
IMPUISSANCE DES ÉLUS
"Notre but, c'est de repousser le moment où on devra partir. C'est tout ce qui nous reste", admet Laurent Gerardin, délégué (CGT) de l'intersyndicale. "Ici, tout le monde ne travaille pas dans le champagne et la casse industrielle se poursuit", remarque Sébastien Lienard, secrétaire général CFDT-Métaux de la Marne.
Empêcher le départ total de l'entreprise, tous les élus en rêvent mais ne savent comment. "On n'est pas assez lourd pour peser", admet Alphonse Schwein. "Nous n'avons pas les moyens de retenir l'entreprise", renchérit le maire. Faire ce qu'on peut et le montrer à ces administrés qui ne comprennent pas cette impuissance. Laurent Gerardin énumère les soutiens, mais sans espoir. Quelques rares "nationaux", comme le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan ou Philippe Poutou (NPA), sont passés soutenir les salariés. Le secrétaire d'Etat chargé du logement, Benoist Apparu, dont la circonscription englobe désormais le canton, ne s'est pas montré. "Il suit ça de très près", assure le conseiller général UMP.
"Les politiques nous disent qu'ils nous soutiennent mais ne peuvent rien faire. A quoi servent-ils ? ", s'énerve le syndicaliste. "Pourquoi Sarkozy ne défend-il pas les emplois de son pays ? ", s'indigne Valérie Setera, magasinière, dans l'usine. A 44 ans, cette mère de famille a passé douze ans dans l'entreprise, son mari, conducteur de ligne, quinze. "Il pourrait s'y mettre au moins une fois en disant “cette usine, elle ne part pas”", insiste-t-elle.
Sylvia Zappi