L'ancien directeur général des douanes, et futur directeur du budget, festoyant sur un bateau immatriculé au Luxembourg, puis prenant gentiment la pose à côté du marchand d'armes millionnaire, spécialiste des commissions et de l'évasion fiscale : c'est la dernière surprise de l'affaire Takieddine.
Pierre-Mathieu Duhamel, 55 ans, tout à la fois haut fonctionnaire (il a enchaîné les postes importants), homme politique de droite et «pantouflard» dans le privé, fête, en juillet 2002, sa toute récente Légion d'honneur sur le bateau de Ziad Takieddine, La Diva. Il est en compagnie de Thierry Gaubert, l'ami et l'ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy.
Ancien patron des douanes et secrétaire général de Tracfin, le service anti-blanchiment du ministère des finances (1996-1999), il sera promu cinq mois plus tard à la puissante direction du budget au ministère de l'économie et des finances. L'homme est aujourd'hui président du comité stratégique du géant de l'audit KPMG (lire son CV sous l'onglet «Prolonger»).
« J'ai été imprudent, je veux bien concéder ça, a commenté M. Duhamel, interrogé par Mediapart. Léger aussi, peut-être, mais ces photos sur un bateau ne font pas de moi un intime de M. Takieddine.»
L'imprudence s'est pourtant prolongée de 2002 à 2006, quand M. Duhamel, devenu directeur du budget, a accepté d'autres invitations de M. Takieddine, qui dissimulait alors la totalité de ses propriétés au fisc.
Des propriétés fréquentées aussi par le ministre du budget d'alors, Jean-François Copé, et sa famille. Comme nous l'avons expliqué ici, le marchand d'armes, résident fiscal en France, a réussi l'exploit de ne payer aucun impôt durant dix ans, malgré des biens estimés par lui à 100 millions d'euros – acquis grâce à une partie de ses commissions dans la vente des frégates à l'Arabie saoudite et des sous-marins au Pakistan.
Lors d'un entretien accordé à Mediapart, Pierre-Mathieu Duhamel a tenu à souligner que le directeur du budget n'a « aucune compétence fiscale » et « ne s'occupe pas des impôts des particuliers ».
« Je vous fais observer qu'il connaissait le ministre du budget »
Comme Jean-François Copé avant lui, M. Duhamel prétend, sans convaincre, qu'il ignorait l'activité de son hôte. « Je savais qu'il était à l'abri du besoin, et qu'il avait réussi dans les affaires, mais pas plus, dit-il. Je ne lui ai jamais demandé "de quoi vivez-vous".» Et son absence de curiosité a été partagée par sa compagne venue elle aussi chez M. Takieddine : « Nous n'avons pas parlé de ça », assure-t-il.
Le marchand d'armes a-t-il sollicité l'intervention du directeur du budget sur son dossier ou d'autres ? « Il ne l'a pas fait, répond M. Duhamel. Je vous fais observer qu'il connaissait quand même le ministre du budget. S'il avait eu un sujet de cette nature, ce que j'ignore, il était plus simple de s'adresser à lui. »
Alors qu'il a attiré à plusieurs reprises la curiosité des agents du fisc, M. Takieddine a réussi, semble-t-il, à éloigner les curieux. La force symbolique de son carnet d'adresses ne peut pas tout expliquer. Comme Mediapart en a déjà rendu compte, le marchand d'armes était en possession de dossiers présentant les litiges fiscaux de deux particuliers. Et dans l'un de ces dossiers, l'on a retrouvé, précieusement archivée, une lettre de M. Copé.
Une écoute judiciaire réalisée, le 20 juin 2011, révèle un échange sibyllin entre Thierry Gaubert et Ziad Takieddine à ce sujet.
— M. Takieddine : « Cinq contrôles fiscaux, jusqu'à maintenant. Cinq. »
— M. Gaubert : « Ah bon. »
— M. Takieddine : « Mais tu es, tu es où là ? »
— M. Gaubert : « C'est pas grave, je m'en occupe. Ok. »
— M. Takieddine :« Bon ok. D'accord. Ok. Ciao. »
Interrogé sur cet échange, M. Gaubert a déclaré ne « pas voir de quoi il s'agit ». « Je ne me suis pas occupé de la situation fiscale de M. Takieddine », a-t-il dit.
Proche de Gaubert et Bazire
Si ses amitiés lui ont fait traverser les deux courants de la droite, Pierre-Mathieu Duhamel est considéré comme « l'un des hommes de Juppé passés chez Sarkozy ». C'est pourtant dans les Hauts-de-Seine, comme directeur général des services du département alors présidé par Charles Pasqua, qu'il rencontre Thierry Gaubert quand ce dernier « s'occupait de manière personnelle de la communication du maire de Neuilly ».
En 1987 et 1988, il avait été conseiller commun d'Alain Juppé et d'Edouard Balladur (ministre du gouvernement Chirac) et avait sympathisé avec Nicolas Bazire. Nicolas Bazire qu'il retrouvera d'ailleurs en 1999, lors d'un passage éclair comme secrétaire général du groupe LVMH, après avoir quitté la direction des douanes. Il est resté depuis proche de MM. Gaubert et Bazire, tous les deux mis en examen par les juges Van Ruymbeke et Le Loire dans l'affaire Takieddine.
Directeur adjoint du cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris en 1991 – fonction qui le fera apparaître plus tard dans l'affaire des emplois fictifs –, M. Duhamel est propulsé directeur de la comptabilité publique en 1994-95 par Nicolas Sarkozy, ministre du budget. Mais il rejoint encore Juppé, premier ministre, en 1995, comme directeur adjoint de cabinet, avant d'être nommé patron des douanes en 1996.
« Les douanes conservent de toi le souvenir "d'un chef incontesté et respecté" qui obtint pour la France le siège de l'organisation mondiale des douanes », déclare son ministre Alain Lambert, lors de la remise de la Légion d'honneur à Duhamel, en novembre 2002, qui vante sa « discrétion confinant vite au secret et « sa fidélité en amitié comme en politique ». « Tu es un soldat », lui lance-t-il. On apprend au passage que M. Duhamel « n'aime pas le poisson », mais « ne s'interdit pas la pêche au gros sous les tropiques ».
C'est dans les années 2000 que M. Duhamel rejoint le clan Sarkozy. Il retrouve Nicolas Sarkozy aux finances, lorsqu'il devient directeur du budget. En 2006, c'est la galaxie sarkozyste qui le récupère, et l'intègre au groupe des Caisses d'épargne, dont Thierry Gaubert conseille le président d'alors, Charles Milhaud.
En 2007, alors qu'il devient maire UMP de Boulogne-Billancourt – il occupera cette fonction pendant un an, après la démission de Jean-Pierre Fourcade, maire de la ville depuis 1995 –, Pierre-Mathieu Duhamel lance un appel à voter Sarkozy, comme en témoigne cette vidéo :