Julie Le Mazier est docteure en science politique, auteure d’une thèse intitulée « Pas de mouvement sans AG : les conditions d’appropriation de l’assemblée générale dans les mobilisations étudiantes en France (2006-2010). Contribution à l’étude des répertoires contestataires » et chargée de cours à l’Université Paris XIII-Villetaneuse.
La spécialiste des mouvements étudiants, membre de Sud Éducation, revient pour Mediapart sur la mobilisation qui traverse les universités en France depuis quelques semaines. Les étudiants et lycéens protestent contre la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE), définitivement adoptée le 8 mars dernier. Celle-ci prévoit notamment la mise en place d’attendus, soit une liste de compétences requises pour intégrer telle ou telle filière.
Les étudiants, et lycéens, se mobilisent contre Parcoursup et la loi ORE, il y a eu accélération avec plusieurs blocages de fac, est-ce le signe que le mouvement est en train de prendre ?
Julie Le Mazier : Quelques indicateurs démontrent que le mouvement est en train de prendre. C’est toujours difficile à diagnostiquer, car nous ne sommes pas des prophètes. Néanmoins, les chiffres de participation aux assemblées générales ces derniers jours sont importants. Ils étaient plus de 2 000 à Toulouse et Montpellier. Si on les compare avec ceux des mouvements étudiants de la fin des années 2000, on se rapproche des chiffres de la mobilisation contre le Contrat première embauche (le CPE) en 2006 avec des étudiants et professeurs qui débordaient des amphithéâtres. Les blocages qui commencent sont aussi un signe à prendre en compte.
La seule chose fragile en revanche, c’est que le mouvement est circonscrit à certaines villes. Toulouse s’est mobilisée d’abord en raison du projet de fusion. Les violences à Montpellier ont aussi motivé les étudiants. Cela va-t-il essaimer ? Impossible de le déterminer pour le moment, mais si elles restent isolées cela risque d’être compliqué de maintenir le mouvement. Il n’y a pas eu de grosse manifestation réunissant à la fois lycéens et étudiants. Même si celle du 1er février était relativement importante pour une première. La deuxième a stagné en raison de différents facteurs aussi différents que le choix de dates très rapprochées, à cinq jours d’intervalle, la neige et surtout le manque d’informations. Les lycéens étaient confrontés à Parcoursup avec tout le stress que cela génère. Il leur fallait avoir de bonnes notes pour leur dossier.
Si cela gagne les universités, c’est aussi parce qu’on connaît mieux les contours de la réforme de la licence avec la question de la compensation qui disparaîtrait ou la fin du rattrapage de la deuxième session. Les syndicats étudiants font aussi leur travail d’information.
Les ingrédients sont-ils réunis pour une forte mobilisation sachant que la nouvelle loi touche directement les lycéens et les futurs étudiants ? Qu’est-ce qui permet de pérenniser un mouvement ?
D’abord, il faudrait que les différentes universités se coordonnent avec des journées de manifestation communes qui auraient un retentissement médiatique plus fort. Cela peut s’inscrire dans le cadre d’une coordination nationale ou grâce à l’entremise des syndicats. Quelques-unes ont eu lieu mais cela n’a pas eu beaucoup d’écho.
Pendant la lutte contre le CPE, pendant les congés de février, 10 000 étudiants ont occupé la gare de Rennes. Il y avait eu une grande assemblée générale puis une manifestation. Les leaders de la grève étudiante ont profité des vacances scolaires pour faire la tournée des établissements parisiens et dans les alentours pour chauffer les troupes. Il fallait alors élargir le champ des possibles des étudiants et leur montrer que ça valait le coup de s’engager. Chaque AG débutait par une liste des facs en grève pour créer un effet d’entraînement. Cela n’aurait pas fonctionné s’ils avaient continué à mener des actions minoritaires avec des collectifs militants.
Aujourd’hui, il y a des lycéens et étudiants qui ne sont pas informés. Cela dépend aussi des universités et de l’inventivité des collectifs militants qui proposent plus ou moins de choses. Les cours alternatifs peuvent inciter les étudiants à venir quand même à l’université. La dimension conviviale entre aussi en ligne de compte. Les grévistes vont tisser des liens d’amitié et apprendre à vivre au rythme des ateliers de confection de banderoles ou d’affiches. Cela peut être anodin mais comme cela ne requiert pas de compétences particulières, cela peut permettre aux moins politisés de se sentir intégrés au sein d’un projet collectif. Il faut aussi qu’il y ait des cortèges pour aller en manifestation. Personne n’ira jamais seul.
Y a-t-il des formes d’action reproduites de mouvement en mouvement ?
Le milieu étudiant se renouvelle chaque année. Il est frappant d’observer qu’il y a une continuité dans les modes d’action que ce soit en 1968, 2006, 2010 ou 2016 avec des blocages, des occupations d’universités, des assemblées générales et des manifestations. Des traditions se perpétuent, car le début d’un mouvement est initié par des militants qui ont déjà l’habitude de le faire ou qui appartiennent à des organisations qui perpétuent cette mémoire de lutte. Ils expliquent par exemple l’importance des AG ou pourquoi les grèves des cours sont nécessaires pour éviter que seuls les grévistes ne soient pénalisés.
Pourquoi les jeunes mobilisés sont-ils les bêtes noires des dirigeants politiques ?
Ces mouvements font peur aux dirigeants, car ils sont moins contrôlables. Les syndicats étudiants sont moins reconnus par les politiques que ceux de salariés. Les jeunes réclament souvent tout ou rien, il n’y a pas de levier de négociation. Si vous mettez plein de jeunes dans la rue, ils courent, ils débordent. La peur de la jeunesse est structurelle dans les sociétés. Elle se radicalise aussi plus vite et facilement car elle a moins d’attaches, pas de famille, pas d’emploi. Elle peut ne pas avoir peur de finir en garde à vue par exemple.
Par ailleurs, quand une partie d’une classe d’âge vit une grève, elle se politise. Les soixante-huitards ne se contentent pas d’avoir fait Mai-68. Les anonymes ont poursuivi la contestation à différentes échelles. Cela produit des conséquences sur le long terme. Cette mémoire existe chez les gouvernants, car cela peut être dangereux de ne pas contenter la jeunesse. Alain Devaquet a été contraint de démissionner après la mort de Malik Oussekine en dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986. Vingt ans plus tard, Dominique de Villepin a vu sa carrière politique ruinée par le CPE.
En 2016, la contestation contre la loi sur le travail avec Nuit debout, où beaucoup de jeunes étaient présents a montré que désormais une nouvelle forme de mobilisation émerge. Est-ce vraiment le cas ?
Même si cela n’a pas pris l’ampleur des grèves de la jeunesse scolarisée, toute une génération de militants, les mêmes qu’aujourd’hui se sont rencontrés. Deux ans après ils ont acquis des réflexes et ont noué des contacts avec des syndicats de salariés par exemple. Ils ont plein de ressources désormais. Certains étaient au lycée à l’époque et sont désormais à l’université. Ils ont acquis un savoir...
Suite de l'article sur : https://www.mediapart.fr/journal/france/290318/universites-le-mouvement-est-en-train-de-prendre?onglet=full
Source : https://www.mediapart.fr