Source : https://blogs.mediapart.fr/richard-abauzit
- 19 juin 2017
- Par Richard ABAUZIT
- Blog : Le blog de Richard ABAUZIT
Quand Macron a jugé nécessaire d’aller rencontrer les salariés de Whirpool en grève, il a demandé un « hygiaphone » pour leur parler. Ce n’est sans doute pas seulement son ignorance de l’objet idoine, le mégaphone. Cela a sans doute à voir avec ses déclarations sur les ouvrières illettrées des abattoirs Gad et avec un point de son programme pour les présidentielles où il prévoit de sanctionner les « incivilités » dont les « crachats » par des « amendes immédiates et dissuasives » alors que, en même temps, son programme prévoit la création d’un droit à l’erreur pour, je cite pour l’exemple pris, « un employeur qui oublie de déclarer à l’URSSAF la prime de Noël qu’il verse à ses salariés ».
Les buts et les moyens de la guerre
Macron est un évangéliste du marché qui nage, selon la formule de Marx, dans les eaux glacées du calcul égoïste. Il ne fait qu’appliquer le programme de toujours du capitalisme, l’accumulation du profit par quelques uns, et qu’on peut résumer quant aux buts par la formule T.G.V : Travailler plus (i.e faire travailler plus), Gagner moins (faire travailler pour le moins cher possible), Virer le plus vite et avec le minimum de frais.
Une nouveauté cependant : le programme présidentiel de Macron et ce qu’on peut déjà savoir des ordonnances à venir va plus loin qu’un nième rabotage de ce qu’il reste de droits sociaux. Il est question de leur suppression totale pour aller, numérisation aidant, vers une société que Macron a défini comme une société « sans statuts ». Un oxymore qui désigne précisément la situation des travailleurs ubérisés : pas de limitation à la durée de travail, pas de revenu minimal, pas de sécurité sociale et un licenciement sur simple déconnexion. Esclaves ou domestiques, la marche arrière nous conduit ici au début du XIXème siècle, où la violence sociale se déployait à l’ombre de la violence policière.
Autre nouveauté, et les fonctionnaires et contractuels qu’on a peu vus dans les manifestations contre la loi travail devraient rouvrir leurs yeux, les Fonctions publiques rentrent dans cette dissolution et seront, comme en Grèce, sans doute en première ligne de la démolition programmée.
Quant aux moyens de réalisation de ces objectifs permanents, ils n’ont pas varié : armer les employeurs et en même temps désarmer ceux qu’ils exploitent. Citons, outre la démolition bien avancée de la médecine du travail, de l’inspection du travail et des prud’hommes, l’affaiblissement constant des moyens et de l’indépendance des représentants du personnel qui va être aggravée dans les ordonnances à venir par la mise en pièce des CHSCT et la mise en place d’un référendum auprès des salariés pour contourner les syndicats qui en méritent encore le nom.
Revue de détail
Pour les buts, l’analyse des lois déjà passées 1, des projets patronaux aussi précis qu’anciens, des exigences du conseil d’administration des multinationales (Commission européenne), du programme présidentiel 2 et des fuites sur la préparation des ordonnances 3 permet de décrire précisément le TGV programmé.
La loi travail avait prévu la réécriture complète du Code du travail sur le principe révisionniste (au sens négation du droit du travail) suivant : plus de loi, l’accord d’entreprise fera la loi (un code du travail par entreprise) ; à défaut d’accord d’entreprise, la branche professionnelle fera la loi ; en l’absence de tout accord, il y aura un droit minimal par décret, et le projet d’ordonnance stipule que ce droit pourra être moins favorable que le droit actuel. La loi travail avait réécrit la partie durée du travail et prévoyait deux années pour le reste du Code. Un an après, Macron devance juste l’appel.
Il y aura sans doute une nouvelle tentative de supprimer, si possible, ou de contourner la durée légale du travail, dont il faut marteler qu’elle n’est que le seuil à partir duquel on calcule les heures supplémentaires qui doivent être payées plus cher. Les dissimuler et les payer moins cher (10% de majoration au lieu de 25%) comme le permet la loi travail ne leur suffit pas. Pour arriver à 0%, il est probable que sera réutilisée la ruse de la commission Badinter (un temps inscrite dans le projet de loi travail), reprise dans les déclarations de Fillon et de Macron au début des présidentielles : chaque entreprise dira s’il elle choisit une durée « normale » (néologisme de la commission Badinter) différente de 35 h (39, 40, 45 par exemple) et les heures supplémentaires éventuelles seront décomptées au-delà de cette durée « normale ».
Si on ajoute l’exonération prévue des cotisations sociales sur les heures supplémentaires, voilà qui rendra ces heures moins chères que des heures normales. Epuisement pour les uns, chômage pour les autres.
Il y aura également de nouvelles libertés pour les employeurs : horaires de travail, pauses, fractionnement du repos quotidien et hebdomadaire (sous couvert de « télétravail »), services publics extensibles (« Nous élargirons les horaires d’ouverture des services publics pour les adapter aux contraintes des usagers : certains services publics ouvriront le samedi et en soirée » ; « Nous ouvrirons les bibliothèques en soirée et le week-end »). Sans doute aussi verra-t-on revenir la question de l’allongement de la durée du travail pour les enfants : Macron, tout comme le PDG d’Air France était scandalisé que ce point trop symbolique ait été, devant la mobilisation, retiré de la loi travail.
Gagner moins. En commençant par l’apprentissage, car ce qui est prévu symbolise assez bien la société programmée. Macron a prévu de supprimer les contrats d’apprentissage en les fusionnant avec les contrats de professionnalisation, en supprimant au passage les limites d’âge. Apprenti tout au long de sa vie, c’est le retour au Moyen Age.
Pour les salaires et retraites, il faut distinguer les salaires nets des salaires bruts.
Salaires nets : pour le Smic, il pourra être question de revoir les indexations comme la commission Badinter en avait ouvert la possibilité. Pour les salaires minima des conventions collectives définis par les grilles de classification elles mêmes basées en partie sur la qualification (de même les grilles de la fonction publique) le programme présidentiel de Macron prévoit de les remplacer par des accords d’entreprise : « C’est seulement à défaut d’accord d’entreprise que la branche interviendra. Ainsi, les conditions de travail et les salaires notamment seront négociés au plus près du terrain ».
Sur ce point essentiel (qu’on pense à la Grèce ou les conventions collectives ont été supprimées et à l’Espagne où leur couverture se réduit à grande vitesse), le gouvernement avance masqué dans les parodies de concertation qui vont durer jusqu’à mi juillet. Pour les fonctionnaires, l’équivalent de cette évolution s’écrit ainsi : « Nous mettrons fin à l’évolution uniforme des rémunérations de toutes les fonctions publiques afin de mieux prendre en compte les spécificités de chacune »
Salaires bruts : i.e les cotisations sociales versés à la sécurité sociale, la partie vitale pour ceux qui n’ont pas ou plus de travail : privés d’emploi, malades, accidentés du travail, retraités. Ce dont on parle c’est 470 milliards d’euros. Macron prévoit de réduire la Sécurité sociale en miettes, le gâteau étant récupéré par les assurances privées, mutuelles et fonds de pension.
Aux dizaines de milliards d’exonérations de cotisations sociales actuelles, Macron prévoit notamment d’ajouter la suppression des cotisations salariales maladie et chômage, la pérennisation du CICE sous forme d’exonérations permanentes de 6 points, la suppression de toute cotisation sociale pour tous les salariés au Smic (1800 euros par an et par salarié, un cadeau fabuleux qui va contribuer à augmenter le nombre de personnes payées au Smic).
Pour les retraites, l’instauration prévue d’un seul régime (par points) est la garantie d’un avenir caractérisé par une baisse considérable des retraites, les fonctionnaires en premier, et un basculement inévitable vers la fin des retraites par répartition.
Qui va payer ce que les patrons ne paieront plus : essentiellement les salariés, retraités et fonctionnaires par l’augmentation prévue de la CSG et tout le monde par la baisse de la prise en charge des soins et des médicaments et la baisse des indemnités chômage...
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