Source : https://www.mediapart.fr
Entre 2007 et 2010, Édouard Philippe a été directeur des affaires publiques chez Areva. Entre les déboires de l’EPR, le gouffre d’Uramin et le scandale des mines au Niger, c’est la période noire pour le groupe nucléaire, celle qui le mènera à la faillite. Le moment est crucial pour un responsable chargé d’entretenir les relations avec le monde politique. Pourtant, Édouard Philippe semble s’être tenu à l’écart de tout. Il s’est fait si discret que rares sont ceux qui se souviennent de lui.
Édouard Philippe a toujours été d’une grande discrétion sur ses activités à Areva. La question, pourtant, ne pouvait pas ne pas lui être posée quand le nouveau premier ministre a nommé Nicolas Hulot au ministère de l’écologie. Comment lui, ancien directeur d’Areva, désigné comme « lobbyiste du nucléaire » par des organisations antinucléaires, allait-il cohabiter avec un des chefs de file de la fin du nucléaire et de la transition écologique ?
« Vous avez raison de faire cette remarque, a répliqué Édouard Philippe au micro de France Inter le 18 mai. Moi, j’ai travaillé chez Areva entre 2007 et 2010. Je ne compte pas m’en excuser. J’en ai été assez fier, assez fier de travailler dans une grande entreprise publique française avec des ingénieurs, des techniciens, des gens assez formidables. Comme, je crois, sont fiers tous ceux qui travaillent chez Areva ou chez EDF et qui font vivre la production énergétique française et notamment à base de nucléaire. Je ne m’en excuse pas. Je l’assume et j’en suis fier. » Voir ci-dessous entre 8 min 10 s et 8 min 53 s.
D’octobre 2007 à octobre 2010, Édouard Philippe a été directeur des affaires publiques d’Areva. Depuis le début du nucléaire, EDF et Areva – mais cela vaut aussi pour des groupes comme Veolia, Suez environnement, Engie dans d’autres domaines – ont toujours veillé à développer ces postes d’influence, pratiqués dans la plus grande discrétion, afin d’entretenir des relations étroites avec le gouvernement, les parlementaires, les élus locaux, la haute administration. Il s’agit pour ces grands groupes d’assurer une veille permanente pour conserver le soutien politique au nucléaire, de promouvoir des propositions législatives et réglementaires qui ne soient pas contre leurs intérêts. Il s’agit aussi de travailler au corps les élus locaux qui peuvent être partagés entre, d’une part, les risques potentiels et, d’autre part, les emplois et la manne que peuvent représenter des installations nucléaires sur leur territoire.
À la tête d’Areva, Anne Lauvergeon a toujours assumé elle-même une grande partie de ces tâches de relations publiques et politiques, où elle excelle. Depuis son passage à l’Élysée à la fin de l’ère Mitterrand, elle connaît tous les responsables politiques et de gouvernement. Issue du corps des Mines, elle a accès en direct à toute la haute administration. Elle bénéficie du soutien aveugle de Bruno Bézard, alors directeur de l’Agence des participations de l’État (APE). Et quand il le faut, elle n’hésite pas à forcer les portes.
Mais en 2007, Anne Lauvergeon, qui se voit des ennemis réels ou supposés partout, a un problème : Nicolas Sarkozy vient d’être élu à la présidence de la République. Elle n’ignore rien des cercles de pouvoir qui entourent le nouveau chef de l’État, lequel conteste sa vision et son rôle dans le nucléaire français, à commencer par le cercle formé autour de François Roussely (ancien PDG d’EDF) et Henri Proglio (nommé à la présidence d’EDF en 2009).
Nicolas Sarkozy ne cache pas sa volonté d’intervenir directement sur le sujet, se transformant en VRP pour aller vendre des EPR partout dans le monde, y compris en Libye, ou de réorganiser la filière nucléaire et de modifier le rôle d’Areva. Martin Bouygues, un proche du président, a déjà fait une déclaration d’intérêt pour entrer au capital d’Areva. Il est désormais le principal actionnaire d’Alstom, dont le sauvetage est considéré comme un des hauts faits d’armes industriels de Nicolas Sarkozy.
Le projet de rapprochement entre Areva et Alstom, qu’Anne Lauvergeon a réussi à faire capoter par deux fois, pourrait revenir sur la table. Elle a de puissants soutiens, dans toute la classe politique. À gauche, elle bénéficie de nombreux appuis socialistes. À droite, elle est notamment très proche du nouveau premier ministre, François Fillon, son voisin dans la Sarthe, qui la soutiendra tout au long de son mandat. Mais il faut compléter le dispositif. Édouard Philippe est un proche de Juppé – il l’a aidé à former l’UMP en 2002 – et il est disponible.
C’est bien pour assumer cette fonction de messager entre le groupe et le monde politique qu’Édouard Philippe est embauché chez Areva, comme le rapporte aujourd’hui Jacques-Emmanuel Saulnier, alors directeur de la communication du groupe. « C’est moi qui l’ai recruté pour devenir directeur des affaires publiques du groupe, raconte l’ancien bras droit d’Anne Lauvergeon, alors PDG d’Areva. Il avait été au cabinet de Juppé, alors ministre de l’écologie. Après l’échec de Juppé aux législatives de 2007, il était disponible. Il avait le profil pour ce poste, qui est souvent occupé par des énarques ou d’anciens membres de la préfectorale. Il nous fallait un directeur des affaires publiques qui ait un bon réseau, qui connaisse bien le système UMP », explique-t-il.
2007-2010, c’est l’époque noire pour Areva. C’est celle où toutes les fautes sont commises, où toutes les difficultés s’accumulent, qui conduiront à la faillite du groupe nucléaire en 2012. Lorsque Édouard Philippe arrive chez Areva en octobre 2007, l’OPA sur Uramin vient juste d’être achevée. Le scandale n’est pas encore étalé sur la place publique – il mettra plus de trois ans à remonter –, mais l’affaire fait déjà de gros remous à l’intérieur du groupe (voir notre dossier). Des géologues et des ingénieurs multiplient les notes d’alerte sur cette aventure minière payée à des prix exorbitants, qui se poursuit par une fuite en avant à travers des investissements ruineux – plus d’un milliard d’euros – pour prouver que ces mines, malgré tout, valent quelque chose.
C’est le moment aussi où Areva ne peut plus cacher les déboires de l’EPR. Les retards accumulés sur le chantier du réacteur finlandais d’Olkiluoto sont sur la table, mais il y a aussi les premières difficultés sur le chantier de l’EPR de Flamanville. Dès lors, il ne s’agit plus de l’accident d’un prototype, mais de la capacité même du groupe à pouvoir mener à bien la réalisation de son réacteur nucléaire.
À cela s’ajoutent le scandale de l’exploitation des mines au Niger, les rapports houleux avec le gouvernement nigérien, la prise en otage de sept salariés d’Areva à Arlit le 16 septembre 2010 (voir nos enquêtes ici, ici ou là ). Sans parler des projets d’introduction en bourse au début de la période, qui se termineront par une demande de recapitalisation de l’État de plusieurs milliards, par la suite doublée d’une crise au conseil.
C’est plus qu’un travail à temps plein pour un directeur des affaires publiques. Cela n’empêche pas Édouard Philippe de poursuivre en parallèle sa carrière politique....
*Suite de l'article sur mediapart
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