Comment faire cohabiter des convictions, des modes de vie, un rapport au temps différent, dans un même lieu ? C’est à cette question que tente de répondre le film documentaire Les Pieds sur Terre, en s’immergeant dans le hameau du Liminbout, à Notre-Dame-des-Landes, où cohabitent habitants historiques et jeunes venus rejoindre la lutte « contre la construction de l’aéroport et son monde ». Pendant presque trois ans, Batiste Combret et Bertrand Hagenmüller ont filmé le quotidien de ces habitants. Le film sort en salle aujourd’hui. Chronique par l’association Les Lucioles du doc.
Le documentaire Les Pieds sur Terre, tourné dans le hameau du Liminbout, à Notre-Dame-des-Landes, parle du regard des agriculteurs et des nouveaux arrivants sur la manière dont chacun vit le rapport à l’« autre », mais aussi au territoire et à la lutte. La construction de la narration retrace l’évolution de la cohabitation des habitants dans le village : elle est focalisée tout d’abord sur les agriculteurs qui observent de loin les « zadistes », puis sur l’intégration progressive des militants, et enfin sur la lutte politique commune.
Les personnages du film révèlent la disparité des motivations de chacun. Si la plupart des agriculteurs sont soulagés d’être épaulés dans leur lutte, d’autres sont inquiets et comprennent mal la raison d’être des zadistes. Des moments d’incompréhension et de doutes apparaissent : une agricultrice raconte la difficulté de faire entendre aux zadistes que le passage à l’agriculture biologique n’est pas si évident. Comment nouer le dialogue avec des personnes « qui ne sont pas des agriculteurs, qui ne comprennent pas grand chose aux choses de la ferme » ?
Un film qui interroge notre rapport intime à l’engagement politique
De leur côté, les zadistes ne montrent pas non plus un front uni. Une scène de dîner soulève la question de l’« après ». Une question complexe tant sont différentes les parcours et les raisons de leur présence ici. Certains souhaitent s’y installer, alors que d’autres voient seulement dans le Liminbout une étape dans leur lutte. Les hésitations, les regards, les mots qui se bousculent ou s’ajustent montrent la difficulté pour les nouveaux arrivants de trouver une place qui leur convienne. C’est cette divergence de choix de vie qui fait l’un des intérêts du film.
Au-delà du destin de chacun, ce documentaire montre la difficulté de changer ses repères pour aller vers l’autre et construire un projet commun qui dépasse les ambitions personnelles. Pour trouver le consensus, ils doivent affronter leurs certitudes.
Une jeune femme, sans doute le personnage le plus touchant du film, locataire d’une petite maison dans le village, apparaît dans le récit. En tant qu’habitante « non mobilisée », elle symbolise une ouverture sur le monde hors de la Zad. Elle interroge avec pudeur notre rapport intime à l’engagement politique, et notre capacité à participer activement à cette lutte que nous soutenons idéologiquement : « Je pense que je me cache les yeux. J’ai pas forcément envie d’aller vers eux parce que j’ai trop peur de ce que cela pourrait engendrer dans ma vie. […] Il manquerait plus que leur mode de vie m’intéresse vraiment et que je sois capable de vivre comme eux. Ça créerait de gros problèmes, quoi. »
Recueillir une parole trop souvent caricaturée par les médias
L’intérêt de ce film est de recueillir une parole trop souvent caricaturée par les médias. Les réalisateurs prennent le temps de montrer les hésitations de chacun, avec la difficulté de s’engager dans une lutte à long terme. Mais cette nuance est parfois plombée par une musique très appuyée, illustrant des images d’Epinal : un veau tétant sa mère, un bébé faisant ses premiers pas dans un champ en fleurs, un zadiste jouant de la guitare sous un pommier.
Le rythme s’essouffle également à cause d’une place trop grande laissée aux interviews. Nous aurions aimé que les réalisateurs posent leur caméra, pour capter des moments plus spontanés, où la parole se libère loin d’une représentation conventionnelle. Il manque le bruissement de la vie quotidienne, où les personnalités se dessinent, où les personnages acquièrent de l’épaisseur, loin de la lutte.
Mais dans un moment de trouble politique comme aujourd’hui, le film Les Pieds sur Terre soulève des questions essentielles et trop rarement abordées dans l’espace public et médiatique : comment repenser notre rapport aux autres et au territoire qui nous entoure ?
Sortie nationale le 3 mai 2017.
Liste des projections ici.
Les Pieds sur Terre
Documentaire de 80 minutes.
Tourné entre décembre 2012 et mai 2015 au Liminbout, hameau situé sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Réalisation : Batiste Combret et Bertrand Hagenmüller
Production : Bobi Lux
Co-production : Oxo Films
Distribution : Les films des deux rives
Plus d’informations sur le film
Les Lucioles du doc
Ces chroniques mensuelles publiées par Basta ! sont réalisées par le collectif des Lucioles du Doc, une association qui travaille autour du cinéma documentaire, à travers sa diffusion et l’organisation d’ateliers de réalisation auprès d’un large public, afin de mettre en place des espaces d’éducation populaire politique. Voir le site internet de l’association.