Source : https://reporterre.net
23 mars 2017 / Pierre Isnard-Dupuy (Reporterre)
Le démantèlement du camp de Calais n’a pas résolu le problème des réfugiés. Par l’intervention d’habitants, d’associations et d’élus, plusieurs petites communes du Gard ont choisi d’accueillir des migrants, originaires d’Afghanistan ou de Syrie. L’accueil est réussi, et pourrait être généralisé à l’échelle du pays.
- Le Vigan (Gard), correspondance
En ce dernier samedi de février, Najib reprend les rênes du four à pain communal pour proposer des pizzas, comme il le fait chaque semaine. Une dizaine d’habitants viennent tour à tour. Le froid se fait plus mordant, à mesure que le soleil décline. Les villageois se serrent auprès de la porte du four. Le ciel devient scintillant d’étoiles. Bienvenue à Soudorgues. Une commune des Cévennes de 280 habitants perchée en haut de la vallée de la Salindrenque, dans le département du Gard.
Najib Nasary a bientôt 30 ans. Avant d’être le boulanger du lieu, il a parcouru une bien longue route. De son passé, il ne souhaite plus parler. C’est Wicki Gerbranda, devenue sa mère d’adoption, qui raconte. Orphelin, exilé d’Afghanistan, il a atterri dans la jungle de Calais. Celle de 2009, démantelée par Eric Besson, alors ministre de l’Intérieur sous Sarkozy. Najib et une vingtaine d’autres Afghans ont été transférés au centre de rétention administratif de Nîmes, « menottés comme des criminels », précise Wicki. Ils ont été libérés grâce à la mobilisation citoyenne. La Cimade, association pour le droit des étrangers, est parvenue à ce que la justice reconnaisse l’irrégularité de l’enfermement. L’Entraide protestante de Nîmes a recueilli les jeunes gens. Pour la période de Noël, elle a sollicité d’autres paroisses. Celle de Lasalle, bourg voisin de Soudorgues, a répondu présente. Des habitants volontaires ont été sollicités pour l’accueil et des moments d’échanges se sont organisés. « Nous avons partagé des jeux, des repas, des danses, c’était très fort », se souvient Wicki. Sous le coup d’une obligation à quitter le territoire français (OQTF), les Afghans risquaient l’expulsion. Une nouvelle mobilisation a permis de les régulariser. « 80 lettres de citoyens, avec copie de leur carte d’identité, ont été transmises à la préfecture et on a obtenu le soutien des élus locaux et du député », dit Wicki. Najib va finir par s’installer chez ses « parents d’adoption ». « C’est comme un fiston », confirme Jean-Louis Fine, le compagnon de Wicki, par ailleurs adjoint municipal.
Najib Nasary, le boulanger de Soudorgues.
Depuis son installation à Soudorgues, Najib a montré un talent de joueur de pétanque lors de plusieurs concours régionaux. « Depuis un an, je ne joue plus. Je travaille trop. J’aime travailler », confie-t-il. Grâce à un CAP obtenu en 2014, il s’est consacré à la boulange. « Je fais 8 variétés de pain. J’utilise des farines bio. Je pétris tout à la main. Je fais même des pains avec de la farine de maïs ou de riz, sans gluten », dit-il fièrement. Depuis peu, il a obtenu le permis de conduire et investi dans un camion pour proposer ses pizzas au feu de bois ailleurs dans la région. Et il compte bien continuer d’animer le rendez-vous du samedi soir. « Les gens ne se voient pas pendant des mois et ils se rencontrent ici. C’est une bonne chose pour moi », se réjouit-il. Au plus fort de l’été, la réputation des soirées pizzas dépasse Soudorgues. « Les gens font la queue. Des musiciens jouent. Des touristes viennent aussi. Je fais des pizzas jusqu’à une ou deux heures du matin », s’enthousiasme Najib.
Sur les contreforts du mont Aigoual, la commune de Mandagout, 400 âmes, s’illustre de son côté par l’accueil d’une famille syrienne. « On a pris nos responsabilités. Les migrants, qui va les arrêter ? À part tous leur tirer dessus, rien ne pourra les arrêter. Ils ont besoin de venir ici », explique Emmanuel Grieu, le premier adjoint au maire. Début 2015, le groupe local d’Amnesty international a interpelé les municipalités pour encourager l’accueil de migrants. En septembre 2015, le conseil municipal y a répondu favorablement en votant à l’unanimité pour la mise à disposition d’un logement. Les élus se sont alors tournés vers le dispositif dit de « réinstallation », supervisé par les services de l’État. Il consiste à faire venir en France des Syriens résidant dans les pays limitrophes de la Syrie, sous protection du Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU. Ils s’installent alors avec le statut de réfugiés.
Beaulieu, le hameau central de la commune de Mandagout,
où vit une famille syrienne.
Mais la préfecture traînait à répondre à la proposition de Mandagout. « On a rempli trois fois le même formulaire transmis en préfecture, téléphoné chaque semaine pour savoir ce qu’il en était », raconte Emmanuel Grieu. Aucune réponse concrète n’est venue avant le mois de février. « Ne pouvant immobiliser un logement indéfiniment, on s’est posé la question d’abandonner », ajoute Roland Montel, le deuxième adjoint. Entretemps, l’association de citoyens Bienvenue à Mandagout s’est constituée pour contribuer à l’élan. L’association La Clède, qui gère des structures pour migrants, est venue apporter son soutien. Et un nouveau préfet s’est installé le 1er janvier 2016. Fin février de la même année, il réunit Jean-Jacques Brot, le préfet national coordonnateur pour l’accueil des Syriens, avec les maires des communes intéressées. « Nous allons faire de Mandagout une expérience pilote en milieu rural », a alors claironné Jean-Jacques Brot.
La famille Dalli : Bassam, Fatem et leurs quatre enfants se sont installés en avril 2016. Déjà très sollicités par les médias, ils n’ont pas souhaité donner suite à notre demande de rencontre. Bassam s’est pris lui aussi de passion pour la pétanque. « Il était en finale du tournoi intercommunal au milieu des Cévenols avec son t-shirt Mandagout. C’est génial », s’extasie Emmanuel Grieu. En Syrie, Bassam était conducteur d’engins. Un métier qu’il va pouvoir poursuivre, le temps de convertir ses permis, puisqu’il travaille déjà pour une entreprise du BTP au Vigan, la ville voisine. Les trois plus grands enfants, en âge d’aller à l’école, ont rejoint celle de la commune. Une bonne nouvelle pour soutenir les effectifs. « On a 22 enfants dans la classe de maternelle et 20 en primaire. Selon les années, les effectifs fluctuent au risque de faire fermer une classe », explique Roland Montel. Avant l’arrivée des Dalli, quelques habitants étaient inquiets. « Quelques-uns sont venus me voir en disant “pourvu qu’ils ne soient pas de Daech”. D’autres s’interrogeaient sur le fait que la mairie bloque un logement », se rappelle Emmanuel Grieu. « Depuis qu’ils sont là, la vie continue comme s’il ne s’était rien passé. Les enfants du village jouent avec ceux de la famille Dalli comme avec n’importe quels enfants qui se seraient installés ici. »...
*Suite de l'article sur reporterre
Source : https://reporterre.net