Source : https://www.marianne.net
La prétendue « rationalité » du libéralisme financier peut nous faire marcher sur la tête. En témoigne une séquence de L’Emission politique, ce jeudi 6 avril sur France 2, dont Emmanuel Macron était l’invité. Le candidat d’En Marche est interpellé par François Lenglet, lors de
la partie consacrée aux questions économiques. Le journaliste de France 2
lui rappelle que lorsqu’il était ministre de l’Economie, Emmanuel
Macron a largement baissé la fiscalité sur les actions gratuites :
celles-ci sont un mode de rémunération des cadres dirigeants des grandes
entreprises, qui distribuent en fin d’année des actions gratuites, en
principe pour récompenser et fidéliser leurs leaders. Juste après
le vote de la loi, au dernier trimestre 2015, plus d’1,5 milliard
d’euros ont ainsi été distribués aux cadres du CAC 40.
« Certains en ont profité pour se goinfrer », euphémisait dans La Tribune
Jérôme Dedeyan, responsable d’une société de gestion. Destinée avant
tout aux entrepreneurs et aux responsables de start-ups, la mesure a été
« captée par les grands patrons »,
regrette pour Marianne Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de
l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). Depuis, le
mécanisme a été largement détricoté par la majorité socialiste. Mais
François Lenglet n’a pas oublié la volonté de Macron.
Le candidat assume, et répond : « Pour
réussir à réindustrialiser l’économie, nous devons être attractifs, il
nous faut attirer les talents. Les entrepreneurs, les start-uppers mais
aussi les dirigeants des grands groupes. » Ils ont l’air bien
précieux, ces grands patrons, pour qu’il faille autant les chouchouter.
L’année où Emmanuel Macron a mis en place sa mesure, les dirigeants du
CAC40 ont gagné en moyenne 5 millions d’euros par an. Logique, d’après l’ancien ministre de l’Economie, sinon ils partiraient selon lui à l'étranger : « Ma
mesure évite que ces sociétés délocalisent. A quoi on assiste depuis
maintenant dix, quinze ans ? A des délocalisations constantes des
comités exécutifs ».
Impossible, donc, de limiter ces rémunérations mirifiques. La même idée guide la réforme de l’ISF prévue par Emmanuel Macron, qui prévoit s'il est élu de supprimer de l'impôt sur la fortune la part liée à la détention d’actions. Sauf que le raisonnement économique ne confirme pas forcément ces orientations : « Les rémunérations des grands patrons sont inexplicables, s’étonne Eric Heyer, de l’OFCE. Ils ne prennent pas plus de risques que les chefs de start-ups, ne travaillent pas plus que les entrepreneurs… Quand la valorisation de leur entreprise augmente en Bourse, il est impossible de dire que c’est uniquement lié à leur action et pas à des décisions de la Banque centrale, par exemple. » Et que dire de la menace de fuite des « talents » si on limite les sommes qui leur sont allouées ? « Cet argument me gêne, répond l’économiste. Si l’on s’engage dans cela, on n’en aura jamais fait assez et on rentre dans une course au moins-disant fiscal avec les autres pays. »
Il y a un double discours : d’un côté, le coût du travail des smicards est trop élevé, de l’autre les salaires des grands patrons sont trop faibles
Economiste à l'OFCE
Cela ne vous rappelle rien ? C’est exactement le même argument qui est invoqué par le même candidat pour… refuser d’augmenter les plus bas salaires. Emmanuel Macron l’a dit, il veut « baisser le coût du travail » : dans son programme, il ne prévoit donc aucune revalorisation du Smic. Le salaire minimum brut en 2017 est de 1.480,27 euros brut par mois. En 2015, les patrons du CAC 40 ont eux gagné en moyenne plus de 416.000 euros par mois.
Mais attention à ne pas se tromper ! La conséquence d'une revalorisation du Smic serait selon Macron la même que celle d'une baisse des rémunérations mirifiques des grands patrons : des délocalisations… « Il y a un double discours, commente Eric Heyer. D’un côté, le coût du travail des smicards est trop élevé, de l’autre les salaires des grands patrons sont trop faibles ». Sur France 2, Emmanuel Macron ne s’est pas débiné. Face à François
Ruffin, qui l’a relancé sur sa magnanimité envers les ultra-riches, il a
répondu : « Je ne suis pas contre le CAC 40. Je ne suis pas pour le favoriser, mais pas non plus pour lui taper dessus ». On l'avait compris: on est bien loin du discours du Bourget de François Hollande, dont Emmanuel Macron a pourtant été l'artisan de la politique économique pendant… quatre ans.