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Benoît Hamon veut faire revivre le ministère du Temps libre. Quarante ans plus tôt, François Mitterrand plaçait à la tête de ce même ministère André Henry, qui y restera jusqu'au tournant de la rigueur. A bientôt 83 ans, l'ancien ministre n'a rien perdu de sa ferveur dans sa défense de "la politique du temps libre". Mais ne votera pas Hamon...
C'est une des voix du passé qui résonne encore. Qui a vécu de l'intérieur les grandes heures de la gauche au pouvoir et payé de sa personne la fin de l'utopie mitterrandienne. Du haut de ses 82 balais - "je suis dans ma 83ème année", tient-il à préciser - André Henry est une des mémoires des années Mitterrand, de cette euphorie d'une gauche qui depuis le Front populaire de 1936, n'aspirait qu'à revenir au pouvoir pour "révolutionner" la société française.
Quelques jours après sa victoire le 10 mai 1981, François Mitterrand invite André Henry, l'ancien instituteur devenu secrétaire général de l'influente Fédération de l'Education nationale, à le rejoindre dans ses appartements rue de Bièvre. Là, dans sa chambre, le tout nouveau président de la République lui demande de prendre la tête d'un ministère du Temps libre. Une création ad hoc qui résume l'ambition des premières années du septennat.
"La politique du temps libre, c'était de donner un sens aux périodes de non-travail qui n'est pas une période du vide. Le temps libre, ce n'est pas seulement les loisirs, c'est aussi la culture et la vie citoyenne, l'engagement citoyen pour la République", défend avec toujours autant de ferveur André Henry près de quarante ans plus tard. Une curiosité ministérielle qui se justifiait à l'époque par l'ambition "réformiste" du programme commun : "En 1981, mon ministère reposait sur trois réformes d'ampleur : la retraite à 60 ans (c'est la politique du temps libre en fin de vie), la 5ème semaine de congés payés et surtout le passage aux 35 heures. Nous ne ferons finalement que les 39 heures payées 40", se rappelle l'ancien ministre, avec une pointe de regret dans la voix.
Tout est à inventer. A penser. Léo Lagrange, l'emblématique ministre du Front Populaire, a bien ouvert la voie avec son secrétariat aux Sports et à l'Organisation des loisirs. Mais c'était il y a plus de 40 ans. "La politique du temps libre ne peut pas être imposée par le gouvernement. On ne voulait par refaire les jeunesses mussoliniennes ! Non, l'Etat doit donner l'idée, le cap puis se reposer sur les collectivités et le tissu associatif très dense en France", raconte Henry. Pour donner cette impulsion, le ministère tente d'innover. Utilise tous les outils. Pour insuffler cet air du changement, le ministère du Temps libre s'offre ainsi des spots télé diffusés en 1982.
Mais André Henry lance également des chantiers bien plus concrets. "A l'époque nous avons fait les chèques vacances (4,25 millions de bénéficiaires en 2016 ndlr). Là on n'était pas dans l'utopie mais dans la vie réelle. C'est un dispositif qui a permis à des petits salaires de partir en vacances et ça fonctionne encore très bien aujourd'hui", rappelle-t-il avec fierté.
Et dans les cartons, les projets ne manquent pas. "On avait imaginé un véritable statut pour les associatifs avec des heures de délégation. Concrètement, un parent d'élève est un co-acteur de l'Education nationale. Pourtant, toute son action qui participe à l'intérêt général, il le fait sur son temps personnel. Nous, on voulait que les militants associatifs bénéficient d'heures propres à ce travail associatif", se souvient André Henry. Il sera stoppé dans son élan par le tournant de la rigueur ."Le dépassement des 2 millions de chômeurs a été fatal", analyse-t-il sobrement. Jacques Delors met fin à la politique de relance et après deux ans de bons et loyaux services, André Henry est remercié. Il est remplacé par Edwige Avice, sa ministre déléguée à la Jeunesse et aux Sports à qui on raccroche, pour le symbole, le Temps libre. Mais l'insouciance et l'euphorie de 1981 sont passées. En 1984, assise au premier rang lors de la cérémonie des Césars, c'est elle qui subira les vannes d'un Coluche tout juste récompensé pour sa prestation dans Tchao Pantin, qui la qualifiera de "ministre du temps perdu à un fric fou" sous l'hilarité générale.