Louis Creachcadec était chaudronnier. Il a travaillé de 1974 à 2003 dans la base militaire de l’Île Longue, dans la rade de Brest, au contact des réacteurs de sous-marins nucléaires. Atteint d’un cancer de l’œsophage, il est décédé le 3 octobre 2010 à l’âge de 57 ans. Au terme d’un long combat judiciaire mené par la famille de la victime, le cancer de l’œsophage provoqué par les rayonnements ionisants vient d’être reconnu en maladie professionnelle. Le 1er mars, le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Brest a jugé « que le cancer de l’œsophage qui a entrainé le décès de M. Louis Creachcadec est en lien direct et essentiel avec une exposition professionnelle habituelle avec des rayonnements ionisants et avec d’autres agents cancérigènes et doit être pris en charge au titre de l’article L.461-1 de la Sécurité Sociale » [1].
Comme nous le relations dans ce reportage sur les ouvriers de l’Île Longue, victimes oubliées de la dissuasion nucléaire, plusieurs salariés frappés de cancers ou de leucémies tentent de faire reconnaître leurs maladies professionnelles. Mais le ministère de la Défense et l’ancienne Direction des chantiers navals déclinent toute responsabilité. C’est la veuve de Louis Creachcadec qui porte désormais le dossier de son mari, défendu par l’avocate Cécile Labrunie, avec le soutien de l’association Henri Pézerat, dont sont membres des irradiés des armes nucléaires.
La décision du tribunal a d’abord été précédée par un avis défavorable rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) quant à l’existence d’un lien entre l’exposition professionnelle de Louis Creachcadec et le cancer qui l’a emporté. « Nous les accusons de développer une stratégie délibérée de dissimulation des effets sanitaires de la polyexposition aux substances cancérogènes », avait dénoncé Francis Talec, président de l’antenne brestoise de l’association Henri Pézerat [2].
Le Tribunal des affaires de sécurité sociale a appuyé sa décision sur une note de la chercheure Annie Thébaud-Mony, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) [3]. Elle y explique que le caractère direct entre l’exposition professionnelle et la pathologie a été établi non seulement par la littérature scientifique, mais également par la liste américaine des maladies professionnelles radio-induites, et surtout par la législation française dans la loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Le tribunal a ordonné l’exécution immédiate du jugement. La lutte de l’association Henri Pézerat aux côtés des travailleurs irradiés se poursuit pour l’amélioration de la reconnaissance en maladie professionnelle des cancers radio-induits, et surtout « pour que l’impunité des industriels et des employeurs qui exposent les salariés à des toxiques mortels soit enfin brisée ».
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